PARTITION XVI : PARTIE 4 (fin)

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Allongée sur le dos, les yeux fixés sur le plafond en partie délabrée de la chambre de Ruka, je ressasse les derniers évènements. Ce conflit entre nos espèces ne mènera qu’à un monceau de cadavres empilés sur une Terre ensanglantée. Un géant de chair à vif contre un Roi constitué de végétaux en décomposition. Quel avenir peut-on espérer désormais ? Si nous venions à disparaître de la surface de la planète, ne s’en porterait-elle pas mieux ?

Un soupir lascif me sort de mes réflexions. Ma compagne se frotte tout contre moi, un bras posé sur ma poitrine. J’effleure la marque violacée sur sa joue. Ses paupières s’ouvrent et elle rougit aussitôt. Couvre subtilement ses courbes généreuses avec le drap.

— Bonjour, murmure-t-elle.

Je lui souris avant de devenir austère.

— C’est l’heure…

— Je sais, sanglote-t-elle doucement.

Un subtil baiser sur mes lèvres, un ultime regard empli d’amour et la voilà debout en train d’enfiler sa tunique verte. Je contemple à loisirs son corps voluptueux. Elle peigne ensuite ses cheveux avec ses doigts en m’avisant.

— Allez, lève-toi ! Montre-leur à tous ce que tu es prête à accomplir pour sauver leurs fesses. Pas un seul d’entre eux n’a autant de couilles que toi !

Agacée, elle marche vers la porte, saisit un tissu marron accroché dessus et me le lance. Je l’inspecte, secoue la tête puis délaisse le lit trop mou.

— Les vêtements freineront mon voyage. Mes capteurs sensoriels doivent se trouver à l’air libre afin que la nature me guide.

Elle m’observe des pieds à la tête, une expression indignée sur le visage.

— M…mais, tu… non !

— Ne t’en fais pas, ma douce Ruka, ma nudité ne choquera personne, m’esclaffé-je. Ils sont déjà bien trop occupés à me traiter de monstre. La pudeur n’existe pas dans la forêt, ajouté-je face à la consternation qui déforme ses traits.

Je soulève son menton et embrasse tendrement sa bouche. Elle effleure le fragment de météorite qui trône au centre de ma poitrine.

— Tu vas me manquer, soupire-t-elle.

— Je reviendrai vite.

Une promesse tacite que je ne suis pas certaine d’honorer, mais je me garde bien de le lui révéler. Cette femme pétillante se ferait un sang d’encre et lui infliger cette épreuve serait cruel, la fin prochaine de Diego suffit amplement.

— Allons-y !

Nous nous détachons à regret l’une de l’autre – hormis pour Jak et Mellys, notre relation demeure un secret – et rejoignons la cour.


La foule s’y agglutine. La majorité des habitants d’Anjos font acte de présence dans l’unique but d’assister à mon expulsion. L’injustice me gagne, tout comme l’envie d’emmener mes amis avec moi et abandonner les autres à leur triste sort !

Et puis je croise certains regards compatissants. Je reconnais mes collègues Porteurs et porteuses, quelques gardes. Tous ne désirent pas mon éviction de leur cité souterraine.

Jak me fait signe d’approcher et s’éclaircit la voix. Debout sur une caisse de bois, il domine son public.

— Un vote à main levée a exigé le renvoi de Syl de nos terres. Mais pas à l’unanimité, ajoute-t-il un ton plus bas à mon intention. (Il avise son peuple) Elle partira donc une fois mes annonces terminées. Sachez cependant – n’en déplaise à certains – que sa loyauté envers nous n’a pas failli et qu’elle est déterminée à nous dégoter un lieu où il fait bon vivre !

Des chuchotements parcourent l’assistance. Je remarque l’absence de la mère de Rio. Une vague de tristesse ondule sur moi en pensant à cet enfant malicieux et plein de joie de vivre. La voix de Jak se démarque du brouhaha engendré.

— Nous vous avons avoué la véritable raison de l’échec d’une alliance avec les Sylvanos ! Cet acte absurde causera sans doute notre perte ; leurs remplaçants sont redoutables. Malow a donc besoin de volontaires pour l’aider à constituer un stock d’armes à ultra-sons. Pour cela, une nouvelle perquisition dans la vieille ville va être organisée dans l’heure. Pour ceux que ça intéresse, allez-vous changer en conséquence. Irina vous fournira le matériel nécessaire à la salle de changes.

Il marque une longue pause. Plusieurs personnes – surtout des hommes – se détachent du groupe et rentrent dans la base.

À l’horizon, le soleil entame une nouvelle course, le firmament se pare de sa teinte bleutée constellé de tâches roses.

— À partir de maintenant, reprend Jak, nous formerons chacun d’entre vous au combat et à l’utilisation des armes. (Des murmures s’élèvent) Si les Sylvanos nous laissaient en paix à l’intérieur de notre bastion, explique-t-il, les Flamboyants me paraissent prêts à nous attaquer d’un instant à l’autre, malgré la barrière de protection électrifiée. Nous avons tous perçu l’étrange phénomène sonore cette nuit. La peur que vous ressentez, celle que nous ressentons tous, est normale, mais allons-nous accepter de nous faire massacrer sans riposter ?

— Non, crie timidement la foule.

— L’humanité se couchera-t-elle sans se battre ?

— Non !

La population hurle désormais, bras et poings levés en direction du ciel.

— Alors rejoignez les sentinelles Carlos et David ainsi que notre tacticien Harty pour des leçons express !

Les concernés les séparent en divers groupes puis les entraînent de l’autre côté du bâtiment, sur le terrain d’entraînement. Le régent a réussi à remotiver ses troupes.

Il m’accompagne près des grilles. Leur crépitement permanent cesse soudain.

— T’as intérêt de revenir rapidement avec de bonnes nouvelles ! Je n’ai pas voulu semer un vent de panique, mais j’ai un très mauvais pressentiment. Nous aurions dû décamper depuis longtemps déjà.

Le poids de ses responsabilités en tant que chef creuse son visage de nouveaux sillons. Le stress permanent auquel sont soumis les humains accélèrent leur vieillissement. Je me promets – si je reviens indemne de mon périple – de leur enseigner des méthodes de régénération grâce aux particules de vie dans lesquelles ils baignent sans en avoir ni conscience ni connaissance.

— Je ferai de mon mieux.

Il opine sans un mot. Près de l’entrée du bâtiment, Ruka m’observe. Nul besoin de gestes ou de paroles entre nous, son chant d’amour me parvient tel un éclair foudroyant. Je lui renvoie la pareille. Elle sourit, l’a-t-elle senti ?

Alors que je franchis les portes et qu’elles se ferment peu à peu, une question jaillit de mes lèvres.

— Comment va Caleb ? Je ne l’ai pas aperçu…

Le sort de ce traître m’importe à priori davantage que je ne le désirerais…

— Il va bien, il n’a pas osé venir. Je crois qu’il culpabilise de sa bêtise. Autant par rapport à toi qu’envers notre peuple. Cela le poursuivra comme une punition sa vie durant.

— Bien, concédé-je.

Jak ne saura jamais ce qu’insinue ma réplique, Mellys déboule dans la cour, un énorme sac sur le dos et vient se placer devant la grille.

— Je pars avec Syl.

Mes racines se figent. À en juger par son expression effarée, Jak est sur le point de contester cette décision hâtive.

— Comment ça, tu pars ? Non, toi tu restes ici ! râle-t-il.

Mellys trépigne sur place.

— Mais je me sens carrément inutile. Irina me gonfle avec ses tâches ménagères ! Merde, j’suis pas une de ces femmelettes bien dociles de l’époque de Diego, moi !

— Elle cherche à te protéger du danger…

La jeune fille, excédée, jette son sac sur le sol.

— Et bien, voilà un scoop, papi : on vit au milieu de danger depuis des dizaines d’années ! J’ai toujours vécu ça et j’ai besoin d’aventure !

— P…papi ? retient Jak, les joues écarlates. Il faut vraiment que vous cessiez de m’appeler comme ça ! Et oublie ça, Lys, tu vas t’entraîner avec les autres ! Fissa !

Elle hausse les épaules.

— Cours toujours ! (Elle pivote vers moi, pleine d’espoir). Tu m’emmènes avec toi, hein ?

— Non.

Elle tire la langue au régent.

— Tu vois ?

Puis se retourne brusquement vers la grille.

— A…attends, quoi ?

— J’ai dis « non », soupiré-je.

— Ah, merci, souffle Jak.

— Mais… pourquoi ? m’interroge-t-elle.

— J’ignore où ce voyage va me mener, ni combien temps il va durer.

Mellys relève fièrement sa tête, les traits sérieux. Derrière, Jak se retient de rire. Il ne s’attendait pas à ce retournement de situation.

— Mais je me suis préparée pour ça ! Pourquoi crois-tu que le sac est si gros ? Je n’ai pas peur de dormir en forêt, de chasser pour me nourrir. Promis, je ne serai pas un boulet à tes pieds racines.

Je dévisage ma première amie avec une tendresse infinie. Cette quête, je dois l’entreprendre seule. Priver Mellys de sa famille à un moment si critique ne serait pas judicieux.

— Profite des tiens tant que tu le peux encore…

— Je ne changerai pas d’avis, insiste-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine.

Une flèche incandescente transperce mes entrailles. Elle n’abandonnera pas.

Il ne me reste qu’une solution. La pire de toutes. Je ravale les larmes qui affluent, inspire lentement.

— Syl, me conseille Jak, ne cède pas. Nous avons besoin de ses talents ici et…

— J’ai tué tes parents.

La mâchoire de l’homme à la barbe d’argent s’affaisse. Mellys, elle, me fixe de son œil unique comme si j’étais un fantôme. Ses lèvres se mettent à trembler.

— Q… quoi ? Enfin, de quoi tu parles ?

— Je suis la Sylvanos responsable de la mort de tes parents.

Elle recule d’un pas, s’entrave dans son sac et chute sur le sol boueux.

— N… non ! C’est pas vrai, tu mens !

Jak la relève. Ses forces l’ont quittée. Le quinquagénaire doit la soutenir afin qu’elle ne retombe pas. L’expression qu’il m’adresse alors n’est que froideur mêlée d’incompréhension.

— J’ai d’abord perforé le crâne de ton père avec mon doigt avant de transpercer le buste de ta mère. Elle s’est sacrifiée afin de te protéger. Je me rappelle encore les craquements de leurs os et la vue du sang sur mes membres…

Mellys porte ses mains sur ses oreilles en fermant les yeux.

— STOP ! Arrête…

— Pourquoi tu fais ça ? Qu’est-ce qui te prend ? m’incrimine Jak.

— Je ne mérite pas son amitié. À l’extérieur, les Flamboyants n’attendent que vous. Ils vous ont averti de leur victoire prochaine hier soir. Je vous conseille de consolider vos défenses et d’utiliser les tunnels de la source pour y réfugier les plus faibles.

Incroyable cette capacité à dissimuler mes véritables ressentis sous une épaisse couche d’écorce. Les humains en sont-ils capables tout autant ?

Mellys a les joues ravagées par les larmes. Elle se met à crier, saisit des pierres et me les lance dessus. La barrière de métal tressaute d’arcs électriques sous les assauts répétés de la jeune femme. Jak vient la serrer si fort dans ses bras qu’elle éclate en sanglots sonores.

Son chant bouleverse mon cœur, mais mon visage ne quitte pas son masque impassible. Or, cette vision insupportable risque réduire à néant mon initiative de départ à tous moments. Et alors, cette révélation n’aurait servi à rien.

— Prends-en soin, murmuré-je à l’attention de Jak.

Il n’approuve pas ma façon de procéder, cependant, je sais qu’il a compris ma démarche. Un bref signe de la tête et je me détourne d’eux en avançant droit devant moi. Mes racines menacent de flancher.

— Pardonne-moi… soufflai-je à travers mon chant.

Puisse-t-il l’envelopper de paix et de sérénité. Un vœu qui ne se réalisera jamais ; ses flux de colère et de tristesse me tiennent à distance.

Elle ne me pardonnera jamais, comme je le prévoyais.

— Adieu, ma très chère enfant…

Ce n’est qu’une fois ses cris désespérés hors d’atteinte que je m’effondre à mon tour, libérant mes pleurs trop longtemps endigués.

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