4

5 minutes de lecture

Grand-mère soupira. Ce n’était vraiment pas une histoire à raconter à de si jeunes filles, mais les temps avaient changé, encore, et il fallait bien qu’elles se préparent. L’une d’elle l’interrompit pour demander :

— Et Frank, qu’est-ce qu’il lui est arrivé ?

— Sacristi-Jo l’a pendu avec ses trois frères et son père. Leurs corps ont pourri pendant des lustres sans que personne n'ose les décrocher.

— Et les méchants hommes ?

— La plupart avaient survécu et ils sont revenus plusieurs fois pour se venger. Chaque fois, elle les a repoussés. Et puis un jour, c’est elle qui est allé les trouver. Durant une nuit, elle est passée de maison en maison, puis de fermes en fermes, pour trouver tous ceux qui étaient venus attaquer l'orphelinat. Et elle les a égorgé durant leur sommeil ou abattu avec le colt de Garrett.

— Et les méchants hommes sont tous morts ?

— Non, malheureusement. Beaucoup ont quitté la région, mais d’autres mauvais hommes sont venus à leur place. Des bons aussi, parce que Jo est devenue shérif quelques années plus tard. Elle effrayait tant les bandidos que personne n’est venu troubler le calme de la région durant des années et des années.

— Alors pourquoi des mauvais hommes ont attaqué la ville hier, Grand-mère ?

— Parce que les gens n’ont pas une bonne mémoire. Ils oublient vite leur peur et préfèrent céder à leurs caprices et à leur ambition. Ceux-là sont juste des coyotes errants, pas comme les Bonder, mais ils sèment le malheur et la mort tout autant sur leur passage.

Mary-Jane se leva, la petite avait l’ouïe fine, celle de la vieille dame ne l’était plus autant qu’autrefois.

— Il y a des chevaux, prévint-elle.

— Je vois. C’est donc l’heure, soupira Grand-mère. Venez les filles, faites ce que je vous ai dit tout à l’heure.

Elle fit craquer ses vieux os, ramena son châle sur sa poitrine et se porta en grimaçant vers la fenêtre. Les temps de malheur étaient revenus, portés par ce maudit chemin de fer. À présent, on pouvait piller une ville, faire une demi-journée de cheval et se retrouver de l’autre côté du pays en wagon le surlendemain. Ceux-là débarquaient sans savoir dans quel guêpier ils avaient mis les pieds, parce que ne leur déplaise, Sacristi-Jo rôdait toujours dans la région. En attendant que sa légende se rappelle aux oreilles de ces hors-la-loi, c’étaient à elles de prouver qu’on ne pouvait pas débarquer ici et faire n’importe quoi.

Une vingtaine, pas plus, estima-t-elle.

C’était déjà beaucoup. Ses mains se contractèrent à plusieurs reprises sur le pommeau de sa canne pour faire sauter la rouille dans les articulations gonflées. L’un des filles souffla les bougies, pendant qu’une autre noyait le feu sous la cendre.

Bonnes petites…

L’un des hommes, probablement leur chef, s’avança au pas lorsque la troupe fit halte. Grand-mère ouvrit la porte et se posta sur les marches de l’orphelinat pour lui faire face.

— Hé, lança-t-il, on a entendu dire qu’il y avait un bordel par ici. On y est ?

Les ricanements de la bande, leurs airs suffisants et leurs yeux plein de vice, tout était fait pour l’impressionner et l’obliger à se rendre, à les laisser faire pour sauver sa vieille peau. Grand-mère sourit, un sourire doux et parfaitement calme.

— On vous aura trompé alors, il n’y a qu’un modeste orphelinat ici.

— C’est pas la même chose ? cria un homme en retrait.

Les rires de la bande firent frémir Grand-mère.

Alors, c’est pour ça que vous êtes venus. Une bande de lâche et de dépravés, le Seigneur vous en réservera une belle à votre mort.

Le chef de la bande reprit, d’un ton qui se voulait conciliant.

— Écoute grand-mère, on a chevauché longtemps et mes hommes sont fatigués. C’est la nuit, tu pourrais nous offrir l’hospitalité ? On sera partis demain matin et ce sera comme si on n’était jamais venus.

— Oh, je vois. Dans ce cas, que diriez-vous d’utiliser la chapelle pour cette nuit ?

Du menton, Grand-mère désigna le bâtiment délabré dont plus personne ne s’approchait depuis longtemps.

— OK, c’est comme tu veux, rétorqua le chef. Harp, tue-la.

— Avec plais…

Le coup de feu avait surpris tout le monde, à commencer par Grand-mère. Le colt de Garrett pesait lourd dans sa main fripée. Le corps chuta lourdement, touché à la poitrine. En plein cœur. Ses compagnons firent mine de sortir leurs armes, mais les volets de l’orphelinat s’ouvrirent sur deux étages, dévoilant une batterie de fusils prêts à ouvrir le feu.

Le chef leva la main pour stopper ses hommes, conscient du danger. Seule et à pied face à eux, elle était une cible facile, mais s’ils sortaient leurs armes, les tireurs embusqués les abattrait en retour comme des chiens. Grand-mère rangea son vieux colt avec une agilité qui trahissait des années d’expérience, puis leur lança :

— Je vous présente mes filles ! Toutes entraînées depuis le berceau à mettre du plomb dans le ventre de tous ceux qui viennent ici en croyant pouvoir faire n'importe quoi. Alors sortez vos armes et je jure sur Satan qu’on ne retrouvera jamais vos carcasses pour les enterrer.

Plusieurs des hommes éperonnèrent les flancs de leurs chevaux et disparurent en quelques secondes, avalés par la lande et les ténèbres. Le reste de la bande suivit après une courte hésitation. Seul leur chef resta un moment sans bouger, son regard dur plongé dans les yeux de jais de Grand-mère.

— Tu sais à qui tu t’adresses, la vieille ? Je suis Colaum Dex, tu crois t’en tirer comme ça ?

— Oh, j’ai entendu parler de toi. Une vulgaire fripouille de Boston qui croît faire son chemin là où les marshals ne vont pas. Mais sais-tu au moins pourquoi il n’y en a jamais par ici ?

— Parce que c’est un trou paumé que même les démons ne visitent plus ?

— Parce qu’il y a pire qu’un marshal ici. Il y a moi, asséna Grand-mère en faisait claquer sa canne au sol.

Sur un ricanement, Colaum demanda :

— Et t’es qui toi ?

— La sorcière de Copperhill, la diabla de capilla, l’égorgeuse du Montana.

Le visage de Colaum changea de couleur et ses yeux parurent hantés, comme s’ils avaient vu une armée de spectres. Sans un mot, il ordonna à sa monture de passer au galop et disparut aussi vite qu’il était venu. Sans se départir de son sourire si doux, Grand-mère murmura à l'ombre fuyante :

— Tu pourras t’en vanter, petit salopard. Ils ne sont pas nombreux, ceux qui ont survécu à Sacristi-Jo.

Annotations

Vous aimez lire Alice Dubois ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0