V. Le grand jour est arrivé.

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Petit à petit la salle se remplissait, les convives arrivaient à peu près à l’heure convenue. Sauf les habituels retardataires qui se mêlaient discrètement à la petite foule et venaient trinquer. Comme à chaque réunion de famille, on était surpris de se retrouver si nombreux. Il devait y avoir ce jour-là une petite centaine de convives. On avait souvent un peu de mal à se reconnaître entre nous. Il y avait si longtemps que l’on ne s’était pas vus (jamais, en fait, pour certains…). On reconnaissait quelques têtes, on devinait le lien de parenté, on engageait la conversation. Bref, les invités s’observaient, faisaient plus ample connaissance. Chacun, chacune, prenait place, la salle était assez grande pour accueillir ce petit monde des Massé.

Dans la grande salle qui accueillait la cousinade, de grandes tables rondes, nappées de blanc, avaient été disposées en archipel. Cette configuration offrait à chacun l’occasion de se retrouver avec les membres de sa propre famille. Des tables étaient dédiées aux Berthaut, d’autres aux Arbault, aux Rat, aux Peulot, aux Canat, et certaines... aux Massé.

Tous ces noms étaient familiers, ils dansaient dans les brumes de la mémoire généalogique des descendants. Nous les connaissions tous, ces noms, mais quant à savoir qui était qui...précisément et présentement... Il allait falloir réviser. Comme pour toute réunion de famille.

Et pourtant, cette fois-là, l’enjeu était sensiblement altéré par la révélation de l’existence d’Isabelle et de sa descendance. Un véritable jeu de piste allait commencer pour en savoir plus sur cette Isabelle qui, il y a près d’un siècle, avait été effacée.

Comme souvent, les groupes se formaient par tranche d'âge. Les proches cousins, tous autour de la quarantaine, s’étaient naturellement rassemblés, se connaissant mieux. Et nous commencions à chuchoter et à faire des messes basses.

— Alors, c’est lesquels ? Ils sont où ?

— À quoi ils ressemblent ? Tu as des photos ?

— Ben non. D’ailleurs, c’est bizarre, pourquoi est-ce qu’on ne les voit jamais sur les photos de famille ?

Il n’en fallut pas plus pour nous plonger dans les albums photo apportés pour l’occasion. Dans le brouhaha des souvenirs convoqués, une vieille photo de famille se mit à circuler, celle du mariage de Marcelle, la cadette des sœurs Massé.

La photo, classique, en noir et blanc, datait visiblement de l'entre-deux-guerres. Avec les mariés au milieu, et les familles de part et d’autre. Quelques enfants au premier plan, en tout, une trentaine de personnes. Le jeu du Qui est-qui pouvait commencer ?

Au centre, on identifiait facilement Marcelle (1903-1995) - c'était la mariée - et à sa droite Célestin Gueniat (1902-1973), son mari. Célestin, Tintin. Et donc Marcelle, la Tintine. Jusque-là, tout le monde suivait.

— Là, à droite de la mariée, ça doit être sa mère...

— Oui, c’est forcément Marie. Regarde, elle a un renard sur les épaules.

— Dis donc, elle n'avait pas l'air commode, la Marie ! On ne peut pas dire qu'elle sourit.

C’était la première fois que nous mettions un visage sur celle qui avait joué un rôle central dans toute cette histoire. Marie Domino nous apparaissait le visage fermé sous un grand chapeau qu’elle avait dû acheter pour l’occasion, un je-ne-sais-quoi d’inquiétant qui évoquait une sorcière. Elle aurait très bien pu sortir d'un film de Harry Potter.

— Et l’homme qui est assis au premier rang, juste devant Marie, à la place du père, ce ne serait pas Paul ?

— Bien sûr ! Augustin doit déjà être décédé. Il faut quelqu’un pour mener Marcelle à l’autel. Logique, c’est le frangin qui s’y colle…

Oui, Augustin mort, sa fille, Marcelle, avait eu besoin de quelqu’un pour la conduire à l’autel, comme le veut la coutume. Les liens de famille font que c’est le frère d’Augustin qui avait dû se substituer au rôle du père décédé, pour ne pas laisser la jeune fille seule. Dans la famille Massé, on ne badinait pas avec les règles imposées par la tradition !

Paul Massé porte bien le costume, endimanché pour la photo et le mariage. Il a le crâne lisse et la moustache triomphante.

Paul, cadet d’Augustin, naît en 1871. Quand en 1905, il épouse Louise Marsot, c’est un homme d’âge mûr. Au début du XXe siècle, pourtant, on se marie jeune. Paul a déjà 34 ans. Sans doute est-il considéré comme un vieux garçon prenant pour épouse une jeune femme. Non pas une jeunette, toutefois… Louise a 25 ans.

Alors qu’Augustin et Marie auront quatre filles, Paul et Louise auront un fils, un unique enfant, Jean. Jean Massé, donc. De 7 ans l’aîné de son homonyme. Il y a fort à parier que c’est ce qui a donné son surnom à Petit Jean, pour ne pas les confondre. Jean Massé (1er du nom) avait eu trois fils. Deux d’entre eux, Pierre et Jean-Paul, étaient présents à la cousinade.

Revenons à notre photo de mariage.

Pas de doute, on reconnaissait Gabrielle, la sœur de la mariée, à côté de Paul. Elle est la seule à porter une tenue claire, un vêtement qui contraste avec ceux des autres personnes sur la photo (hormis la mariée évidemment).

Peut-être que Gabrielle, dans sa robe claire, joue un rôle particulier ce jour-là ? Est-elle témoin de la mariée ?

A sa gauche, est assis François, son mari. Il a une certaine allure avec sa petite moustache (devenue depuis tristement célèbre… ). Il fait bien sérieux, même s'il a choisi un nœud papillon alors que les autres portent la cravate. Pourtant on croit deviner à son expression… un air amusé, il semble content d’être là.

« Mais où est la benjamine, Janine ? Et le petit garçon devant François, est-ce que c’est Robert ? Et devant Paul, ça pourrait être Jean, le fils de Paul. Mais où est Louise, la femme de Paul ? Et où est Petit-Jean ? »

Les questions fusaient en tous sens pour deviner qui était qui. Sans la date précise de la photo, nous étions en butte à de trop nombreuses incertitudes…

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