- Embrasse-moi, dit-il.

Valentine fait glisser un trait de khol noir le long de son oeil écarquillé, la bouche entrouverte, elle retient sa respiration pour s'empêcher de ciller.

- Tu ne m'aimes plus.

La même rengaine.

- Ça t’ennuie ce que je raconte ? Tu ne réponds même pas !

- Mais bon sang! Tu vois bien que je suis en train de me maquiller!

- J'en ai rien à foutre que tu te maquilles, rien à foutre de ton train, quand je te parle, le reste n'a pas d'importance!

Valentine pose son attirail en ravalant un soupir: évitons de souffler sur les braises, pense t-elle.

Elle cherche ses mots mais il n'y en a pas un seul qui soit bon.

La vérité ce n'est pas que Valentine ne l'aime plus, c'est qu'elle ne veut plus l'embrasser.

Elle ne veut plus au point de traîner le soir en rentrant, s'installer à l'abribus, la rue parallèle à celle de Jules, au lieu de rentrer le retrouver et lui sauter au cou comme elle aimait le faire avant. Désormais elle reste au milieu du bruit, un livre à la main, dans les cris de collégiens surexcités mêlés au blabla outré de quelques vieilles dames. Et là enfin elle se sent bien.

Valentine ne veut plus l'embrasser.

Elle se lave les mains cinquante fois par jour, voila le genre de fille qu'elle est. Mais sous les yeux de Jules, fait tomber la clope qu'elle va allumer, sur le goudron de la gare routière. "Tant pis c'est dégueu", dit-il. Valentine n'écoute pas, se baisse, la prend et met à sa bouche tous les microbes de la gare, d'un baiser, un seul, tous les touristes, les passants et les clochards du coin, là, entre ses lèvres, savourer le dégoût qu'il a pour elle, plutôt que de l'embrasser lui.

Il a toujours ce sourire séduisant qui l'avait chamboulé et derrière cette rangée de dents, il y a d'autres choses.

Des choses moches.

Il t'a tutoyé, tu le connais ce gonze? Avec ses petites mûles d'homosexuel. Ah tu le connais pas, le mec il te connait pas, il te demande du feu, il te tutoie et tu dis rien. Tu t'étonnes après que je ne puisse pas te faire confiance si tu envoies ce genre de signaux...

Embrasse-moi... Mais embrasse-moi!...

Tu as pris tes vacances en juillet car tu sais que je prends les miennes en août. Tu voulais pas être avec moi hein... Qu'est-ce que tu vas faire cet été hein? Montrer ton cul sur la plage? Faire la belle à tes cafés de bobos, avec ton p'tit chapeau et ton p'tit bouquin...

Embrasse-moi...

Tu regardes encore ces conneries? Y a que les faibles d'esprit qui avalent ce genre de sornettes tu sais. À quoi ça sert, dans quel but, tu ne veux pas faire quelque chose d'utile pour changer?... Pour qui tu mets du rouge à lèvres? Pourquoi quand on est tous les deux tu ne te fais pas belle?...

Tu ne m'embrasses plus? Tu ne m'aimes plus?...

Cette fille c'est qu'une trainée, pas ton amie, une mauvaise influence pour toi. Tu as jusqu'à demain pour l'enlever de tes contacts, je te préviens : me prends pas pour un con... Quand je vois tes ex, je me demande ce que tu fous avec moi, c'est vexant. Pourquoi tu les défends? Ben écoute si ça te manque, t'as qu'à y retourner... Si t'aime chanter, t'as pas besoin d'aller dans un atelier à la con, si t'aime vraiment chanter : tu chantes ici. En fait ce que tu veux c'est te donner en spectacle. Tu veux plaire à qui?...

Je le sens que tu ne m'aimes plus...

Si c'est vraiment une copine qui t'attends en bas dans la voiture, pourquoi tu ne veux pas que je descende avec toi? Y a qui en réalité que tu ne veux pas que je vois?... Donne moi la main, t'as pas envie qu'on sâche qu'on est ensemble? Peut-être que ça te pose un problème... Tu jouais à la petite-fille pure, mais pas si pure que ça... Pour un mec c'est pas pareil... Si tu as accepté de faire ça avec lui, tu dois le faire avec moi, sinon ça signifie que tu ne m'aimes pas...

Non, tu ne m'aimes pas...

...des excuses à la mord-moi-le-noeud... tu ne veux pas emmenager avec moi parce que tu vois quelqu'un d'autre, c'est ça?... Reste vivre dans ton microcosme de sudistes arriérés. Dans ta rue pourrie, pleine de cafards, de cassos et de kebabs...tu aimes vivre dans la merde... Je croyais que tu n'aimais pas te baigner, pourquoi tu le fais avec tes copines? ...t'es qu'une menteuse. Tu dis quelque chose et tu fais l'inverse. Comment je pourrais te faire confiance?...

Valentine embrasse tous les passants de la gare, mais lui, elle ne veut plus l'embrasser.

L'haleine est douce malgré tout ces vilains mots qui l'infectent. On ne se douterait pas que le regard clair se fait fétide (oui un regard fétide ça ne veut rien dire, mais il y en a un qui sent vraiment mauvais: Valentine se dit que ça sent mauvais pour elle et ça ne loupe jamais.)

On dit "ivre de colère". Le regard de Jules est bien chargé, de tout ce qui macère dans le bouillon de colère de son ventre, le tréfond de lui-même dont les vapeurs l'énivre. Il faut évacuer les peurs usées, mais la bouche ne devrait pas être les égouts d'un coeur.