Chapitre 3

5 minutes de lecture

Note :

“Le Hilton”, le “little Las Vegas” et “La plantation” sont tous des endroits maudits qui ont existé. Ce qui s’y déroule est le fruit de mon imagination nourri par les témoignages des survivants que j’ai pu retrouver. Il sera sans doute difficile pour les plus sensibles de poursuivre cette histoire. Je préfère vous avertir. (Eden)

—————

Blue Rock, Caroline du Nord,

Le 15 mars 1975, le soir.

J’ouvris les yeux quelques heures plus tard sur un plafond que les années avaient commencé à parcheminer. J’avais pu me reposer bien mieux que je ne l’avais espéré. Ça n’était pas tant que le sommeil me fuyait, au contraire, mais lorsque je lui cédais, il me replongeait systématiquement dans mes souvenirs.

Alors à force, j’avais appris à me contenter d’une étrange somnolence durant laquelle ma conscience restait toujours aux bords extrêmes de l’éveil.

Je descendis avec prudence, pour ne pas croiser ma logeuse et sortis me promener un peu.

Blue Rock était la même que dans mes souvenirs, une ville douce et tranquille, bercée par le rythme immuable des saisons. Chaque pas que je faisais, résonnait dans mon corps et je ressentais avec une profonde acuité tout ce qui m’entourait.

C’était ainsi depuis mon retour. Plus je me sentais vide à l’intérieur, plus l’univers qui m’entourait devenait tangible. La texture du sol, l’air sur mon visage, jusqu’au le goût que me laissait l’air salé au fond de la gorge, tout prenait une dimension, une existence nouvelle et me donnait l’impression insensée mais tenace de faire partie intégrante de la ville tout en y étant parfaitement étranger.

Lorsque la maison de mon père apparut enfin au détour d’une des ruelles, mon absence d’émotion me confirma mieux que n’importe quoi qu’elle n’avait jamais rien représentée pour moi. Nulle envie de retrouver les lieux de mon adolescence ou de revoir mon père. Rien.

Et j’aimais ce néant. Il était confortable. Pourtant, comme pour me tester, j’extirpais de ma mémoire, les meilleurs souvenirs que j’en avais gardé, un barbecue avec des voisins, une partie de basket jamais terminée, une discussion un soir de noël... C’était tellement peu.

Je regardais une dernière fois et sans état d’âme, les rosiers que j’avais plantés dans l’espoir imbécile qu’ils plairaient à ma mère et la porte d’entrée et ses relents d’alcool lorsqu’on l’ouvrait... Ma véritable destination n’était pas là.

20 octobre 1970,

Sur les bords du lac Truc Bach,

Nord Vietnam.

Si dans mon délire, je crus d’abord que les passants étaient là pour m’aider, je revins vite à la réalité. La correction qu’ils me donnèrent, après m’avoir hissé sur la berge, fut si violente, que je m’évanouis. Je ne sus jamais de quelle manière, je fus transporté jusqu’au « Hilton » la fameuse prison d’Hanoi. Tout ce dont je me souviens, c’est de mon réveil douloureux sur le sol crasseux de la cellule. Mes yeux étaient si tuméfiés que je crus un instant être aveugle.

Les murs autour de moi n’avaient pas de fenêtre et la seule lumière qui me parvenait, était celle d’une minuscule ouverture située en haut de la porte. Une odeur fade presque salée, si écœurante qu’elle me donna l’impression d’avaler de la morve, suintait par tous les interstices des murs.

Je voulus bouger un peu mais aussitôt une sensation de déchirure me coupa le souffle. Lentement, je fis le compte de mes blessures et compris à quel point j’étais amoché. Je fermai les yeux quelques minutes, quelques heures peut-être et je crus presque qu’on m’avait oublié, lorsque j’entendis un bruit de clé. La porte s’ouvrit à grand fracas et on m’ordonna de me lever. Sans doute pas assez rapide, un des gardiens me souleva violemment par le bras droit. La brûlure fut telle, que je m’arrachai de son emprise pour me recroqueviller en hurlant dans un des recoins crasseux de la geôle.

Ni les coups, les insultes ou les ordres braillés ne réussirent davantage à faire que je me lève et que je les suive. Ils décidèrent alors de me traîner par les cheveux jusqu’à la salle d’interrogatoire et lorsque je parvins enfin à destination, je transpirais tant de douleur et de peur qu’il me semblait avoir pris une douche glacée. La salle circulaire où je me trouvais était vide, à l’exception d’une table munie de sangles, d’une sorte d’établi et d’une grande bassine. Un homme en tenue militaire noire était assis sur un tabouret ; son visage reflétait si peu d’émotions humaines, qu’il semblait inutile.

- Je suis le Lieutenant Linkford. Matricule 624787 de l’aéronavale des Etats-Unis d’Amérique et je demande...

Le coup que je reçu en réponse fut le premier d’une longue série. La première étape de mon enfer prit quatre jours... Au début j’ai eu du courage, j’en suis presque sûr. Je me rappelle même avoir tenté de me jouer d’eux, en leur donnant à la place de ceux qu’ils me demandaient, le nom de mes joueurs de basket préférés, les Lakers. Mais je n’aurais pas dû. J’ai payé cette fantaisie bien au-delà de ce qu’il m’était possible d’imaginer. C’est entre leurs mains que j’ai appris que j’étais capable de dire et de faire n’importe quoi pour faire cesser la douleur. N’importe quoi.

Quant enfin, je ne pus répondre à leurs questions que par la souffrance, je fus transféré dans un autre quartier de la prison, le « little Las Vegas ». Son nom venait du fait, que les gardiens pariaient sur le nombre de jour de survie des prisonniers qui leur étaient amenés. Après divers examens et soins sommaires, ils me placèrent en isolement et parièrent sur cinq jours. Mais la semaine passa. Puis une autre et encore une autre, et contre toute attente, je survécu. Je leur arracha ma survie. J’appris à faire plier mon corps, à l’obliger à boire et à manger, quand je n’avais ni l’un ni l’autre. Je parvins même, presque un an jour pour jour après mon crash, à me tenir debout et à marcher. Je fus alors sorti de mon isolement et envoyé dans un camp pour dissidents nommé « la Plantation. Je n’avais pas parlé dans ma langue depuis si longtemps que lorsqu’un des prisonniers américains s’adressa à moi, j’en tremblais des pieds à la tête. Les jours s’enchaînèrent, aussi lourds et terrifiants que l’éternité. Je supportais de moins en moins les coups et les humiliations auxquelles nous étions soumis quotidiennement et je me demandais comment de temps j’allais pouvoir le supporter lorsqu’un événement vint tout bouleverser…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire HorizonEden ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0