Le philtre d'amour

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Titus est bien décidé à forcer le destin. Son titre et son prestigieux rôle au sein de la société romaine l’éloignent bien souvent de toute opportunité agréable. Il peut, vu son statut, obtenir toutes les femmes qu’il le souhaite. Certaines, même, lui envoient des billets d’amour enfiévrés auxquels il répond parfois. Il aime que ses nuits soient aussi actives que ses jours. Cela représente un dérivatif puissant. C’est ainsi qu’il supporte la tâche qui lui incombe.

Le plus difficile en amour est d’obtenir celle qu’il convoite. Plus dure sera sa conquête, plus exaltés seront les plaisirs qui en découleront. Tel un combat acharné comme le vivent sans doute les gladiateurs au milieu de l’arène, l’excitation est à son paroxysme à la fin d’une lutte acharnée. Il ressent une jouissance sans pareille, bien plus que lorsque la proie a été facile à séduire.

Bérénice n’est pas auprès de lui actuellement. Soucieux de faire preuve de discrétion, ils se voient peu, et jamais en public. Son corps appelle les plaisirs. Sa sensualité exacerbée le taraude. Et il s’emploie toujours à apaiser ses appétits sexuels.

Il mande dès le lendemain son serviteur le plus fidèle, celui qui est à son service depuis six mois, ce qui est exceptionnel.

Bien souvent, les esclaves employés par Titus commettent tôt ou tard une faute impardonnable et sont chassés sur le champ ou même pire, lorsque le délit est grave, tués. Il a pouvoir de vie et de mort sur chaque personne qu’il emploie. Ce serviteur-là a résisté au temps. Il a réussi à accomplir des missions personnelles délicates, sans jamais dire un mot. On l’appelle « La carpe ».

- Viens tout près de moi, La carpe, j’ai une mission de la plus haute importance à te confier.

- Oui, maître, dit le serviteur en se courbant bien bas aux pieds de Titus.

- Demain, tu vas aller à Pompéi. Je t’ai fait préparer un chariot. Avant le lever du jour, tu partiras discrètement sans dire à personne où tu vas. Je te donne dès à présent une bourse remplie de pièces pour tes besoins personnels et pour payer deux citoyens que tu iras voir pour moi.

D’abord, un tisserand, qui te remettra un nouveau tissu qu’il a crée pour moi. Ensuite un couturier, celui qui connaît mes mesures et pourra me tailler une nouvelle toge d’apparat pour la fête de printemps que je vais organiser.

Puis, tu te rendras chez la guérisseuse Domitia, près du forum, et tu lui feras préparer pour toi un philtre d’amour. N’oublie pas, celui-ci est pour toi, tu veux reconquérir ta femme qui te délaisse.

Pas un mot sur mes desseins, tu ne parles à personne. Je te veux ici au coucher du soleil. Va !

Le serviteur s’incline et s’active aussitôt à remplir sa mission.

Fier d’être le serviteur de l’empereur, celui-ci est aussi atterré de voir jour après jour son comportement inconsidéré qui pourrait lui coûter son titre et sa vie, si cela venait aux oreilles de quelqu’un.

Il connaît les risques, il mesure l’importance d’une telle attitude. Il ne cautionne pas les folies de son maître. Mais c’est ainsi. Il a promis le silence.

Le lendemain, une fois à Pompéi, il traverse la ville déjà très animée à cette heure matinale. Il se retrouve sur le forum où tous les pompéiens se donnent rendez-vous pour discuter les prix des marchandises, haranguer la foule pour soutenir une opinion politique ou vendre leurs produits.

De toutes parts, les cris des marchands emplissent l’atmosphère. Le serviteur de Titus est ébloui par tant d’activités. Il se dirige vers le temple de Jupiter, prend le temps de faire une prière censée lui attirer de bons augures dans cette délicate mission.

Plus loin, une femme échevelée assise à même le sol, les bras levés en l’air, prévient les pompéiens qu’un malheur va bientôt arriver. Les gens passent sans remarquer cette sorcière dont l’esprit divague. Il entend malgré lui quelques phrases énoncées d’une voix forte, comme venue d’outre tombe. Elles prédisent un avenir funeste pour Pompéi :

- Le temps de l’abondance est fini, prenez garde, déjà la terre vous a avertis, le tremblement de terre de l’année 60, souvenez-vous ! Concitoyens, ne menez pas votre vie de oisifs sans prêter attention aux signes du ciel, réfléchissez, vos actes mèneront au désastre !

Elle se balance d’avant en arrière, les yeux dans le vide. De toute évidence, elle n’a plus sa raison.

Le serviteur presse le pas, trouve l’échoppe de l’artisan qui tisse les plus belles fibres de Pompéi. D’immenses rouleaux de laine et de lin sont entreposés là, prêts à être découpés et teints. Pour son maître Titus, l’artisan a conçu un tissu épais et doux pour une cape qu’il destine à une soirée particulière.

Ainsi muni du précieux tissu, il se rend chez le couturier qui, habitué aux commandes du futur souverain, cesse aussitôt son activité pour se consacrer à la confection de l’habit impérial.

Le couturier lui indique que son travail va durer une heure. Libre encore de profiter de ces inestimables moments en solitaire, le mandaté se permet un détour à l’échoppe « Les amis », dont on lui a beaucoup parlé. Ici le vin coule à flots, les conversations vont bon train. Après trois verres de ce précieux breuvage, il retourne récupérer le vêtement, déjà prêt.

Il remonte la ville, dans un quartier plus excentré, là où se trouve la «Maison des anges dorés».

Au loin, le Vésuve attire son regard. Sa prestance est telle qu’on la lui a décrite. Sa beauté indéniable s’ajoute au charme de la ville. L’aura dont il dispose répand sa force, tel un géant protecteur et bienfaiteur.

Arrivé devant la porte de la demeure qu’il recherchait, une inscription peinte sur le mur attire son attention : «Cave Canem». Il doit faire attention au chien qui garde la maison. Au sol, sur le seuil, une mosaïque aux couleurs rouge orangé représente un molosse en laisse, les crocs en avant.

Il toque. Une femme d’un certain âge lui ouvre. Il aperçoit derrière elle le fameux animal, enchaîné et prêt à bondir.

- Bonjour, vous êtes Domitia, la guérisseuse ? Celle dont tout le monde parle, qui fait des miracles ? J’ai besoin de vos services aujourd’hui. Ma femme me délaisse. J’ai besoin qu’elle me revienne à nouveau. Pouvez-vous me concocter un philtre d’amour de votre connaissance ? Je paierai cher pour cela. Je viens de loin. C’est ma dernière chance. Je vous en prie, dites oui.

- Oh, mon brave, vous voilà tout bouleversé. Oui, en effet, je sais faire cela. Il me faut une heure. Patiente et reviens la chercher.

- Merci brave dame, je suis d’accord pour attendre.

Le serviteur ne trouve pas le temps long. Il lui suffit de tourner la rue pour trouver une échoppe bien achalandée en pain, fruits et vin. Il fait une pause méritée, écoute les pompéiens parler du prix des matériaux pour bâtir une maison, des difficultés qu’ils rencontrent à réparer les canalisations de plomb qui se trouvent sous les trottoirs. Les ouvriers transpirent. Ce sont tous des esclaves maigres, harassés, marqués par les heures passées au soleil.

Enfin, il va chercher la fiole tant attendue. Il la dissimule dans un panier rempli de brioches qu’il achetées pour sa famille. Il connaît la composition de ce philtre d’amour. Il se demande si cela va produire les effets escomptés. Les guérisseuses utilisent la mandragore, cette intrigante plante aux racines de forme humaine. Réduite en poudre et mélangée à du vin, elle semble une boisson ordinaire. Il suffit de la faire boire secrètement à l’insu de l'individu. Celui-ci ressentira des effets hallucinogènes pas forcément agréables, qui, pendant quelques heures, lui feront perdre la maîtrise de soi-même. La personne qui l’a bue peut se laisser aller à des actes ou des décisions sans même s’en rendre compte.

Insidieusement, c’est ce que souhaite Titus. Sapienta boira cette potion à laquelle il attribue la plus grande croyance. Elle sera à lui, elle oubliera Hadès dans ses bras, il en fera sa maîtresse d’un soir, elle se lovera contre lui, lui donnera du plaisir. Même si ce sont des moments fugaces, il ferait n’importe quoi pour les obtenir. Sapienta, comme toutes les femmes, se pliera à ses désirs, sera sous sa coupe, comme dominée par lui.

La jouissance de ce moment sera intense. Il a hâte d’aller à sa rencontre, muni de son philtre puissant.

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