Le Mojito

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 Fin juillet, 18h30, un jardin plein de verdure sous une fine pluie normande, un verre de mojito à la main. Trop chargé. Je n'ai pas vu qui l'a servi, ni comment. Il a eu la main lourde, celui qui a versé le rhum.

 Détendue, je discute en sirotant. Tout à l'heure, deux jeunes hommes éméchés m'ont soulevée de terre, malgré ma réticence ; mais il faut s'amuser. « Olé ! » J'ai vu par-dessus les bâches qui protègent les tables couvertes de gobelets, bouteilles, plats à picorer, avant qu'ils me déposent derrière eux, un peu durement, comme un paquet encombrant très vite oublié, et qu'ils se roulent une pelle pour se féliciter de leur exploit devant l'ovation du public attendri. Quelque part dans le jardin, leurs épouses surveillent les enfants.

 Je ne connais pas grand monde, alors je reviens toujours vers celui qui m'a invitée comme un petit retourne vers sa mère. Il discute avec un sexagénaire râblé, moustaches en spirales, imbibé d'alcool. Dans sa main, un verre à moitié vide ; dans son corps, un foie bien trempé. « Quels beaux yeux ! » s'exclame-t-il à ma vue. Merci, c'est gentil. « Eh, G. Si j'avais une fille avec des yeux comme ça, je la passerais aux copains ! » Pardon ? G détourne les yeux.

 Je m'en vais. Est-ce dû au choc ou au rhum que mon pas vacille ? Quelqu'un d'autre me parle, mais le moustachu revient à la charge. « Hein qu'on s'y mettrait bien à quatre ou cinq dessus ? » Je suis une femme, et même mon absence de bijou, de maquillage, de parfum, même mes cheveux récemment coupés courts, mon large pantalon de lin et mon T-shirt noir enfilés ce matin afin d'être à l'aise pour mon déménagement ne me protègent pas. Tant pis, ou tant mieux, que je sois trop verte pour lui ; il m'épluche du regard. « À quatre ou cinq, hein ? Ça te dit pas ? Non ? Vraiment ? » Vraiment !

 G revient ; l'aviné le porte aux nues ; ils font les paons. G ne réagit pas quand l'autre enchaîne sur son désir de me corriger à coups de martinet. Je dis non ; il dit si. Et il avance vers moi, la main sur le sexe, ou le sexe sous la main, en me parlant de ce qu'il veut me faire avec « sa bite ». Sous sa moustache, son sourire a disparu ; au-dessus, son regard haineux me pétrifie. Je sais que le mot « bite » en français et l'anglais bite, « mordre », viennent de la même racine ; mais je ne sais pas pourquoi. Mes yeux appellent au secours. On me regarde reculer sans rien dire.

 « J, J, on se calme » finit par marmonner G. Il lui tapote gentiment l'épaule ; le sourire de J revient. Il me lâche, du regard et de la voix. Médusée, je finis mon mojito d'une traite. On s'en va. « Ah j'le connais, le G-G : y va t'mettre su'l'dos, tu vas voir ! » Mon cerveau baigne dans l'alcool. G hausse les épaules, muet.

 Plus tard, quand je m'assois avec des amies à la terrasse d'un café parisien, j'ouvre le menu des cocktails. Le mot « Mojito » accroche mon regard. Paris s'évanouit.

 Fin juillet, 18h30, un jardin vert sous la pluie normande, un mojito à la main. Trop chargé. Beaucoup trop chargé.

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