PARTITION XVIII : harmonie des contraires (partie 1)

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Des jours que je sillonne le Sud, à l’affût du moindre indice sur un lieu abritant des Sylvanos et des humains, réunis dans l’harmonie. Les forêts, les collines et les vallées parcourues se révèlent stériles de nos deux peuples. Seuls y règnent animaux et végétaux.

J’en profite pour recharger mon organisme en énergie autant de fois que possibles. Loin des conflits et des courants magnétiques transportant les ordres de Père, mon esprit se sent reposé. Apaisé. Aucun accès de violence ne me démange. Néanmoins, je n’oublie ni mes amis d’Anjos, ni la source de leurs tourments. Sont-ils sains et sauf ? Mellys me pardonnera-t-elle un jour ?

Régulièrement, j’envoie dans le flux du vent des appels à destination d’autres Sylvanos. Toujours aucune réponse.

Et je poursuis ma route inlassablement. La solitude m’est inconnue, pour la simple raison que je me sens liée à tout ce qui existe. Chacune de mes journées ressemble à une symphonie sons et lumières et la nuit, à une berceuse polyphonique. Toutefois, il arrive que leur présence me manque. Jak, Ruka et Mellys. Je les vois dans ma tête pendant mes pauses, quand je rêve ou que mon âme vagabonde à travers les pensées. Ces souvenirs renforcent mon objectif.

Je ne compte plus les journées passées à marcher – ou courir – dans ces contrées lointaines. Des massifs montagneux me cernent. D’après le voyageur, le village idyllique se situerait de l’autre côté. Mes paupières se ferment, ma respiration ralentit en se calant aux battements du cœur de cette Terre devenue émeraude. Un courant magnétique se lie à mes propres flux et me tire vers lui avec impériosité. Mes racines adoptent une cadence rapide dans la direction signalée.

L’air se rafraîchit à mesure que je me rapproche des monts dont les sommets étincèlent sous les rares rayons du soleil. Des rafales de vent mettent mes vaisseaux conducteurs à rude épreuve ; ils se rétractent de manière imperceptible, tout comme mes racines. L’ascension des rochers escarpés occasionne une perte de vitalité à mon organisme. Des vertiges menacent régulièrement de me faire chuter et m’obligent à modérer ma vitesse.

Mon écorce se révèle bien moins épaisse qu’avant ma mue et, soumise aux caprices du temps, je ne tarde pas à grelotter. J’ai froid, si froid. Et pas l’once d’un végétal. Ce n’est pas étonnant dans cet endroit désertique. J’use de toute ma volonté et de mes forces pour continuer d’avancer. Je n’abandonnerai pas !

Le brouillard recouvre peu à peu les alentours. Aveugle, je me dirige à tâtons. Quelle folie d’avoir entrepris ce voyage ! J’aurai été plus utile auprès de mes amis…

Quelque chose tombe du ciel et se dépose sur mes lianes. On dirait du pollen. La paume ouverte, j’en récupère quelques grains afin de les examiner. À peine les ai-je effleurés qu’ils se dissolvent en eau glacée. J’observe le flot s’écraser soudain sur le sol infertile et le recouvrir d’une pellicule blanche.

La vieillesse arrive brusquement, comme la neige. Un matin au réveil, on s'aperçoit que tout est blanc.[1]

L’écho fantomatique de la voix de Diego danse avec le vent. C’est donc à cela que ressemble la neige ? En d’autres circonstances, le spectacle m’aurait saisie par la beauté de son silence. Or, lasse et gelée jusque dans ma sève, je me statufie lentement sur place. Le processus d’hibernation s’enclenche sans que je puisse l’enrayer. Néanmoins, avant de sombrer dans l’inconscience, j’envoie un ultime appel aux miens.

Le sourire de Ruka s’imprime devant mes yeux.Je suis désolée de n’avoir pas su tenir ma promesse. Adieu.

***


Sècheresse excessive ; atroce. Mon corps tout entier me tiraille, le moindre mouvement est un supplice. Mais je ne ressens plus la bise glaciale de la montagne. J’entrouvre mes paupières. Elles sont si lourdes… Au prix d’un gros effort, un monde flou m’apparaît. Sans doute, une conséquence directe de la déshydratation. Cependant, cela ne m’empêche pas de distinguer deux silhouettes penchées au-dessus de moi.

— S… soif, parvins-je à murmurer d’une voix enraillée.

— Elle se réveille ! s’écrient des voix fluettes à l’unisson.

Des bruits de pas hâtifs se rapprochent. On me soulève. Un liquide se met à ruisseler sur mon visage, mes racines sont plongées dans la terre humide. Aussitôt, j’en puise tous les éléments nutritifs. Un soupir de soulagement franchit mes lèvres fendillées.

— Là, tu as meilleure mine ! m’annonce un timbre grave.

Ma vue redevient nette en quelques minutes. Pendant cette période, je récupère également la maîtrise totale de mes membres. Sustentée, j’observe mon interlocuteur avec méfiance. Et réprime un cri de surprise.

Des prunelles ambrées, une fine peau verdâtre et une ramure enchevêtrée sur la tête ; un Sylvanos transmué. Le creux au centre de son front m’interpelle, je ne parviens pas à en décrocher mon regard.

— J’ai été banni par le Roi, il y a déjà bien longtemps. Toi aussi apparemment, comprend-il en effleurant le vide laissé par l’absence de ma sphère.

Mon regard s’abaisse jusqu’au sien. Il esquisse un sourire. Je tente d’invoquer mes souvenirs le concernant, mais il m’est inconnu. Pas étonnant : l’individualité au sein de notre peuple n’existait pas. Mis à part mon compagnon de vie – ma poitrine se crispe en y pensant – les diverses apparences de mes frères et sœurs importaient peu.

— Je m’appelle Tor.

Il me tend une main que j’accepte après une courte hésitation.

— Syl, lui révélé-je tout en avisant mon environnement.

Des habitations de végétaux et de boue séchée nous entourent, elles-mêmes cernées par de hautes collines feuillues. Où est donc passée la neige ? Et l’atmosphère glaciale ? Pour seule réponse, un vent agréable caresse ma chevelure. Je ferme les paupières. Un ronronnement cyclique parvient jusqu’à mes oreilles. Qu’il est apaisant ce son…

Lorsque j’ouvre de nouveau mes yeux, je réalise qu’un groupe s’est formé devant moi. Mon cœur rate un battement ; Sylvanos et humains ensembles ! Certains des miens ont revêtu une nouvelle apparence tout comme Tor et moi, d’autres portent toujours leur épaisse écorce. Mais aucun d’eux n’a de sphères sur le front.

Quant aux Hommes… Je n’ai jamais vu autant de visages épanouis. Pas d’armes, pas de traits déformés par la peur, ni de rides précoces. Cet endroit respire la quiétude. Des enfants jouent comme si tout était normal. Le bonheur de leurs chants me contamine. Une vieille humaine s’avance vers moi.

— Le Veilleur a capté ton appel, il s’en est fallu de peu pour réussir à te sauver. Alors, dis-nous maintenant, que viens-tu faire ici, si loin du Roi ?

Un Veilleur ? De qui parle-t-elle ? Enjouée par la réussite de ma quête, je néglige ce point afin de satisfaire sa demande.

— Je suis partie à la recherche d’un refuge pour mes amis humains. Le Roi est décidé à tous les détruire avec sa nouvelle arme : les Flamboyants. Les enfants de la fusion des Sylvanos, précisé-je face à leur expression intriguée.

Une bourrasque chaude torsade mes lianes autour de mon tronc. Et pourtant, mon corps se met à frissonner. Je lève les yeux vers le ciel d’un bleu pur, vierge de tous nuages de pluie avant de m’attarder sur la terre qui recouvre encore une partie de mes racines. Sèche, volatile.

Des décharges électriques sillonnant le long de mon échine.

Je reviendrai vite…

— Combien de temps… ? murmuré-je, la gorge nouée.

La matriarche arque un sourcil.

— Parle plus fort, je ne suis plus toute jeune, plaisante-t-elle.

— Combien de temps ai-je dormi ? répété-je d’une voix plus assurée que ce que je ressens à l’intérieur de mon être.

Je crains sa réponse autant que je la désire, même si la vérité détient le pouvoir d’anéantir tous mes espoirs. Les lèvres de l’ancienne remuent, aucun son n’en sort. Ses doigts tapotent le pouce en rythme, ses yeux roulent vers le haut. Mon cœur bat la chamade. Une si longue réflexion ne peut vouloir dire qu’une chose…

— Trois lunes environ.

— Tr…

Mes mots se perdent à la lumière du choc. Quant à mon esprit, il souhaite se cloîtrer dans le néant pour l’éternité. Malheureusement, le sommeil ne m’emportera plus de sitôt dans son royaume. Je suis condamnée à subir de plein fouet la conséquence de cet acte que je pensais héroïque !

Je reviendrai vite

Cette promesse que je n’ai pas tenue. J’ai échoué, il est trop tard pour les sauver !

Que reste-t-il de mes amis, de ma fille spirituelle, de mon amour ? Une larme glisse sur ma joue. Tiédeur au goût amer de la défaite.

Sans but, tourmentée par la culpabilité, je songe à accélérer mon recyclage. Ma fleuraison sera-t-elle éblouissante ? De quelles couleurs se pareront mes ramures ? Un arc-en-ciel à l’image de ma nature multiple ? Ces suppositions ne m’apportent d’aucun réconfort, ceux que j’aime n’assisteront jamais à ce spectacle. Les yeux clos, emmurée dans un silence que la communauté n’ose pas rompre, je capte de nouveau le ronronnement dans le lointain. Mon cœur brisé se laisse bercer par le tempo régulier, cale son propre rythme dessus jusqu’à les battements soient harmonisés. Le son devient un grondement de plus en plus proche. Rugissant.

J’ouvre mes paupières.

Et contemple un paysage pareil à ciel renversé qui s’étend à perte de vue. Une partie de mes racines plonge dans un vide vertigineux. Effrayée, je recule d’un pas sur la roche. Comment suis-je arrivée ici ? Je ne me rappelle pas avoir marché…


[1]Citation de Jules Renard (Écrivain français. 1864-1910)



>>>> NB: Bien que ce roman soittouche à sa fin, ilreste incomplet à ce jour, n'ayant eu le temps de le continuer (et surtout je dois sortir un tome 2 d'un autre roman l'an prochain et donc j'ai 4 mois pour l'écrire...) mais j'y reviendrai dés mon roman terminé....

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