25. Stefan

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Vingt-et-une heure. Le cloitre des Pereterra baignait dans la fumée et la lueur jaunâtre des lanternes à huile.

« Concentre-toi, grand frère, tu joues n’importe comment. »

Théa grignotait des olives. Un gros paquet de cartes était posé à ses côtés ; Stefan, lui, n’en avait que trois.

« Ta sœur a raison », plaisanta Edrian en tordant son propre paquet.

Ce soir-là, les règles de la bataille impériale lui passaient au-dessus de la tête. Il n’arrivait plus à frapper le paquet central quand deux Empereurs apparaissaient, ni même à retenir quel numéro sa sœur venait de sortir. Il perdait par défaut de concentration. Il ne pensait à rien sinon à ce qu’il avait vu, le midi, dans les souterrains de Faracyl.

Le Projet Raldda, songea le prince.

Projet, ce mot sous-entendait un complot, une idée, un plan. Que fomentait l’Empereur et la Duchesse et SIR.

« Une prison politique », avait théorisé Edrian pendant le déjeuner. Stefan avait haussé les épaules. Le Sicaire était une prise de choix pour l’Empereur, mais pourquoi le planquer ? Le peuple ne demandait qu’une chose, voir sa tête sur une pique, le voir souffrir comme il avait, lui, torturé tant d’innocents. Personne n’avait oublié le sort qu’il avait infligé à la pauvre petite de la baronne Fevolas.

Encore aujourd’hui, Stefan repensait à ce soir de 1912, deux ans plus tôt. Il se revoyait encore, dans son bain du manoir impérial Pereterra de Wortefer, la Demeure Céleste. Une petite télévision portative et à antenne tombait du plafond. L’élocution du Ministre des Armées sur l’opération en Rascaï Aralloise s’était brouillée dans un tonnerre de grésillements. Quand le flux s’était rétabli, le Ministre avait disparu, remplacé par un homme aux cheveux bleus et aux grands yeux cernés de traits noirs.

Sil Karria ; le Sicaire. Stefan se souvenait encore de sa voix, suave et posée. Une voix de contralto.

« La Déesse est Mère de toute chose, Impériaux. Et je suis là pour vous le rappeler. »

Sur ces mots, ces fidèles avaient ramené une fillette dans le champ. Ils lui avaient fait boire un liquide en lui compressant les joues. Elle n’avait pas crié. Elle ne pouvait pas crier. Ils l’avaient attaché à une rondelle de bois que Stefan identifia trop tard.

La télévision avait grésillé de nouveau. Le Ministre des armées était réapparu, le visage sans expression aucune. Dans sa baignoire, Stefan avait eu très froid tout à coup. Son doigt saignait. Le bout lui manquait…

Personne ne sut comment le Sicaire était parvenu à s’exprimer dans le téléviseur. Personne n’ignora non plus ce qui allait suivre ; le duché de Carmesi fut réarmé et l’Empereur imposa à sa sœur de marcher sur le sud où se terrait les Arrieri Berenessaï.

Théa abaissa sa carte. Stefan oublia de frapper le tas central.

« Bon, eh bien, c’est perdu ! »

Enfin. Il s’empara d’une olive et la croqua à bout de dents. Adossée contre un pilier, Joanha fumait en épiant les fenêtres éclairées, au-dessus.

« Meredys n’est pas en train de vous espionner, Mère, la railla Stefan.

— Cela fait un moment qu’on ne l’a pas vue.

— Ce n’est pas pour vous déplaire, non ? »

Joanha haussa les épaules. Théa ne jouait plus, non plus. Elle regardait son frère fixement.

« Quelque chose ne va pas, grand frère.

— Tout va bien, je t’assure.

— Mère ! » Elle se tourna vers Joanha. « Vous le voyez aussi, n’est-ce pas ? » Puis vers Edrian. « C’est depuis que vous êtes partis, à midi. Vous avez fait une découverte ?

— On a trouvé une mine de rubis en plein centre-ville, expliqua Stefan.

— Oh, cela aussi ! pouffa Joanha avec un souffle de fumée. Sa Grâce ducale et sa volonté de soutenir une exploitation minière dans un temple.

— Vous n’êtes pas pieuse, que je sache.

— Non, mais au moins la moitié de son peuple l’est, Stefan. Ne tombe pas dans le même piège qu’elle à croire qu’il n’y a que les maisons nobles d’Edenfjord qui campe dans les colonies aralloises. Il y a aussi, étonnamment, des Arallois qui ont le droit à leur croyance.

— Des Arallois comme le Sicaire.

— Des Arallois dont le Sicaire. Tu seras leur Empereur aussi. Tu ne peux pas tous te les mettre à dos. »

Théa se leva d’un bond.

« Vous parlerez de tout cela plus tard. Grand frère, il faut te requinquer, tu as l’air aussi fatiguée que Mère. »

L’Impératrice pinça sa cigarette.

« Merci. »

Théa l’ignora.

« Je connais un endroit où tu vas pouvoir te détendre. Suis-moi. »

Stefan hésita, un instant, avant de la suivre. Après tout, qu’avait-il de mieux à faire ce soir. Il n’avait pas la tête à éplucher des dossiers et des biographies.

Joanha leur barra la route.

« Il est hors de question que vous alliez ou que ce soit, seuls, vous deux.

— Mère…, plaida Théa.

— C’est non négociable. »

Stefan posa sa main sur l’épaule de sa mère.

« Théa a dix-sept ans, j’en ai vingt-six. Que voulez-vous qu’il se passe ?

— Tu le sais.

— Je le sais, mais je n’y ai pas touché depuis plus de quinze ans. Vous ne pouvez pas continuer à surveiller ainsi.

— Je le peux, crois-moi. Ton père me l’a demandé, il me l’a exigé. Qui peut refuser l’Empereur ? »

Bien-sûr que Bartholomew était intervenu. Son père ne se mêlait jamais de sa vie, sauf quand il pouvait la contrôler. Comme le bon maniaque qu’il était.

« Vous, Mère, souffla Stefan. Vous êtes la seule personne qui est en mesure de lui résister. »

Elle sourit, un sourire hésitant, las presque.

« Si un drame se produit, je serai obligé de l’informer.

Si un drame se produit, vous l’informerez, oui. » Sur ce, il la serra dans ses bras. « Vous n’aurez pas à le faire. »

Stefan allait partir quand un nouveau bras le retint. Edrian cette fois-ci.

« Fais attention », lui dit-il. Et il l’embrassa.

Dehors, la Ciudacarmina nocturne s’éveillait sous les feux d’artifice. Désormais paré d’une chemise de lin blanc, Stefan courrait après sa sœur dans les nébuleuses ruelles pastelles du quartier des Arts. Il manqua plus d’une fois de la perdre de vue parmi les danseurs, les musiciens et les troubadours. Tous avaient dégainés leurs atours les plus colorés et affichaient leurs numéros les plus impressionnants pour attirer le regard des nobles propriétaires des villas aux tortueux jardins dont Stefan remarquait les portails rutilants. Parmi ce raffut, des gamins faisaient les poches de vieux marchands itinérants ou de catins nus et nues remuant sur leurs piédestaux ; tandis que des orchestres jouaient à dos d’éléphants frôlaient les guirlandes colorées hissées entre les façades.

Au coin d’une venelle, Stefan dut même esquiver un cheval qui avait glissé des toits cuivrés où se jouait une course équestre endiablée.

« Théa ! cria-t-il pour couvrir les hurlements surpris et la fanfare des trompettes. Théa, attends-moi ! »

Elle court si vite, ou a-t-elle appris ça ?

Le prince déboula dans l’allée. Il ne la vit nulle part.

Soudain il sentit quelqu’un se jeter sur ses épaules. Pris par surprise, il tituba en avant et se retrouva la joue contre la pierre rouge. Théa riait aux éclats, accrochée comme un lémurien à son frère.

« Surprise ! »

Elle cabriola et se retrouva devant son frère, tout sourire. Stefan ne parvint à réprimer un sourire. Comment s’énerver contre cette bouille ?

« Alors, grand frère, comme ça tu vas te marier ?

— Qui t’a dit ça ? haleta Stefan.

— Mère. Alors, tu l’as vue ? Elle est jolie ?

— Théa… » C’est une femme, voulut-il dire comme s’il s’agissait d’une explication en soi. Au lieu de cela, il inspira. « C’est notre demi-cousine. Capra, elle s’appelle.

— Parfait, tu as l’habitude ! Et cela veut dire qu’elle est jolie si elle de la famille. »

Elle jeta en arrière ses longues boucles blondes.

« Ça je l’ignore, soupira Stefan. Le roi Teodyr n’a pas envoyé de photographie, ni de portrait. Je verrai le jour j, j’imagine.

— Et Ed, qu’en dit-il ? »

Stefan haussa les épaules.

« Rien. Il veut me voir gagner je crois. Et il sait que je ne serai pas un époux fidèle. » Stefan regarda autour de lui. La venelle était sombre et étroite. « Où veux-tu m’emmener comme cela ?

— Juste au bout. Il y a une porte dérobée qui mène aux thermes du quartier. Une entrée privative pour des invités de marque, si tu veux.

— Des invités comme nous, donc.

— Comme moi surtout ! »

Sur ce, elle trottina de plus belle. Au fond de la ruelle, une demi-douzaine de personnes attendait devant un malabar de cent kilos qui montait la garde, bras dans le dos.

« Et vous êtes ? » grogna-t-il à leur approche. Ils avaient doublé la file sans vergogne aucune.

« Des Pereterra », fredonna Théa.

Le malabar les examina.

« Je vous ai vu dans le journal ou à la télévision, je crois.

— Les deux. » Stefan s’impatientait.

« Je crois que c’était la télévision. »

Il s’écarta. Stefan avança aussitôt dans le long corridor humide qui s’ouvrit à lui. En entendant des pas dans son dos, il se tourna vers sa sœur… Et nota qu’elle avait disparu.

« Le petit cœur s’en est allé, expliqua le videur. Pas de panique, vous vous amuserez mieux sans elle. »

Stefan fulminait. Les menaces de Joanha résonnèrent dans son esprit.

« Vous l’avez vue partir ?

— Non. »

Le vigile se détourna.

Les épaules du prince s’affaissèrent. Il se voyait déjà, téléphone entre les mains, à entendre la voix aigre de Bartholomew le calomnier sans hausser le ton.

« Merde, jura-t-il à voix basse.

— Vous cherchez votre sœur ? »

Une voix suave s’était élevée, une voix de femme. Stefan se retourna et découvrit une dame, vêtue d’une élégante robe de dentelle blanche. Elle se tenait encore sur le seuil de l’entrée. Les torches plaquées au mur donnaient à ses yeux verts une couleur éthérée, comme celle des feux follets.

« Je l’ai vue partir au pas de course, elle fusait comme une locomotive. En moins bruyante, bien-sûr. »

Le sourire de la femme étincela. Elle n’était pas belle ; son nez était bossé, ses lèvres retroussées. Mais elle avait quelque chose. Un charme impossible à identifier dans sa manière de bouger, de parler, de fixer ses grands yeux, magnifiques, sur ses interlocuteurs. Stefan avait déjà vu ces grands yeux. Où ? Il ne se rappelait plus.

« Pardonnez-moi, vous êtes ? »

L’intéressée se pencha vers lui.

« Nous bouchons l’entrée, je crois. Avançons, voulez-vous ? »

Stefan acquiesça. Leurs ombres dansaient sur les murs, à la lueur des torches. Des gargouilles aux expressions caustiques les dévisageaient tandis qu’ils se mouvaient, en tandem, vers les vestiaires.

« Votre visage me parle, réitéra Stefan. Je vous ai déjà vu quelque part.

— Vraiment ? J’avoue être touchée.

— Cela ne m’aide pas. »

La femme dégagea une mèche de cheveu brun. Son teint olivâtre trahissait une Aralloise. Théa avait mentionné des bains huppés. Elle s’était peut-être perdue. Ou alors, elle se faisait passer pour une dame mondaine. En tout cas, son accent lui limait les tympans.

« Je suis Octavia Niuë.

— Ah, s’exclama Stefan. Voilà donc où je vous avais vu. » Sur un rapport qu’il avait commandé à Edrian, où il avait lu sa biographie : fille d’un arallois et ennemi magnat du pétrole de Bevriz Artos et d’une Impériale sans terre, orpheline, ancienne sans domicile à Ophis et nouvelle riche qui avait acquis une fortune en un temps record par le commerce. « L’unique prétendante au trône de mon père.

— C’est grisant, je dois l’avouer. D’être unique.

— Vouloir chambouler deux siècles d’Histoire, oui. J’imagine que cela doit exciter.

— En effet. Vous savez, beaucoup fantasment sur le changement. Lorsque j’ai dû recueillir les trois cents signatures de la part des médecins, avocats et j’en passe pour pouvoir me présenter, beaucoup me disaient combien ils souhaitaient qu’un vent de nouveauté souffle sur le système.

— Surtout les femmes j’imagine.

— Les femmes, oui, pas que. Les artistes, les libérés, les Arallois… Ceux qui se sentent oubliés, en d’autres termes.

— Ah, les oubliés. Vous êtes de celles qui plaignent les Arallois lorsqu’ils commettent toutes sortes d’atrocités au nom de la défense de leurs intérêts. Le Sicaire, par exemple. »

Octavia haussa les épaules.

« Les hommes deviennent des bêtes quand leur valeur sont menacées.

— Des valeurs d’oppression et de soumission à une entité fictive.

— Les valeurs de Berenessa sont avant tout des valeurs d’ordre, pas de violence ni d’oppression, comme vous dites. N’importe quelle idéologie peut être tordue et manipulée. En cela, aucun système de pensée n’est parfait, je le reconnais. Et ce même si je crois en la Mère de Toute Chose…

— Vous, une pieuse ? »

Stefan s’esclaffa. De mieux en mieux.

« Moi, une croyante. Cela ne regarde que moi, je ne veux l’imposer à personne. Je ne suis pas là pour faire du prosélytisme.

— C’est pourtant ce que vous faites en vous présentant aux élections.

— Vous et les autres promouvez bien la domination de votre caste de prétendus nobles depuis des siècles.

— Les Maisons Nobles dirigent car elles savent diriger. Elles ont été formées en cela par…

— Par des usines à élites, perdues sur vos îlots fjordiens si pollués et si demandant en ressources que vous avez dû fuir ici.

— La majeure partie des Fjordiens est restée à Edenfjord.

— Mais les Maisons Nobles qui savent diriger sont là, en Aralan. C’est pour cela que les élections sont tenues ici. »

La mâchoire de Stefan se serra. Le couloir devenait de plus en plus moite à mesure qu’ils s’approchaient des bains. Le clapotis des fontaines se faisait déjà entendre.

« Vous méprisez mon Empire et sa politique, dit Stefan entre ses dents. Pourtant, vous voulez le pouvoir qu’il offre, même si vous en êtes étrangère.

— Je suis une citoyenne impériale, désormais. J’ai quitté Ophis à vingt ans, avec mon frère et j’ai eu la nationalité carmesine grâce au duc Roymar. Il est naturel que je m’intéresse à mon Empire et à sa politique. Politique que j’entends plus inclusive. Je ne comptais pas me présenter avant de lire vos programmes à vous, les candidats traditionnels. C’est en découvrant leur aridité en matière de politique aralloise que j’ai décidé de passer le pas.

— Et de devenir la première Impératrice. Sacré pas.

— Sacré pas, oui. Au moins aussi sacré que le vôtre. De Pereterra à Pereterra dans les sphères du pouvoir, quel défi vous avez dû relever. »

Stefan voulait la couper mais il tarda à trouver ses mots.

« Mon engagement n’a rien à voir avec ma famille. » Il s’efforça de rendre ces mots honnêtes, malgré la sueur qui perlait sur son front. « J’aime mon pays, je ne veux pas qu’il tombe entre de mauvaises mains.

— Des mains comme les miennes, j’imagine ?

— Des mains comme celles de mes concurrents. »

Il insista sur la dernière syllabe. Derrière leur grille, les vestiaires se dressaient face à eux. Droite pour les hommes, gauche pour les femmes. Stefan pousser la porte, quand Octavia posa sa main sur la sienne.

« Vous me mésestimez, Stefan. Je vous vois me lorgner de bas en haut depuis que nous parlons. Seulement, je ne suis pas seulement la seule prétendante féminine comme vous le dites si bien. Je ne suis pas seulement non plus la fille d’une impériale et d’un natif éduquée dans le respect de valeurs dont vous vous gaussez. Je suis votre plus grande rivale. Alors, riez donc de mon statut de femme et de ma foi, continuez de croire que je suis un asphodèle condamné à l’ombre pendant que vous jouez à la rose en plein soleil. La fleur qui pousse dans l’ombre croît lentement mais jamais, ne se fera cueillir. Tandis que vous, Stefan, êtes piquant, aguicheur... »

Elle lui prit la main.

« Mais éphémère. »

Octavia s’inclina avec un immense sourire et le planta devant les vestiaires.

Les bains roucoulaient, embrumés par la vapeur. Des piliers de marbre noir soutenaient un plafond vouté, dont la fresque narrait quelque récit berenessaï sans intérêt. Depuis les renfoncements, les gorgones de pierre crachaient des jets paresseux, sous lesquels se prélassaient de riches obèses.

Nu à l’exception d’une serviette autour de la taille, Stefan s’enfonça dans l’eau bouillante. La chaleur lui engourdit les chevilles, puis les mollets et les bras ; le torse, enfin. Les yeux clos, le prince s’essaya à une brasse lente. Il n’avait plus pied. Il n’entendait rien sinon le clapotis de l’eau. Personne ne bougeait, personne ne parlait.

Piquant, aguicheur mais éphémère.

Stefan rouvrit les yeux. Le souffle aquatique d’une statue lui caressait la tête.

Je suis votre plus grande rivale.

Il fredonna, un air. L’hymne à Raldda. L’hymne impérial, écrit par l’Empereur Ceylan pour sa concubine, la sorcière des glaces. Stefan en oublia rapidement l’air. Ses lèvres l’invitaient à chanter ce que chantaient les ouvriers sur le chantier de Faracyl. Un air de rien du tout, un air de liberté.

Il aimait tant chanter. Il s’y voyait, marteau en main, suspendu à une grue. Il frappait le rubis, en chantant. Et donc il était heureux.

« C’est beau ce que tu chantonnes, c’est de qui ? »

Stefan rouvrit les yeux. Sans qu’il ne l’entende, un homme avait émergé de l’eau rougie par les torches. Il devait avoir la vingtaine comme lui. De longs cheveux humides lui tombaient sur le visage.

« Je ne sais pas », répondit Stefan à voix basse.

Le teint de l’homme était halé, brillant ; ses pommettes hautes et ses joues creusées lui donnaient un air de sculpture. Comme une création jaillie du marbre qui aurait doré au soleil.

L’inconnu glissa sa main dans ses cheveux. Stefan sentit son ventre s’éveiller. Quelque part, sous l’eau. Il avait des yeux, d’un vert d’eau brillant. Un vert presque bleu et presque violet. Des yeux magnifiques que les cernes noirs réussissaient à mettre en valeur.

Une création de marbre animée, réellement.

« Je crois que c’est de personne », poursuivit Stefan. Il voulait faire la conversation.

« Il est talentueux alors », plaisanta l’autre. La boutade n’était pas drôle mais Stefan rit de bon cœur. Le silence mortel des thermes avait été perturbé. « Presque autant que celui qui le reprend. »

Ses joues rosirent. Un enfant, songea-t-il. Je suis un putain de gamin.

« Tu chantes, toi ? »

Stefan ne savait même pas pourquoi il s’acharnait à lui répondre. Il ne devait être qu’un lèche-bottes parmi tant d’autres, de ceux qui le reconnaissaient et prétendaient que non. De ceux qui l’espionnaient.

« Malheureusement, non. Mais je peins.

— Tu peins ? Quoi ?

— La beauté.

— La beauté de quoi ?

— De tout. La beauté, en général. » L’inconnu le dévisageait. Stefan remarqua que le vert de ses yeux était cerclé d’une ligne noire et discrète. « Même celle des voix.

— Et tu la peins où ?

— Partout.

— Ici, tu pourrais ?

— Je le fais depuis tout à l’heure. » Stefan souffla du nez. L’autre renchérit. « Mais il y a un endroit que je chérie plus que les autres.

— Ah oui ? Où ?

— En-dehors de l’enceinte de la ville. Villa Fevolas.

— Fevolas ?

— Villa. Le soir, surtout. À minuit. Tous les soirs. Il y en a partout mais c’est là que je vais. »

Sur ce, il se laissa tomber sur son dos et, à coups de bras, s’éloigna dans la vapeur.

« Et attends ! » Stefan avait crié dans les bains. « Comment t’appelles-tu ?

— Irehel », répondit l’autre.

Le prince ne le voyait plus.

« Irréel ?

— Avec un h et un seul r. À l’Aralloise. N’oublie pas l’adresse. »

Stefan affichait un sourire béat. Son cœur battait la chamade. Les yeux fermés, il laissa la gargouille le recouvrir d’eau.

Quand il les rouvrit, il aperçut Octavia dans l’eau. Octavia et…

Meredys.

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