XXIV. Un sergent-major aux colonies

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Marius est épris du pays qu’il arpente. Quand il évoque ses voyages, accompagné d’une équipe de porteurs, de suite une image surgit : Tintin au Congo. Comme ici, avec ses soucis de voyage : « mes porteurs se sont sauvés en abandonnant mes bagages au village où j’ai couché ». D’autres tracas viennent s’ajouter. Il doit renvoyer le cuisinier incompétent, trouver un boy pour le remplacer. Le militaire a des serviteurs et des exigences. En matière de cuisine, il s’assure d’être le mieux loti, de façon à garder une bonne santé et profiter des plaisirs de la chair.

« Je m’arrête un moment, l’on m’apporte trois antilopes que j’ai tuées ce matin ».

Il aime parler des trésors d’Afrique qu’il expédiera ou ramènera : plumes d’aigrette, ivoire travaillé, «une peau de marabout, un beau duvet blanc, qui, m’a-t-on dit, ferait une belle toque pour enfant […] une coiffure pour notre Petit Jean ».

Car Marius évoque régulièrement Petit Jean dans ses courriers. Non seulement, il le connaît, mais il semble avoir passé du temps avec le petit garçon. Il se pourrait même que ce soit lui qui ait suggéré à Marie Corot de devenir la nourrice de Petit Jean.

Epoisses, le 14 août 1919

Marius écrit à Isabelle: “Je crois que nous sommes presque d’accord pour notre Petit Jean jusqu’à votre retour, à moins que chez nous ne veulent pas. Marguerite l’aime beaucoup et en prend bien soin.” On retrouve avec tendresse des expressions bourguignones : Chez nous signifie les gens de chez nous.

Marguerite est la fille des Corot. Elle est alors âgée d’une dizaine d’années. Petit Jean est bien resté en nourrice chez les Corot, y compris après la mort d’Isabelle. Un détail du courrier est particulièrement touchant. Sur le bord de la première page, écrit à la perpendiculaire, des lettres malhabiles sont tracées.

« Baisers à maman Isabelle - Ton fils Jean »

Marius explique :

« Le Petit Jean, en me voyant écrire, m’a demandé de vous envoyer ses baisers. C’est lui sous la conduite de ma main, qui vous a tracé ses quelques mots. Il est bien gentil et très aimable pour nous tous, nous nous embrassons 100 fois par jour. »

Ces mots accompagnent la lettre comme une tendre pensée d’amour.

Dans ce même courrier, les intentions de Marius sont très claires :

« Entendu, mon adorée, je vous remercie de votre confiance pour le choix de ma petite bague. Demain nous allons donc tous à Torcy et il est probable que c’est Monsieur Massé qui me conduira à Semur. Nous parlerons longuement de tout ce qui se sera passé ici mais tout me semble aller au devant de nos chers désirs. ».

Ici il est question d’une bague, de fiançailles probablement. Sans extrapoler, il apparaît que la démarche de Marius auprès de la famille Massé prend une allure toute officielle. Il a l’intention, ferme et résolue, de demander la main d’Isabelle à Augustin Massé.

« Je vois dans vos mots combien vous voudriez que je passe plusieurs jours auprès de vous. De mon côté j’ai les mêmes sentiments mais je ne puis partir plus tôt d’ici.

J’arriverai donc dimanche à midi pour repartir mardi de façon d’arriver à Paris à huit heure du soir et à Bordeaux le 20, à sept heure du matin. Voyez ma chérie combien nos moments sont comptés et seul un sursis de départ du bateau peut me permettre de passer plus de temps auprès de vous. J’en suis bien chagriné mais je crois que vous en comprendrez les difficultés. Je dois être rentré le 20 à sept heures.

[...]

Ne vous dérangez pas pour moi, je saurai vous trouver, crainte parfois d’un retard du train. J’arriverai au plus vite. J’ai hâte de vous embrasser bien longuement.

Je ne doute pas du bon accueil que je recevrai au milieu de vous, je vous remercie bien à l’avance de toutes ces prévenances.

[...]

Au revoir ma chérie. Quelle joie de vous revoir. Soyez forte quand nous nous quitterons, je crains pour vous de durs moments. Il faut penser que nous sommes liés à jamais, que l’un pour l’autre et pour notre Petit Jean nous devons vivre et que je ferai l’impossible pour écourter cette absence maudite qui néanmoins sera à notre avantage .

Bons baisers, ma chérie, et à dimanche, l’heureux moment de vous revoir .

Votre Marius pour la vie».

Seuls Isabelle et Marius savent ce qui s’est passé entre le dimanche 17 le mardi 19 août 1919 . Mais Marius a laissé des indices empreints d’émotion, que l’on décèle jusque dans l’encre déposée sur le papier.

« Je relis vos chères lettres du 21 et 22 août, celles qui durant que vous y transcriviez vos pensées me suivaient du coeur, je suis très touché en les lisant.

[...]

En quittant cette chère terre de France, mes yeux étaient tournés de votre côté, je vous voyais aussi gentille, le visage couvert de larmes et vos derniers adieux alors que le train passait et que vous étiez près du ruisseau, je me suis maîtrisé, j’aurais fait demi-tour pour rester un jour de plus.

Ces deux journées, heureuses, passées auprès de vous ont noués à jamais nos serments pour la vie. »

Il se réfère sans nul doute à quelques moments d’intimité qu’il lui appartient de préserver au-delà des mots.

Marius rejoint Bordeaux le 21, puis embarque à bord du Tchad.

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