Cette histoire se déroulait sur une petite planète pleine de boui-bouis, de tavernes, de cabarets sales et dépravés dans lesquels des danseuses sexy exposaient complaisamment leurs phallus aux clients libidineux. Le beau, le grand, le magnifique, le superbe chasseur de primes Jory Jorhn, qui avait habilement dissimulé son identité en enfilant un bonnet de laine qui recouvrait entièrement sa banane en formant une silhouette tout à fait remarquable et pas du tout évocatrice, buvait dans un coin du bar tout en écoutant d'une oreille les informations qui étaient diffusées sur un écran géant au centre de la pièce.

Cette planète allait, dans quelques minutes, clore un tour complet autour de son soleil, et tous les clients de la taverne se tenaient en alerte, cet évènement signifiant traditionnellement que certaines réjouissances extrêmement codifiées devraient avoir lieu. Déjà, les locaux se livraient à un rite étrange. Les uns après les autres, ils se levaient, et déclamaient d'un ton solennel à l'assistance qui les écoutait religieusement des résolutions pour l'année à venir. L'un déclara par exemple:

- "Le prochain tour, moi je le passerai sans boire plus de quatre pintes de bière par soir, et sans m'injecter de drogue dans les veines lors des fêtes religieuses; Promis craché. ptou!"

Et pour bien marquer le coup, il cracha par terre. Et tous les autres de l'applaudir bruyamment.

Chacun son tour, les clients y passèrent, ainsi parfois qu'une danseuse qui promettait de ne plus offrir de pipe pour une bouchée de pain, ce qui ne cessait de faire éclater de rire l'assistance qui, les connaissant, ne les prenait pas du tout au sérieux.

Jory mit fin à ces simagrées en se levant, et sa stature imposante, même sans être couronnée par le reluisant éclat de sa somptueuse chevelure, suffit à faire taire les plus fervents ivrognes qui tournèrent vers lui des regards emplis d'une surprise que le chasseur de primes assimila à de l'admiration.

D'un mouvement gracieux et souple il se lança dans un bond agile et aterrit debout sur le bar dans une pose d'une beauté aveuglante dans le style statue grec, faisant ressortir ses musculeux muscles qui saillaient sous sa tenue moulante. Hommes et femmes dans l'assistance sentirent mouiller leurs yeux de larmes tant cet homme magnifique attirait à lui l'admiration. À moins que ce ne soit parce qu'il s'était posé juste au niveau du néon du plafond.

Écartant les bras dans un geste théatral, notre héros lança à la foule:

- "Messieurs, mesdames. Je me joins à vous dans votre tradition pittoresque qui a su attendrir mon cœur. Moi aussi j'ai des résolutions à prendre pour cette année."

Il ne restait qu'une minute avant la nouvelle année, aussi Jory vit il le barman tapoter sa montre pour lui signifier aussi courtoisement que le permettaient les lois du commerce qu'il ferait bien de se bouger le cul.

- "Voyez vous," reprit le chasseur de primes. "J'ai fait beaucoup de mauvais choix dans ma vie, et rien que cette année, j'ai commis un certain nombre de roublardises de mauvais goût. Seulement, voyez vous, je regrette ce que j'ai fait. Aussi, pour me faire pardonner, je prends une décision radicale qui va complètement changer ma façon de vivre. Cette année, je ne commettrais aucun crime, aucun délit, rien qui soit à l'encontre de la loi ou qui soit suceptible de blesser quelqu'un d'autre. Devant vous, en ce jour, j'en fais le serment solennel. Cette année je ne commetrais aucun acte répréhensible d'aucune sorte."

La foule applaudit chaleureusement. C'est que la plupart des gens qui étaient ici n'étaient généralement pas exempts de quelques antécédents peu flatteurs, et ils comprenaient tous très bien la décision de Jory.

C'est alors que l'écran de la salle s'illumina brusquement, affichant en grand un compte à rebours de dix secondes, parfaitement calculé pour concorder à l'instant précis où la planète aurait achevé son tour complet autour du soleil, chose qui n'arrivait qu'une fois tous les dix années terrestres standards environ. Tous retinrent leur souffle, comme redoutant qu'au dernier moment de cette étape mémorable, quelque envahisseur sournois ne fasse exploser toute la planète pour l'empêcher d'achever sa révolution, chose qui arrivait souvent dans cette galaxie précise. Mais le compte à rebours se déroula convenablement, et sitôt qu'il atteignit le zéro le plus rond, tous débouchèrent les bouteilles de champagne et commencèrent à chanter. L'écran affichait "Bonne révolution stellaire à tous".

C'est alors que Jory eut un ricanement des plus malsain. Les gens qui eurent la présence d'esprit de reporter leur attention sur lui virent que quelque chose avait l'air de bouger sous son bonnet.

C'est alors que le tissus fut crevé et que par l'ouverture se déversa, de façon nullement évocatrice, un flot de lumière dorée formant un rayon dévastateur qui vint frapper le tavernier de plein fouet et le décapita avec une violence telle que quand il s'écroula il ne restait que des cendres au dessus de sa gorge.

La divine pompadour avait encore frappé.

L'assistance, horrifiée, se confondit en un cri de panique. Jory Jorhn, toujours sublime dans sa pose la plus seyante alors que la chaleur émise par sa chevelure achevait de faire se combustionner son bonnet de laine, ajoutant l'éclat des flammes dorées à la beauté superbe de sa crinière héroique; s'exclama avec un sourire sardonique:

- "Bah quoi ? L'année est terminée maintenant. Je peux donc faire ce que je veux."

Il plongea derrière le comptoir, et, se servant de la main du tavernier pour ouvrir la caisse à reconnaissance ADN, il se saisit de la fortune que l'établissement avait accumulé en cette soirée de grande fête, puis, dans sa grande bravoure, prit ses jambes à son cou tandis que la clientèle était encore trop sous le choc pour réagir.

Bientôt des tirs de pistolet plasma fusèrent autour de lui, mais Jory les esquiva en s'accordant le luxe de prendre une pose esthétiquement admirable à chaque fois. Un homme qui avait affronté le duc Clevelin en combat singulier ne redoutait pas les tirs de ces vauriens alcoolisés.

Il regagna assez vite sa navette, et prit son essor. Personne ne parvint à le poursuivre, toutes les autorités étant paralysées par les festivités. C'était presque trop facile.

Sans perdre plus de temps, Jory, disposant maintenant d'assez d'argent pour s'acheter un vrai vaisseau et reprendre ses activités, plongea dans l'espace infini, filant comme à son habitude vers de nouvelles aventures.

À suivre...