Chapitre VII

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 Issari se réveilla allongé sur le sol, les cheveux sur un tapis de feuilles humides. La douleur qui avait habité ses bras avait disparue. Il leva l'un d'eux au dessus de lui et constata qu'aucune blessure n'était visible. Aurait-il rêvé ? Il retourna sa main. Non, du sang séché se craquelait à chacun de ses mouvements et quatre de ses ongles avaient laissé la place à une peau rosâtre et gonflée en guise de cicatrice.

  • Père... Mère... murmura-t-il.

 La lumière du jour désertait déjà la forêt. Primer se cachait à moitié derrière l'horizon et apparaissait légèrement vert. Secto le rejoindrait d'ici quelques heures. Le crépuscule faisait progressivement chuter la température et il frissonna. Où bien était-ce à cause des récents évènements qui lui revenaient en mémoire ?

 Ses parents n'étaient plus, et tout ça à cause de ces petites créatures. Il aurait tant voulu les tuer de ses propres mains. Leur rendre au centuple tout ce qu'ils leur avaient fait subir, à ses parents et à lui. Il enrageait d'avoir été impuissant face à seulement deux individus. Des nains qui plus est. Pourquoi n'avait-il pas pu se défendre et protéger ses parents ? Il regrettait amèrement d'avoir un jour croisé leur chemin. Et Penthel... Il avait pris sa défense et avait lui aussi trouvé la mort. Une rage profonde naquit au plus profond de lui. Il vengera la mort de ses parents. Il tuera tous les nains, car comme lui avait dit l'elfe, tous partageaient un même avis sur les humains. Il les tuera tous, jusqu'au dernier ainsi que tous ceux qui oseront se mettre en travers de son chemin. Il en fit le serment. Il entreprit de s'asseoir afin de mieux évaluer l'endroit où il se trouvait mais ses muscles lui obéirent difficilement.

  • Et merde Issari, ne te relève pas si brusquement, tu dois te reposer.

 Tiha. Que faisait-elle là ? Il entrevit une masse émeraude à côté d'elle. Raziel. Il tenta d'articuler mais aucun son ne sortit de sa bouche.

  • Reste-là, ne fais pas d'efforts trop brusque ou tu risques de t'évanouir de nouveau.

 Elle posa une main sur son torse pour le forcer à s'allonger. Ses doigts étaient noirs. Aussi noirs que le charbon, et entièrement décharnés, squelettiques. Cette couleur remontait le long de son avant-bras et semblait prendre fin au niveau du coude, où la couleur naturelle de la peau reprenait le dessus, ainsi que les muscles. Son amie capta son regard et retira sa main aussitôt.

  • Ah, ça... Je ne suis plus aussi douée que jadis. J'ai payé le prix fort pour avoir lancé un sort trop puissant. J'ai surestimé mes capacités et si ton dragon ne m'avait pas aidée tu aurais un cadavre en face de toi. Et merde, je suis devenue inutile !
  • Comment... Comment ça ? Et comment as-tu su que tu nous trouverais ici ?
  • Eh bien, ça a commencé dès que j'ai senti la présence de ton dragon, lorsqu'il a éclos, alors j'ai veillé sur lui de loin. Je lui suis venue en aide il y a quelques jours alors que j'ai senti qu'il était blessé. Enfin je l'ai mis sur la voie, c'est lui qui s'est sorti de cette situation. Donc quand il t'a sauvé des griffes de tes ravisseurs, j'ai senti sa détresse et je l'ai contacté. Il m'a fait un rapide résumé alors j'ai avalé ma choppe et je suis venue aussi vite que j'ai pu.

 Il se releva doucement et s'obligea tant bien que mal à rester sur ses jambes encore tremblantes.

  • Et ta main ?
  • J'ai d'abord arrêté l'hémoragie grâce à ma magie. Et comme il me restait des forces j'ai voulu te soigner. Bon, j'ai commis une erreur de débutant, j'ai oublié la règle de l'équilibre universel.
  • C'est quoi ça, l'équilibre universel ?
  • Pour faire simple, chaque sort lancé coûte une certaine quantité d'énergie et j'ai sous-estimé les besoins de ce sort. Ma main a commencé à se nécroser pour être transformée en énergie pure et si ton dragon ne m'avait pas donné une partie de ses forces, j'y serais passée. Mais enfin, qu'est-ce qui t'a pris de chercher les problèmes avec ces gens là ?
  • Parce que tu crois que je voulais que tout ça arrive ?! s'emporta-t-il. Tout ce que je voulais c'était soigner mon père !
  • Ça ne sert à rien de t'énerver, t'as bien dû leur faire quelque chose qu'ils n'ont pas aimé, sinon rien ne serait arrivé.
  • Peut-être, mais j'aurais jamais volé le remède s'ils avaient voulu me le vendre ! C'est eux qui ont commencé !!
  • Tu les as volé ? Et merde ! Je comprends mieux, ils sont réputés pour être intransigeants avec les voleurs, mais je ne pensais pas que c'était à ce point. Quoi qu'il en soit, il va falloir partir avant que les autres ne se rendent compte que leurs camarades sont morts, sinon ils vont venir nous trouver et finir le boulot !
  • Tout ce que je veux c'est venger mes parents et tous les tuer ! Jusqu'au dernier ! Alors qu'ils viennent !
  • Ah oui ? Et comment tu vas faire petit génie ? Tu n'arrives même pas à tenir debout !
  • On va s'occuper d'eux avec Raziel !

 Ce dernier fit claquer son immense mâchoire et grogna longuement.

  • Je vais le faire pour toi Deux-pattes, intervint-il. Je les tuerais tous si c'est ce que tu souhaites et je leur ferais payer le mal qu'ils t'ont fait !
  • Arrêtez vos idioties tous les deux ! Raziel je te rappelle que tu m'as donné une bonne partie de ton énergie pour soigner Issari, quant à moi je ne suis plus bonne à rien avec ma main pourrie. Si vraiment vous voulez vous venger vous devrez apprendre à vous battre correctement, et je sais où aller pour ça, Issari tu apprendras à développer des pouvoirs dont tu n'as même pas idée.
  • Très bien, mais je veux faire mes adieux à mes parents avant et leur offrir une sépulture, ils ne méritent pas d'être laissés comme ça...
  • On a pas le temps de leur creuser des tombes, il faut partir au plus vite !

 Raziel gratta le sol et commença à creuser un trou.

  • Je peux creuser, ce n'est pas un problème, dit ce dernier de sa voix grave.

 Tiha hésita un petit moment, puis reprit.

  • Bon, c'est d'accord, je vous donne deux heures. Après il faudra partir.
  • Et pour aller où ?! Je n'ai nulle part où aller !
  • Nous allons nous rendre à Satbury, c'est une ville au Nord-Est de Lusivan à une semaine à cheval. Prends tout ce que tu jugeras important, je vais trouver des chevaux.
  • Nous ? Qu'est-ce que tu gagnes à venir avec nous ?
  • Tu ne connais pas la route, et il faut bien quelqu'un pour te protéger ! Et puis ça va me faire de bonnes histoires à raconter. Sais-tu si quelqu'un au village a des chevaux ?
  • Avallach a deux chevaux, mais je ne pense pas qu'il voudra s'en séparer.
  • Je m'arrangerai avec lui. Prends ton tablier de forgeron, il nous sera utile pour la suite ! Rassemble tes affaires et rendez-vous ici à la tombée de la nuit, dans deux heures.

 Tiha s'éloigna au pas de course, laissant le garçon seul avec son dragon. Il sortit de la forêt et se dirigea tant bien que mal vers les ruines de sa maison, suivi de près par Raziel.

  • Ne me suis pas comme ça, quelqu'un pourrait te voir.
  • Je t'accompagne Deux-pattes, on ne sait jamais... Et je vais creuser les tombes.
  • Tu n'as qu'à voler jusque derrière la maison et commencer à creuser alors ! répondit-il sèchement.

 Le dragon s'immobilisa et regarda son petit protégé s'en aller, puis prit son envol.

 En réalité, Issari n'avait pas envie d'être en sa compagnie. Certes c'était lui qui avait volé le remède, mais c'était Raziel qui lui en avait donné l'idée. C'était lui le responsable de tout ce qu'il s'était passé. Sa rage devait trouver un responsable et le dragon était tout désigné. Sa vie avait basculée depuis le moment où il était entré dans sa vie. Et puis surtout, il lui avait mis en tête de voler le précieux liquide. Quelle idée d'avoir suivi ses conseils ! Bon d'accord, il ne l'avait pas forcé, mais tout de même. Il n'aurait pas dû l'écouter. Il aurait dû savoir qu'il ne pouvait en résulter que de mauvaises choses. Peut-être qu'il avait une part de responsabilité lui aussi... Non ! En aucun cas ! Il refusait d'y penser.

 Après quelques minutes de marche, il aperçut les ruines de la maison familiale. Une boule se forma dans son ventre et lui compressa la poitrine, l'empêchant de respirer. Il hésita à poursuivre sa route. La peur de découvrir le tableau morbide le fit hésiter. Il regarda sa main et contempla les quatre ongles manquants. Oui, il poursuivrait. Il devait graver cet instant dans sa mémoire afin de le faire payer à tous les responsables !

 Issari ouvrit la porte qui tenait encore miraculeusement sur ses gonds. Une odeur acide, pestilentielle envahit ses narines. Un goût de fiel lui vint dans la bouche à la vue du terrible spectacle qui s'offrait à ses yeux. Entre les gravats, une masse informe et recroquevillée gisait près de l'entrée dans un liquide visqueux, un mélange de sang et d'autres substances corporelles. À un mètre de là, un corps était assis sur une chaise. Des mouches avaient déjà flairé l'odeur du repas et envahissaient déjà l'endroit. Issari dû placer sa main devant sa bouche pour ne pas vomir. Il chercha mentalement la conscience de Raziel dans son esprit et la déroula.

  • Il te faut combien de temps pour creuser ?
  • Je viens de commencer, je ne sais pas encore.
  • D'accord je vais préparer mes affaires en attendant alors.

 Il se fraya un chemin entre les gravats et monta prudemment les marches instables. Il arriva dans ce qu'il restait de sa chambre. La moitié du sol s'était effondrée sous le poids du dragon mais par chance, ses affaires se trouvaient dans la partie intacte de la pièce. Il s'approcha d'un petit meuble en bois et ouvrit un tiroir. Il empaqueta quelques vêtements et trouva un petit sac en tissu. Il l'ouvrit et entrevit les morceaux de la coquille de Raziel. Il les avait complètement oubliés après les avoir rangés. Personne ne devait soupçonner l'existence du dragon. Il les mit dans son baluchon et quitta la pièce.

 Une marche céda sous ses pieds et sa jambe passa au travers. Il se rattrapa comme il put à la rambarde. Une douleur vive lui transperça le tibia et lui arracha un cri. Des larmes montèrent et il serra les dents pour les retenir. Issari réussit à sortir sa jambe du trou et reprit prudemment sa descente. Il s'assit sur la dernière marche et examina sa jambe. Un mince filet de sang coulait jusque sur son pied. Rien de bien méchant pensa-t-il. Il retint sa respiration et traversa à la hâte la pièce où reposaient les cadavres.

 Le garçon sortit de la maison en courant et tomba à genoux dans l'herbe. Un liquide acide remonta dans sa gorge et se répandit sur l'herbe. Cette fois les larmes roulèrent sur ses joues et virent s'échouer sur le sol. Ses parents s'en étaient allés. Il venait de le réaliser. La rage revint en lui. Une envie irrepressible de tuer les responsable l'envahit.

  • Je les tuerai tous ! Jusqu'au dernier ! Père... Mère... Je vous vengerai...

 Il serra les dents et les larmes coulèrent de plus belle. Il frappa le sol de son poing et maudit son impuissance qui lui avait empêché de les sauver. S'il ne pouvait faire face à deux nains, quelles chances avait-il de tuer des centaines, voire des milliers d'entre eux ? Il laissa ces questions de côté et retourna à l'intérieur. Il saisit l'arc de son père près de la cheminée ainsi que les flèches et deux couteaux dont sa mère se servait pour dépecer le gibier et préparer la viande. Il utilisa l'un d'eux pour couper les liens qui retenaient encore le corps de son père et laissa échapper une fois de plus des larmes de rage et de tristesse.

  • J'ai presque fini les deux tombes, intervint Raziel.

 Issari porta son regard sur le corps sans vie de l'elfe, et coupa également les liens qui retenaient ses mains dans son dos.

  • Fais-en une troisième.
  • Une troisième ? Pourquoi...
  • Fais ce que je te dis ! coupa-t-il.

 Le garçon se dirigea ensuite vers le corps de sa mère et le souleva. Il sorti de la maison et rejoint Raziel de l'autre côté. Deux larges trous d'environ un mètre de profondeur déchiraient le sol. Le dragon en commença un troisième à proximité des deux autres. Issari déposa le corps sur le sol, puis le fit rouler sur le côté. La masse inanimée tomba dans la tombe avec un bruit sourd. Il se dirigea ensuite vers la maison et porta le corps de son père jusqu'au deuxième trou.

  • Pour qui est le troisième ?
  • Quelqu'un qui m'a protégé lorsque je suis allé voir les marchands. Ils l'ont tué lui aussi.
  • Je vois, j'aurais voulu le remercier.

 Il se dirigea une fois de plus à l'intérieur de la maison et souleva le corps de l'elfe. À sa grande surprise, celui-ci était particulièrement lourd. Il dut puiser dans ses forces pour le transporter jusqu'à la tombe creusée par le dragon. Il le posa enfin sur le sol et reprit son souffle.

  • C'est lui ? Il a l'air chétif...
  • Oui, mais je pense qu'il ne faut pas se fier aux apparences avec les elfes, je pense qu'il pouvait tenir tête à n'importe quel humain, c'est en tous cas l'impression que j'ai eu en le voyant la première fois.
  • Un elfe ? Quelle différence avec les humains ? Vous semblez identiques.
  • Je ne sais pas vraiment, c'est la première fois que j'en vois un, mais on les différencie principalement à leurs oreilles pointues.
  • Pour moi il n'y a pas de différence, c'est un deux-pattes comme toi et le deux-pattes qui t'a soigné.
  • Les elfes et les nains sont les ennemis des humains depuis très longtemps.
  • Les nains ?
  • Oui, ils ressemblent à de petits humains.
  • Donc vous vous ressemblez tous mais vous vous entretuez ? Dans quel but ?
  • Je n'ai pas le temps de t'expliquer, allez aide-moi à reboucher les trous.

 Issari fit rouler à son tour le corps de l'elfe dans la tombe, et Raziel commença à reboucher les tombeaux de fortune. Le garçon regarda l'horizon.

  • Allez il faut y aller maintenant, je dois passer à la forge.

 Ils firent le tour de la maison et le dragonnier prit toutes ses affaires avant de prendre le chemin du village. Cette fois, il laissa Raziel l'accompagner. Le bébé dragon n'avait que quelques semaines tout au plus et découvrait le monde. Le dragonnier venait de s'en rendre compte avec les questions qu'il lui avait posées et il ne pouvait plus le tenir pour responsable. Il lui faudrait éduquer ce nouveau-né pour le former à son image. Qu'ils puissent ensemble partager la même façon de penser.

  • Raziel, m'aideras-tu à venger mes parents ?
  • Tu sais bien que je ferai tout pour te protéger et que je tuerai ceux qui te veulent du mal.
  • Ne m'abandonne pas.
  • Jamais.

 Le reste de la route se fit en silence, chacun profitant de la présence rassurante de l'autre. Le village fut rapidement en vue.

  • Cache-toi quelque part, je n'en ai pas pour longtemps.
  • Et s'il t'arrive quelque chose ? Je veux être prêt à intervenir en cas de danger, je ne ferai pas deux fois la même erreur de te laisser seul.
  • Oui je sais, mais il ne faut pas que quelqu'un te voit.
  • Alors je vais voler au dessus de toi.

 Le dragon déploya ses puissantes ailes d'un vert très clair. La peau était tellement fine à cet endroit qu'elle était presque transparente. Il poussa sur ses jambes et prit son envol. Il monta si vite dans les airs que le dragonnier ne voyait plus qu'un gros point brillant, reflétant la lumière des soleils avec ses écailles. Malgré la distance, leur lien mental resta suffisamment fort pour leur permettre de communiquer en cas de besoin.

 Issari passa les premières habitations sans croiser personne. Le silence qui régnait sur le village encouragea le dragonnier à en profiter pour foncer à la forge en se faufillant entre les maisons pour ne pas attirer l'attention des quelques habitants qui pourraient se trouver dehors. Il atteignit rapidement son but et jeta un œil dans l'atelier. Aucune trace de son maître. Il saisit l'occasion et emporta son tablier avant de reprendre la sortie du village. Issari eut l'impression de voler son maître et regretta de ne pas pouvoir le remercier pour lui avoir donné la chance de travailler avec lui et de lui avoir transmis son savoir-faire. Il se promit de revenir un jour et de tout lui expliquer.

 La nuit commençait à recouvrir le paysage de son voile sombre lorsque le dragonnier sortit du village. Il s'enfonça dans la forêt et retrouva Raziel qui atterrit quelques secondes plus tard. Ils mélangèrent leur conscience sans un mot et attendirent le retour de Tiha.

  • Elle arrive, confia Raziel.
  • Comment le sais-tu ?
  • Elle vient de me contacter mentalement.
  • Alors elle aussi elle peut faire comme toi et contacter quelqu'un par la pensée ?
  • Visiblement oui, tu ne peux pas toi ?
  • Non, j'ai déjà essayé quand... Enfin tu sais... Mais je ne savais pas comment faire.
  • Je ne peux pas t'aider, je le fais instinctivement. Peut-être pourra-t-elle t'apprendre ?
  • Oui je lui demanderai.

 Comme pour confirmer les dires du dragon, un bruit régulier de sabots troubla bientôt le silence et une silhouette se détacha de l'obscurité naissante. Tiha entra dans la forêt et les rejoingnit rapidement. Elle montait un cheval blanc qu'issari reconnut aussitôt. Il s'agissait bien de Neige qu'il avait vu chez Avallach, ainsi qu'Éclipse, le cheval noir qui se tenait à ses côtés. Elle descendit de sa monture et le garçon remarqua deux selles ainsi que des sacoches qu'il n'avait en revanche pas vu chez le fermier.

  • Avallach a bien voulu te les vendre ?
  • Disons que l'on s'est arrangé entre nous.
  • Et où as-tu trouvé les selles ?
  • Je les ai fabriquées avant de vous rejoindre.
  • Comment as-tu fait pour les fabriquer aussi vite ?!
  • Tu oublies que je peux user de magie, et pour fabriquer deux selles, il faut considérablement moins d'énergie que pour soigner une blessure grave. D'autant plus qu'elles sont très basiques mais elles feront l'affaire. Allez, partons maintenant.

 Issari rangea son paquetage dans une des sacoches d'Éclipse et se mit en selle, suivit de Tiha. Ils sortirent de la forêt et se mirent en route vers l'est, escortés par Raziel volant en cercles haut dans le ciel.

  • Nous allons devoir éviter les routes principales pour ne pas nous faire remarquer. Nous nous installerons pour la nuit dans quelques heures lorsque nous seront suffisamment éloignés du village.
  • Tiha, Raziel m'a dit que tu pouvais le contacter mentalement, comment fais-tu cela ? En suis-je capable moi aussi ?
  • Non, pas pour le moment, mais avec de l'entraînement tu pourras le faire toi aussi.
  • Alors entraîne-moi !
  • Pas tout de suite, tu n'y arriveras pas, et tu dois d'abord apprendre à te défendre face aux inquisitions mentales. Nous allons commencer par ça.
  • Les inquisitions mentales ? Qu'est-ce que c'est ?
  • Je vais te montrer, dit à ton dragon de ne pas intervenir.

 Issari fit part des consignes à Raziel qui replia sa conscience dans un coin de celle de son dragonnier. Issari sentit immédiatement une autre conscience, qu'il ne connaissait pas, se presser contre son esprit. Avant qu'il ne puisse réagir, l'intrus s'infiltra dans chaque recoin de son être et l'immobilisa sur son cheval. Le garçon était totalement paralysé par une force invisible sans qu'il puisse comprendre pourquoi, ne pouvant plus que subir les événements.Une peur grandissante l'envahit. Raziel, alerté par la panique de son ami, déchira le ciel d'un puissant rugissement. Il redéploya sa conscience et commença à chasser l'intrus du corps du garçon. Après quelques secondes, la conscience étrangère se retira finalement et Issari retrouva ses esprits.

  • Voici ce qu'est une inquisition mentale, cela consiste à envahir l'esprit d'une personne avec le sien dans le but de lire ses pensées, d'accéder à ses souvenirs, où dans le pire des cas, de contrôler les mouvements de la cible.
  • C'est... C'est extrêmement désagréable, bredouilla Issari, j'avais l'impression que mon corps ne m'appartenait plus !

 Raziel se posa lourdement devant les deux cavaliers et poussa un monstrueux rugissement à l'attention de Tiha, ce qui effraya les deux chevaux. Tiha réussit à calmer Neige et Issari rassura peu à peu Éclipse.

Du calme Raziel, tu ne devais pas intervenir !

 Le dragon projeta son esprit dans celui de Tiha qui essaya machinalement de résister, en vain. Son assaillant détruisit ses barrières mentales avec une aisance déconcertante et l'immobilisa comme elle l'avait fait quelques instants plus tôt avec son dragonnier. Il s'approcha lentement en dévoilant ses dents et grogna longuement. La magicienne sentit la panique l'envahir. Elle essaya de comuniquer avec le dragon, en vain. Elle ne contrôlait plus rien. Pas même ses pensées. Il fit claquer son immense mâchoire à quelques centimètres du visage de la femme et fit résonner mentalement sa voix gutturale.

  • Ne refais jamais ça, ou je te tue.
  • Raziel, arrête ! hurla Issari.
  • Deux-pattes...

 Le dragon retira sa conscience, laissant Tiha haletante. Il se tourna vers son ami et lui lança un long regard empli de compassion.

  • Est-ce que tu vas bien ? J'ai cru qu'elle allait te tuer.
  • J'ai eu peur mais je vais bien, elle me montrait juste ce qu'était une inquisition mentale.
  • Ce n'est pas une raison pour aller aussi loin, elle aurait pu arrêter plus tôt.
  • Oui je suis d'accord... avoua Issari.

 Tiha reprit ses esprits et se tourna vers le garçon.

  • B... Bien, tu auras appris ce qu'est une inquisition et Raziel m'a rappelé qu'il ne faut jamais sous-estimer un dragon. Je vous demande pardon, je n'aurais pas dû aller aussi loin... Allez, remettons-nous en route.

 Raziel se tourna vers elle et lança un petit grognement satisfait. Il s'envola ce qui effraya de nouveau les chevaux. Après avoir calmé leurs detriers, ils repartirent. Cette fois, Raziel prêta attention à la conversation à travers l'esprit d'Issari, prêt à intervenir en cas de nécessité.

  • Comment peut-on se protéger face à ce genre d'attaque ? demanda ce dernier.
  • À ma connaissance, il n'existe qu'une seule façon, c'est de construire une barrière mentale. Pour cela, il faut vider ton esprit de toute pensée parasite et te concentrer sur une seule chose, une chose basique comme un mur ou une forteresse. Puis tu dois te réfugier derrière cette barrière.
  • Ça a l'air facile dit comme ça...
  • Oui mais ça ne l'est pas. Préviens Raziel, je vais t'entraîner cette fois. Je n'irai pas aussi loin. Dis-moi quand tu es prêt.

 Issari se concentra et tenta de chasser toutes ses pensées de son esprit, puis il essaya de construire un solide mur mental. Il fit un signe de tête à la magicienne qui étendit sa conscience vers celle du garçon. Tiha se retrouva devant un petit mur de pierres et dénicha de larges failles entre celles-ci. Elle en profita pour s'y engouffrer et sa voix résonna dans l'esprit du garçon.

  • C'est pas mal, mais il y a beaucoup de failles et j'ai pu facilement passer au travers.

Tiha retira sa conscience de celle du garçon.

  • Mais... Entre humains aussi on peut communiquer par la pensée ?!
  • Oui, de la même façon que tu le fais avec ton dragon. Il suffit d'envoyer des impressions ou des sensations et l'autre personne va les interpréter dans son langage. De fait, on peut communiquer avec quelqu'un qui ne parle pas notre langue.
  • C'est vraiment incroyable ! Mais pourquoi tout le monde ne communique pas ainsi ?
  • La réponse est simple, pour cela il faudrait être connecté mentalement avec d'autres personnes, ce qui signifie que cette personne peut avoir accès très facilement à tes souvenirs, tes pensées et même te contrôler si l'envie lui prenait. De plus, il n'est pas facile d'étendre sa conscience hors de son corps comme Raziel ou moi-même le faisons.
  • Je comprends.
  • Non tu ne comprends pas, mais ça viendra. Allez on recommence, fais moi signe quand tu es prêt.

 Issari vida une fois de plus son esprit et se concentra du mieux qu'il put pour dresser une solide barrière mentale. Après une seconde d'hésitation, il fit un rapide signe de tête à Tiha qui lança l'assaut sans plus attendre. Elle se retrouva de nouveau devant un petit mur de pierres et n'eut aucun mal à passer de nouveau au travers.

  • Tu devrais changer de méthode, confia Tiha, il y a beaucoup trop de failles dans ton mur, tu devrais essayer de le construire d'un seul bloc et pas d'assembler plusieurs pierres.

 Le garçon se concentra de nouveau et donna le signal à la magicienne. Cette fois-ci elle se retrouva devant une seule et unique pierre, de taille démesurée. Elle devina que la conscience du dragonnier se trouvait au centre du rocher et elle entreprit de le contourner pour trouver une faille, en vain. Elle tapota le rocher à plusieurs endroits et décela une zone plus fragile que les autres. Elle donna un coup de poing et la pierre vola en éclat à l'endroit de l'impact. Elle s'apprêta à entrer quand la structure entière disparut sous ses yeux, laissant le garçon sans défenses. Elle se retira alors et se tourna vers lui.

  • Pourquoi as-tu tout arrêté ?
  • Je n'ai pas fait exprès, mon cheval a marché sur une pierre et j'ai été déconcentré !
  • Il va également falloir travailler ta concentration. Bien, de toutes façons il commence à faire trop sombre pour continuer d'avancer, nous allons passer la nuit au bord de cette forêt et nous repartirons à l'aube. Si ma mémoire est bonne, il y a un cours d'eau, ce sera parfait pour abreuver les chevaux.

 Ils attachèrent leurs montures près d'un cours d'eau, puis Tiha s'occupa de remplir les gourdes, Issari alla chercher du bois pour faire un feu et Raziel alla chasser le dinner. Ce dernier revint quelques minutes plus tard avec un cerf dans son imposante mâchoire. Tiha prépara le bûcher puis se tourna vers le dragonnier.

  • Avec ma main pourrie je ne peux pas faire démarrer le feu, tu vas devoir t'en charger.

 Le sang du garçon se glaça et il se figea sur place.

  • J'ai... J'ai oublié la lume près de la cheminée...
  • Et merde ! On va devoir utiliser une autre méthode !

 Raziel s'approcha du petit monticule de bois et ouvrit son imposante mâchoire. Voyant que rien ne se passait, Tiha l'interrompit.

  • Tu es encore trop jeune pour faire du feu, mais merci d'avoir essayé.

 Le dragon recula, visiblement déçu. Issari se saisit de son arc ainsi que d'une pierre creuse et commença à frotter deux bouts de bois grâce à un ingénieux système, comme ses ancètres le faisaient jadis. Après quelques minutes d'effort, un feu bien vif abreuvait les environs de sa lumière ondulante. Issari et Tiha découpèrent un morceau de viande dans le cerf et laissèrent le reste à Raziel qui ne se fit pas prier pour engloutir le reste de l'animal. Une fois repus, ils improvisèrent des couchettes de fortune près du feu pour se protéger du froid. Raziel se lova près d'eux et posa un œil distrait sur la magicienne qui l'observait.

  • Les dragons sont vraiment des créatures magnifiques... dit-elle pour elle-même.

 Raziel lança un petit grognement, visiblement flaté.

  • Nous reprendrons ton entraînement dès demain matin et jusqu'au soir, adressa-t-elle au dragonnier. Tu dois apprendre à protéger ton esprit au plus vite.
  • Crois-tu que je pourrai moi aussi me servir de la magie ?
  • Je pense que oui, nous verrons bien. Une bonne partie des dragonniers pouvaient user de magie. La vraie question est : quel niveau de maîtrise atteindras-tu ? Seul le temps nous le dira.

 L'excitation du garçon grandit, pouvoir se servir de la magie le rendrait bien plus fort et il pourrait se venger d'autant plus rapidement s'il apprenait cette discipline le plus tôt possible.

  • Pourras-tu m'entraîner à la magie dès demain ?
  • Non ! Je te l'ai déjà dit, tu dois d'abord apprendre à te protéger des inquisitions mentales. Allez il faut dormir maintenant, nous devons nous lever tôt demain.

 Déçu, le dragonnier se tourna sur le dos et observa le ciel étoilé. Un millier de pensées lui virent à l'esprit. Il voulait absolument devenir suffisamment fort pour écraser ses ennemis et venger ses parents, et ce au plus vite. Puisque Tiha n'avait pas l'air de vouloir lui enseigner la magie tout de suite, il devrait redoubler d'efforts pour maîtriser ses défenses mentales rapidement. Puis il repensa à ses parents, à la souffrance qui leur avait été infligée, de son impuissance, et des larmes ruisselèrent sur ses joues.

  • Ne t'en fais pas Deux-pattes, nous les vengerons ensemble !
  • Oui mais je vais devoir d'abord réussir à protéger mon esprit...
  • Je peux t'aider pour ça, je peux envelopper ton esprit et le protéger !
  • Tu en es capable ?
  • Je pense que oui, je ferai tout ce que je peux pour que tu sois heureux, sois en sûr ! Nous essaierons demain à l'entraînement, maintenant repose-toi Deux-pattes...

 Le dragonnier retourna les paroles de son dragon dans sa tête et il se demanda s'il pourrait accélérer sa formation grâce à son aide. Peut-être bien après tout. Le plus difficile sera de retrouver la troupe de marchands. Quoique... Il lui suffirait de sillonner le pays sur le dos de Raziel. Un flot ininterrompu de pensées innondèrent son esprit, et le tourbillon du sommeil finit enfin par l'emporter.

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