Jusqu'à se heurter

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  Je suis de ceux qui se moquent et qui jalousent en même temps. Je suis celui qui refuse d'être similaire, et qui le désire tellement. Je méprise autant les couples qui s'embrassent en public que je regrette le reflet de l'homme seul qui me toise dans la vitre. Je suis confortablement ancré dans mon ordinaire et rien ne viendra le foutre en l'air. Je ne serai jamais les autres, à moins qu'ils commencent à me ressembler. Je ne serai jamais les autres, à moins de vouloir commencer à me blesser.

  Je savais bien que rien n'irait jamais plus comme il faut. Dès que nos corps se sont touchés, dès que nos souffles se sont retenus, quelque chose s'était déjà irrémédiablement envolé. Mais j'ai avancé sans m'arrêter parce que ne plus bouger signifiait alors te laisser partir. Et je ne pouvais décemment pas m'y résoudre tant ce que je vivais me fascinait. Jusqu'à hier. Si tu te retournes, tu me retrouveras au même endroit. Je n'ai pas réagi. Je suis immobile. Je t'entends encore me dire à quel point je t'empêche de vivre la vie que tu désires tant. Je suis là et je te la laisse, cette vie.

  Tu me le dis au moment où je le comprends vraiment. Tu me le dis à l'instant où je me rends compte que j'ai tort. Ou avais-je besoin de te l'entendre dire pour me poser enfin deux minutes et réfléchir ? Vois maintenant comme je cours alors que tu es loin. Entends mes cris derrière toi comme un bras qui tente de te retenir. Non pas parce que je veux te reconquérir mais juste parce que je t'aime suffisamment pour avoir envie de te présenter mes excuses. Elles ne justifient rien, elles sont uniquement une obligation morale que j'estime te devoir. Je sais que c'est de ma faute. Tu es libre de m'écouter jusqu'au bout, ou de me rejeter encore.

  Je pouvais hausser le ton devant n'importe quel inconnu. Je pouvais lever le rideau de la pudeur sur nos plus grandes difficultés à communiquer. Je ne pouvais ni me taire ni te convaincre, c'était juste plus fort que moi. J'essayais toujours d'avoir le dernier mot comme lorsque je débats devant un miroir. J'essayais de faire en sorte que mes aspirations rejoignent les tiennes comme nos chemins se sont croisés il y a déjà trop longtemps.

  Que je te tienne la main, que je te plaque contre un mur, ou que je t'embrasse en plein milieu d'un trottoir, cela voulait dire que j'avais autant envie de toi que je n'avais peur de te perdre. Et l'idée de te posséder m'était évidemment aussi insupportable qu'elle n'était excitante ; d'un côté parce que ta liberté est l'une des raisons de t'aimer, et de l'autre parce que t'avoir pour moi me transportait. L'incertitude et l'indécision m'ont poussé à être moins proche que tu ne l'aurais sans doute voulu.

  J'aurais dû changer, je le sais. On ne peut pas rester celui qu'on était quand on avait douze ans, d'autant plus lorsque l'on n'est plus seul. Mon erreur fut de penser que celui qui te plaisait au début devait forcément rester le même. Mais préserver la routine quotidienne d'un célibataire alors que je vivais avec toi avait autant de sens que de t'empêcher de t'emparer d'une partie de moi. J'aurais dû savoir que ce vieux réflexe mécanique aurait ma peau plutôt qu'il ne servirait à me protéger. J'aurais dû m'épancher, j'aurais dû laisser mes sentiments s'épanouir pour qu'ils cultivent les tiens. Il y a tellement d'erreurs que j'ai commises par ignorance que je me demande pour la première fois si je suis aussi intelligent que les gens ne le jugent.

  Je ne sais pas ce que c'est que d'être extérieur à moi-même, de penser en dehors de moi, et encore moins de réfléchir pour deux. Je n'étais pas préparé. Je ne connaissais que moi, moi, et encore moi. Je ne pensais qu'à toi en tant qu'opposition, et à nous à travers le seul prisme étroit de mon égo. Ce qui me convenait, au final, c'était de trouver une alternative acceptable pour moi, et personne d'autre. Tu as été conciliante quand moi j'étais intransigeant. Aujourd'hui encore, alors que je me dévoile à toi, je ne peux m'empêcher de ne parler que de moi. Comme si je savais déjà que nous ne pourrons jamais vraiment être nous. Je t'ai perdue, je le sens, et je le regrette. Enfin, je suppose que c'est ce qu'expriment la boule que j'ai au ventre et ma respiration suffocante. J'ignorais ces douleurs, jusqu'à toi.

  Regarde comme je m'arrête à nouveau. C'est fini. Je te tourne même le dos maintenant que j'ai tout dit et que ça ne change rien. L'extraordinaire n'est plus nous, ou ne l'a jamais été. Mes habitudes célibataires reprennent le pas sur nos luttes incessantes. Je replonge comme un gamin se cache sous la couette après avoir trop pleuré. Je ne veux rien revivre de l'incroyable sentiment d'être avec toi. Au moment où je m'enfonce dans cette rame de métro, je méprise autant l'exceptionnel d'être deux que je ne regrette le reflet de l'homme ordinaire qui me toise dans la vitre. Je ne serai jamais les autres, à moins qu'ils commencent à me ressembler. Je ne serai jamais les autres, à moins de vouloir commencer à me blesser.

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