La vapeur chaude qui s'échappe de la douche couvre chaque espace de la pièce. Le miroir s'en retrouve terne, la moiteur recouvre ma peau et rend l'air beaucoup trop difficile à respirer. Pourtant je reste là, assise sur le couvercle des toilettes à attendre patiemment que la personne qui me supplicie se mette à parler. Elle ne m'a laissé ni le temps de l’apercevoir ni celui de comprendre la raison de sa présence. Elle a enfoncé la porte de l'appartement dans une rage que je ne lui ai jamais connue et s'est ruée vers la salle de bain sans un mot. La seule chose qui m'est parvenue d'elle est le bruit de ses sanglots tandis que déjà l'eau se mettait à ruisseler bruyamment avant même que j'ai le temps d'engager un quelconque mouvement.

   Lorsqu'enfin j'entends l'éraillement du robinet qui se ferme, signant une possibilité de survie pour ma personne, celui-ci s'accompagne d'un glissement de rideau qui me laisse complètement mutique. Si je m'attendais à ça... Sa peau habituellement blême est devenue rouge par la chaleur de l'onde qui a dévalé ses épaules, rendant plus discrètes les éphélides sur son torse que je me plais habituellement à contempler. Mais ce n'est pas ce qui me marque le plus, loin de là. Ses yeux sont à demi-clos et gonflés, une entaille balafre sa pommette - promesse d'une vilaine cicatrice en devenir - et je peux aisément apercevoir deçà delà de larges tâches bleues, notamment sur ses bras et son ventre.

   Sans un mot je me lève pour la draper d'une serviette et la frictionner délicatement, prenant garde de ne pas la blesser d'avantage. Mille questions malmènent mon crâne, encerclant ma cervelle dans un étau qui pourrait signer la fin de mes jours. Le silence nous entoure encore alors que je l'aide à s'habiller et que nous nous retrouvons avachies sur le canapé, elle assise entre mes jambes sous un plaid épais et moi entourant son corps en protection en lui caressant délicatement les cheveux d'une main.

   Je ne sais combien de temps est nécessaire à mon amie pour qu'enfin quelques mots osent franchir ses lèvres. Je retiens mon souffle tandis qu'ils me transpercent. Il a fallu de bien peu pour que je comprenne les tenants et les aboutissants de la situation. Les aboutissants étaient déjà visibles. Les tenants en revanche me laissent sans voix. Depuis quelques mois des soupçons s'étaient immiscés dans notre vie lorsque je la voyais partir de plus en plus tôt, rentrer de plus en plus tard et me fuir à la moindre tentative de communication de ma part. Je n'avais pas compris, n'avais pas souhaité voir cet homme qui dessinait comme une ombre de plus en plus envahissante autour de la joie de ma colocataire et meilleure amie.

   Son nom résonne inlassablement en écho derrière mes paupières fermées. Ma mâchoire s'est contractées, mes muscles entiers se sont raidis alors que je tente clairement de me maîtriser pour ne pas sauter immédiatement hors de mon chez moi pour écraser à coups de pelle cette ordure. Elle peut palabrer autant qu'elle le souhaite je ne suis plus là. Le fil de mes pensées est décousu, passant sans préambule de diverses manières de réduire à néant la cause de toutes ses souffrances à une certaine fierté d'être celle auprès de qui elle a eu le courage et l'envie de se blottir pour se confier. Mon cœur ignescent manque d'être réduit en cendres lorsque s'échappent cette dernière affirmation des lèvres tremblantes de la blonde emmitouflée contre moi. "Ici je sais que je suis en sécurité. Protège-moi Abby, il me fait peur."

   Je n'ai su quoi répondre, l'usage des mots ne faisant pas parti de mes spécialités et les jugeant de trop dans l'immédiat. Doucement j'ai embrassé le sommet de son crâne et resserrée doucement mon étreinte sur son corps. Le message intangible et inaudible entre nous est pourtant plus que clair. Quoi qu'il arrive, je serai là.