Chapitre 1 ( version 2)

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Aéroport Charles-de-Gaulle, Roissy.

Dans la première classe de l’avion à destination de Paris, Aelina observait le ciel à travers le hublot qui lui servait d’unique fenêtre. Son carnet de croquis, négligemment posé sur la tablette rétractable, à côté de son gobelet de thé dévoilait ses derniers dessins : des créatures ailées aussi belles qu’inaccessibles, des ébauches d’une cité antique en flammes, des symboles et la Tour Eiffel de la ville de l’amour.

De la couverture en cuir élimé dépassait un morceau de feuille. Alors que le Boing entamait sa lente descente, l’hôtesse demanda aux passagers de rabattre les tables. La jeune femme s’exécuta et le morceau de papier virevolta sur le siège d’à côté. Aelina le ramassa et se replongea une nouvelle fois dans les mots qui l’avait poussé à prendre cette décision, à quitter le doux foyer de son père Isaac :

« Trouve Marie à Paris, elle saura t’aider » étaient les seuls mots encore lisibles sur la feuille de papier jaunie par le temps. La brune aux yeux verts referma la lettre et la rangea précautionneusement avec ses affaires.

L’avion se préparait à atterrir et les secousses se faisaient plus nombreuses, retournant l’estomac de la jeune femme à tel point qu’elle dût se retenir de vomir. Quand les turbulences s’arrêtèrent, Aelina soupira de soulagement. La première classe n’étant pas très peuplée, elle put sortir de l’habitacle assez rapidement. Elle traversa le long couloir de métal, le crissement assourdissant de ses roues sur le sol se répercutant sur les minces cloisons.

Le bruit cessa lorsqu’elle atteignit le terminal correspondant à son vol. Tout en attendant ses valises, elle ralluma son smartphone et rechercha l’adresse de sa résidence. Son père, soucieux du bien-être de sa fille, avait utilisé son réseau de couturiers à Paris pour lui trouver un petit studio proche de son école d’arts. D’après ses notes, celui-ci se situerait dans le 10e arrondissement. Elle chargea l’itinéraire le plus rapide, releva la tête pour voir si sa valise arrivait, s’en saisit et gagna la sortie.

Avant de se rendre dans son nouveau " chez elle", elle laissa sa valise à son chauffeur et lui informa qu'elle allait se promener un peu.

Le temps était doux pour un mois de septembre. Dans un méli-mélo de couleurs bigarrées, la ville s’était parée de ses atours automnaux, des oiseaux sifflaient une mélodie doucereuse, un pâle soleil réchauffait le paysage ; des effluves de feuille morte et de marron se mêlaient aux décorations d’Halloween qui ornaient les rues. Bonnets, mitaines et gants mouchetaient les avenues de nuances chatoyantes, offrant à Aelina le plus beau des tableaux. Ravie, Aelina respira un bon coup, elle se sentait déjà bien dans cette ville grouillante et bruissante. Elle allait enfin découvrir d’autres contrées, d’autres horizons et peut-être aussi une partie de son passé. Elle avait l'intime conviction que cette ville serait synonyme de changement et de renouveau.

Gonflée d’enthousiasme et d’espoir, elle poursuivit son chemin et, après plusieurs arrêts de métro et plusieurs minutes de marche, déboucha sur la très célèbre avenue du Trocadéro. Sous le soleil cachottier de septembre, une atmosphère de vacances et de romance planait encore sur l’étendue gazonneuse. Perchée sur les marches symétriques qui menaient à l’espace vert, elle surveillait les badauds en quête d'un portrait à acheter pour immortaliser leur passage à Paris. Au loin, elle repéra un couple en train de faire des selfies et des poses. Le photographe improvisé se prêtait au jeu de séduction de sa compagne et souriait béatement à travers l’objectif. Attentive, elle remarqua qu’il jouait avec son smartphone pour rendre les photos encore plus parfaites. Intrépide, elle décida de saisir sa chance et de se faire un peu de monnaie en proposant ses services et se dirigea vers les deux tourtereaux.

Paris, Trocadéro un peu plus loin au même moment.

Des sirènes, un grincement de pneus, des voitures lancées à toute allure sur la route qui menait au lieu de plaisance. Dans l’une d’elle, un jeune homme et sa coéquipière étaient sur le pied de guerre. L’auteur du délit venait de leur échapper. Ce grand bandit spécialisé dans les braquages de banques venait de conduire toute son équipe en déroute. Il ne pouvait pas laisser faire ça, pas aussi près du but. Son chef le démolirait et il pourrait dire adieu à sa promotion. Foi de Nathanaël, cet infect insecte ne lui échapperait pas et il se chargerait lui-même du sale boulot s’il le fallait. Le véhicule s’arrêta violemment et la ceinture se bloqua si fortement que le commissaire en eut le souffle coupé.

« Rattrape-le, cria la conductrice, il se dirige vers le Trocadéro. Je te rejoins en haut des marches.

- C’est parti.

Nathanaël opina du chef, sortit en trombe de la voiture et se mit à courir à un rythme effréné. Plus il avançait vers ledit lieu, plus le nombre de personne se densifiait laissant de moins en moins de passage. Il le pistait encore quand, un mur de touristes se referma sur lui. Le fuyard en profita pour disparaître dans la foule parisienne. Refusant d’abandonner si près du but, il joua des coudes, se fraya un passage et s’extirpa tant bien que mal de cette houle de personnes. Dans sa célérité, toutes ses pensées focalisées sur sa cible, il ne vit pas la menue silhouette en train de griffonner sur un carnet de croquis devant lui et fonça droit vers l’impact. Dans une pluie de cris, de crayons et de papiers, l’ombre s’écroula sur le sol. Un geignement étouffé sortit de sa bouche :

- Aouch ! Aïe, aïe, aïe. Non, mais il est malade celui-là ! Qu’est-ce qui va pas chez lui ?

Nathanaël se releva prestement, s’épousseta et posa son regard sur la malheureuse qui avait croisé sa route. Lorsqu’il surprit son regard émeraude, un frisson l’envahit, troublant sa conscience. Puis, à l’instar d’un éclair, une image fugace, survenue d’un passé qu’il aurait aimé oublier, s’imprima dans son esprit. Deux yeux verts, une nuance de jade, des cils noirs… Elle disparut tout aussi furtivement. Il secoua la tête et tendit une main qu’il souhaitait secourable envers la victime de sa maladresse. Confus, il bredouilla :

- Veuillez m’excuser, je me suis fait prendre d’assaut par la foule...et…

- Oui, je le vois bien ! dit-elle en saisissant sa main pour se remettre sur pieds. Ça ne vous arrive jamais de faire attention ? Vous auriez pu me faire très mal et vous blesser avec mes crayons qui plus est !

Nathanaël rougit un peu devant l'attaque de la jeune passante. Il méritait sa réflexion, il avait été trop distrait. Il baissa les yeux et remarqua le matériel répandu sur le sol en un tas informe. Il rassembla les crayons, puis entreprit de ramasser les feuilles quand il tomba sur un dessin. Il braqua son regard sur Aelina et lui demanda :

- Est-ce vous qui avez dessiné cela ? Demanda-t-il en lui montrant l’esquisse du fuyard.

- Non, c’est la Tour Eiffel !

- Très drôle ! Je ne plaisante pas ! C’est important ! Si vous avez vu cet homme, il faut me le dire ! Il est recherché par la police ! Insista-t-il, une pointe d’exaspération faisant trémuler sa voix.

À ce moment, Aelina scruta les yeux du jeune homme. Un éclat étrange brillait dans ses iris cérulescents, comme de l’inquiétude, de l’impatience et une certaine animosité. Elle s'attarda sur  son regard et y perçut autre chose, peut-être un symbole ou une marque, en tout cas une forme qui n'appartenait pas au genre humain. À bien regarder, ses pupilles, noires malgré tout, de forme oblongue, tenaient davantage du félin que de l’humain et dans leur profondeur océanique, elle pouvait apercevoir une flamme, vestige d’un autre temps, d’une autre vie.

- Alors ? L’avez-vous vu ? Je le repète, c’est vraiment important ! Je dois le retrouver à tout prix ! s’impatienta-t-il.

Son ton sec la ramena à la réalité et la bribe du souvenir qui venait d’apparaître dans sa tête s’effaça et la renvoya vers le présent. Elle secoua sa tête et finit par répondre :

- Oui, je l’ai vu ! Il se dirigeait par là, dit-elle en levant son bras pour désigner une rue proche de la Tour Eiffel.

Elle baissa de nouveau la tête vers son croquis, comme gênée et poursuivit :

- J’ignore le nom de la rue, mais il a été fortement ralenti lui aussi par les passants et par le fait qu’il regardait sans cesse en arrière. Vous devriez pouvoir le rattraper assez vite, soupira-t-elle.

Lorsqu’elle releva les yeux de son dessin, le jeune homme s’était déjà pratiquement tourné vers la direction qu’elle avait indiquée . Il inclina toutefois ses pupilles vers elle, posa la main sur le dessin, effleurant ses doigts barbouillés de fusain, et demanda si bas qu’elle peina à l’entendre :

- Est-ce que je peux prendre cette esquisse ? Elle me sera très utile.

Le souffle chaud de l’étranger sur sa joue lui procura des frissons ; rougissante, gênée, incapable de raisonner clairement, elle se contenta de hocher la tête. Il lui sourit, la remercia avant de lui laisser une carte avec ses coordonnées et de disparaître dans la foule grossissante de ce chaud weekend parisien.

Pantoise, Aelina mit un certain temps avant de se remettre de ses émotions. Comment un parfait inconnu avait-il réussi à déclencher un flash chez elle ? Elle qui était amnésique depuis des années venait de retrouver un tout petit morceau de mémoire. Comment était-ce possible ? Décidément cette année à Paris serait vraiment placée sous le signe du changement. En un impact, il venait de chambouler tout son monde et son intuition lui soufflait que ce ne serait pas la seule et unique fois qu’elle allait le revoir. En attendant, il ne lui restait que cette carte et le souvenir d’un regard bleu comme un ciel d’été. Pas de doute, Paris serait la clé pour résoudre le mystère de son amnésie. Son père avait vu juste, quelque chose l’attendait ici et elle se donnerait les moyens de trouver les réponses à ses questions. Cependant, pour le moment, il allait falloir d’abord trouver son appartement et un revenu pour ses faux frais. Remplie de convictions, elle rangea ses crayons et son bloc, sortit son smartphone et reprit la route qui menait à sa nouvelle demeure.

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