Endométriose

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Marie-Anne patientait dans la salle de son médecin. Quelle ironie pour elle, psychiatre. Elle soupira et essaya de se détendre en fermant les yeux. Quelques respirations profondes et elle rouvrit les paupières, essaya de se concentrer sur le magazine de la salle d’attente. Elle avait choisi un vieux numéro de Gala, une crétinerie sans nom qui permettait aux gens de satisfaire leur besoin de voyeurisme ou de potins. Où avait-elle lu cette étude qui disait qu’en lisant ce genre de magazine, on recréait une sorte de « village » comme il pouvait y en avoir dans la préhistoire ? Quels étaient les détails, les noms des auteurs ? Elle ne s’en souvenait plus. Ses règles venaient de se terminer deux jours auparavant, elle en ressentait encore les effets : la fatigue empêchait l’accès à son cerveau, à sa mémoire. Elle n’avait pas ces symptômes avant. Elle n’arrivait même pas à fixer son attention sur les lettres, l’encre se brouillait devenait floue.

— Madame Morita ?

Elle se leva, suivit le docteur Daceau, son confrère, s’assit, attendit le verdict.

— Bon, madame Morita, on ne voit rien sur les clichés.

Ses épaules s’affaissèrent. Encore une fois, encore une fois, on lui disait ça.

— Mais je vous dis que ce n’est pas normal ce que j’ai !

— Avoir quelques douleurs pendant les règles, c’est tout à fait normal, voyons.

— Normal ? Vous plaisantez ? vous trouvez normal d’avoir l’impression d’une bouteille d’acide sulfurique dans le ventre ? Normal d’être obligée de prendre des dérivés morphiniques ! Je ne peux même pas me lever pour mes consultations !

— Vous exagérez, madame, c’est dans la tête tout ça.

Marie-Anne se raidit, grommela un au revoir et partit sans se retourner. Elle quitta l’hôpital à longues enjambées rapides. Elle savait qu’elle ne devrait pas, que la douleur réapparaitrait mais la colère était la plus forte. Elle parcourut le parking à la même vitesse et alla s’effondrer derrière le volant de sa voiture. Dans la tête, elle ? Mais elle avait suivi les mêmes études que lui et plus encore ! Elle savait reconnaître les symptômes bordel ! Elle était médecin psychiatre ! Pourquoi ne pas dire à un barman qu’il ne sait pas faire des cocktails ? Elle se sentait insultée aussi bien en tant que femme que médecin. La douleur commença à arriver. Le rat de son mal commençait à ronger ses entrailles, à les dévorer. Ses dents la transperçaient comme une baïonnette, lui ravageait l’intérieur, l’utérus, les ovaires, la vessie… Ses cours d’anatomie remontaient à la surface au fur et à mesure qu’elle sentait l’acide se propager sur ses plaies : cul-de-sac de Douglas, épiploon, ligaments larges, ligaments utéro-sacrés, uretères… Et il disait qu’elle n’était pas médecin !

Un cri aigu, venant du plus profond de son ventre, s’échappa de sa gorge. Elle hurla sa souffrance, le mépris qu’elle avait reçu en pleine face, l’humiliation. Elle avait les dents serrées, lèvres entrouvertes, le visage crispé comme une lionne qui gronde. Ses yeux s’enflammaient de colère et les flammes éteignaient ces flammes. Sa colère se calma au fur et à mesure que la douleur l’envahissait. Sa formation cartésienne reprit peu à peu le dessus. Elle essuya ses yeux du bord de sa paume. Une grande inspiration et elle rouvrit la portière, alla chercher sa trousse dans le coffre. Elle avait toujours des médicaments avec elle, de par sa profession ou ses troubles récents. Elle inspecta les blisters de la pointe de ses ongles. Quelle puissance de médicament pour sa douleur ? Si elle s’écoutait, elle prendrait directement sa seringue et la morphine. Mais elle devait faire attention à l’accoutumance. Surtout, elle savait qu’il y avait des crises bien pire que celle qu’elle allait vivre si elle ne prenait pas un antalgique immédiatement. Elle avait parfois commis la bêtise de laisser des douleurs s’installer, elle en avait vomi puis elle s’était évanouie. Elle prit un cachet et retourna à sa place pour l’avaler avec une gorgée d’eau.

Elle attendrait une quinzaine de minutes puis retournerait chez elle. Elle avait un rendez-vous ce soir-là. Une nouvelle patiente. Elle essaya de se concentrer sur cette femme, de penser à son serment d’Hippocrate. Marie-Anne aimait rencontrer de nouvelles personnes, découvrir de nouvelles personnalités, poser les questions pour enquêter et savoir ce qui n’allait pas était passionnant. Cela voulait dire qu’elle avait réussi à soigner des patients et qu’ils ne revenaient plus la voir, qu’elle avait de la place pour une nouvelle personne. Oui, il fallait se concentrer sur ces sentiments positifs, oublier ce confrère hautain, ces examens inutiles. Il fallait continuer à se battre, se maquiller, sourire, vivre une vie de femme malgré la douleur qui explosait dans ses organes.

Elle arriva avec quinze minutes d’avance. Elle décida de méditer un peu en écoutant de la musique zen. Ça la reposerait un peu de la fatigue de la route. Cela fonctionna si bien que ce fut la sonnette qui la réveilla. Marie-Anne se leva en baillant et se dirigea vers la porte d’entrée. Une jeune femme au teint bistre se présentait en face d’elle, le visage un peu défait, un maigre sourire aux lèvres, un peu forcé. Marie-Anne la conduisit dans sa salle de consultation. Il y avait des chaises rigides, des fauteuils confortables, des canapés moelleux, chacun pouvait se mettre à l’aise.

— Je vous laisse vous installer où vous voulez, Yasmina. Je vous fais un thé, un café ? J’ai du jus de fruits aussi.

— Un thé, s’il vous plait, docteur.

— Vous pouvez m’appeler docteur ou Marie-Anne, comme vous le souhaitez, dit-elle en préparant les sachets.

Il ne fallut pas trente secondes à l’eau pour bouillir. Elle posa tout sur un plateau et, lorsqu’elle revint de la kitchenette, elle vit que la demoiselle s’était installée sur le sofa. Elle déposa donc la vaisselle sur la table basse attenante pendant qu’elle s’installait dans un des fauteuils. En s’emparant de son stylo et son bloc pour prendre des notes, une pensée fugace lui apparut. Elle aimait le velours d’antan de ce fauteuil. Il la réchauffait et la réconfortait. La psychiatre sourit doucement en se réinstallant dans son siège.

— Alors, Yasmina, dites-moi ce qui ne va pas.

— Et bien, comment dire, je ne sais pas très bien par où commencer. Il y a si peu de choses qui vont !

La patiente lui jeta un regard demandeur, attendant son approbation. Marie-Anne hocha très légèrement la tête mais resta silencieuse. Il fallait qu’elle se lance. Yasmina se tritura les mains, nerveuse et inspira un grand coup.

— J’ai une maladie qui me bouffe la vie, c’est affreux et je cherche un avis extérieur, quelqu’un à qui je puisse me confier parce que je n’en peux plus, je n’en peux plus !

— Quelle est donc cette maladie ?

— L’endométriose, le « cancer dont on ne meurt pas », souffla-t-elle. L’endomètre, vous savez, les cellules qui tapissent la muqueuse utérine ? sont présentes hors de l’utérus. On n’en sait pas beaucoup sur cette maladie, même si elle touche une femme sur dix en France. Ces cellules se fixent dans d’autres organes et provoquent des lésions, des kystes, des réactions inflammatoires, entre autres. Les symptômes varient en fonction des gens. Pour moi, j’ai tout le temps mal au pelvis, j’ai mal pendant que je fais l’amour avec ma moitié, je ne peux même pas me lever pendant mes règles tant la douleur est abominable ! Je suis obligé de poser des jours de congé, mon patron râle, je sais de la part d’un collègue qu’il est en train d’entamer une procédure de licenciement, mais ? Vous pleurez docteur ?

Anne-Marie eut un sursaut à cette question. Ses joues étaient à nouveau inondées de larmes. Elle s’entendit dire d’une voix blanche :

— Ce sont exactement les symptômes que j’ai.

****

Je ne souffre pas de cette maladie (du moins, je ne pense pas) mais je viens d’en lire un livre « La maladie taboue » par Marie-Anne Mormina. J’ai été édifiée par le fait que cette maladie qui touche au moins 180 millions de femmes dans le monde ne soit pas plus connue (de la part du personnel soignant ou du grand public), ni étudiée, ni soignée à défaut d’être guérissable. Il faut en moyenne sept ans pour être diagnostiquée ! Si ça se trouve, vous connaissez une femme dans votre entourage qui souffre de cette maladie sans le savoir.

Ce récit est un geste militant, mais c’est surtout une histoire qui me vient des tripes. Ce qui explique sa prévisibilité dans la trame mais bon : c’est elle qui s’est imposée à moi.

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