La poussière et la lumière

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La lumière.

La poussière y navigue comme un millier de navires que je perçois à peine. Elle a cette subtilité habituelle. Cette poussière. Elle flotte. J'ignore d'où elle vient exactement d'ailleurs. J'en respire probablement puisque je ne la vois pas lorsqu'il n'y a aucune lumière. La nuit, je ne la vois pas.

Je me souviens de cela.

Est-ce réellement ma mémoire ? Tout est bien plus complexe que cela. Tout est si différent aujourd'hui. Mais je ne m'en soucie guère. Je me contente d'observer ce qui se trouve autour de moi. La lumière me parvient d'une fenêtre, tout là-haut, une sorte de velux. C'est très haut. Beaucoup trop pour que je puisse ouvrir cette fenêtre. D'ailleurs, je n'en n'est pas réellement envie. Non, ce qui m'attire est là, juste devant. Il me faut d'abord traverser ce voile de lumière poussiéreux. J'avance.

Non.

Rien ne se passe.

Bloqué là, entre l'espace vide et la lumière, je ne parviens pas à me mouvoir. Je savais que la première fois ne serait pas si simple... Papa m'avait prévenu...

Alors je me concentre.

A mesure que je me focalise, je me souviens les conseils de papa...

"Ne sois pas si pressé. Ce que tu cherches peut très bien se trouver à tes pieds, à droite, à gauche, un peu partout où ton regard se portera. D'abord, les détails te paraîtront grossier. Deux ou trois détails, pas plus. Des objets. Mais concentre-toi. En fait, il faut se concentrer puis se laisser aller. Se laisser aller au gré du souvenir à dit Docteur Thompson. Si tu ne te laisses pas aller, l'expérience ne sera pas vécue à cent pour cent tu comprends ? Mon but, mon fils, c'est de te renvoyer là-bas...cet endroit que tu aimes tant...mais que nous avons perdu...mon fils..."

Papa a pleuré ce jour-là. Encore. Il m'observe en ce moment même, je le sais. Je veux le rendre fier. Et je veux surtout atteindre mon but. Cette maladie m'a tout pris...tout...

Je me concentre et balaie la pièce - qui n'en n'est pas encore une - de gauche à droite. Une balle rebondissante ici. Je me souviens...

"Fiston envoie-moi ça comme jamais !

- Ca arrive p'pa !

- Yes ! J'attends de voir ! Montre-moi ce que tu as dans le ventre !"

Je compte, UN, DEUX, TROIS ! La balle s'élance à une vitesse que je n'avais même pas soupçonnée. Un boulet de canon ! Voilà qu'elle atterit en piquée dans la vitre de la chambre...

"STRIKE ! Bien jouer fiston !!" Papa ne m'a pas grondé. Jamais...

Ce jour-là, on pouvait ressentir le lien qui nous uni. En fait, j'en ai même pleuré le soir venu. Après l'histoire du soir, j'ai plongé ma tête sous les couvertures Toy Story qu'il m'a offert près l'accident... j'ai allumé la lampe torche et fait des ombres avec mes mains. Un lapin. Un âne. Un éléphant. Les formes sur le plafond mansardé me font monter les larmes aux yeux. Et si un jour papa ne jouait plus avec moi ? et si un jour je disparaissais ? Après tout, l'accident a tout changé...Je ne peux plus marcher...Je dirige la lampe torche hors des couvertures pour éclairer le fauteuil roulant. On l'a customisé avec papa. Un Buzz l'éclair pointant le poing vers l'espace. Papa y tenait. Il me rend heureux. Malheureusement, demain, j'aurai déjà tout oublié. Pour recommencer une nouvelle journée...à cause de l'accident...

J'ouvre les yeux que j'avais fermé. Me concentrer c'est difficile. Pourtant, j'ai réussi : là où seule la balle rebondissante se trouvait, un lit, des couvertures Toy Story, une lampe torche éclairant un plafond mansardé ainsi que des formes d'éléphant, d'âne et de lapin se baladant au mur sous forme d'ombres chinoises...et à quelques pas de là, sur un parquet flambant neuf mais tout de même ancien, un fauteuil roulant. Mon fauteuil.

Ca fonctionne...

Mes souvenirs, ma mémoire apparaît sous mes yeux. L''atmosphère, l'odeur d'un temps que je pensais effacé et éttouffé dans l'océan de ma mémoire abîmé, tout est recréé ici, sous mes yeux. Des larmes me montent. Je ne suis pas triste, tout me paraît réel. Tout est réel.

Je peux à présent avancer. Mes jamabes ! C'est à peine croyable. J'avance sans l'aide de mon fauteuil. Comme si l'accident n'avait jamais eu lieu...

"Visualise. Visualise et tu pourras créer ton univers Tom." me dit le Docteur Thompson avec un sourire, derrière son bureau de médecin important.

"C'est quoi visualiser ?" lui demandé-je.

"C'est comme regarder un film. Un film que tu projettes grâce aux projecteurs de ton esprit Tom. Là-dedans, tu peux tout faire. Tu penses être abîmé depuis l'accident de voiture. C'est normal. Mon travail c'est de te permettre de démentir cette pensée Tu peux tout faire avec l'aide de ton cerveau. Avec les avancées actuelles, je peux te garantire, Tom, que tes souvenirs te reviendront. Il suffit d'y croire. Voilà mon travail."

Tout est flou. Je reçois les souvenirs des entretiens avec papa, le médecin et moi. J'ai du mal à filtrer toutes les informations. Mais je me concentre. Les couleurs chaleureuses de la lumière descendant de la fenêtre lointaine éclairent la pièce qui se dessine de plus en plus clairement.

Un parquet brun, neuf. Mais une odeur de vieux. L'odeur de mes premiers livres...de ma première bibliothèque...je ressens tout cela. La balle bleue, rouge et jaune. Le lit Toy Story. Les ombres chinoises d'animaux. La lampe. Chaque objet m'éclaire de par sa perfection, sa bonté et la beauté de ma mémoire qui se réactive là, juste sous mes yeux.

Un pas.

Deux pas, puis trois. Et voilà que je parviens à me mouvoir dans l'espace. Je tends la main vers le halo de lumière alors que mes pieds nus font grincer le parquet imparfait que papa a posé il y a quelques jours... Mes doigts fins parviennent à la lumière chaude...j'essaie lentement de m'imprégner de cette chaleur...mes doigts traversent la poussière, les particules minuscules de vie qui flottent au centre de ma chambre.

Voilà où je suis, un endroit de mon esprit, recréé là, devant moi, un endroit que l'expérience du Docteur Thompson a transformé en mon endroit favoris de l'époque : ma chambre d'enfant.

Ce n'est que le début de mon exploration dans les méandres de ma mémoire...

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