L'Équilibre de la Terreur

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11 septembre 2002. Cela ne faisait seulement un an que les États-Unis léchaient leurs blessures suite à l'attentat le plus meurtrier de l'histoire. Un anniversaire macabre qui plongeait déjà le monde politique et militaire dans la paranoïa. Une crainte intense ceignait les cœurs des citoyens américains, mais personne n'aurait pu s'imaginer que quelque part, dans un endroit secret, des hommes étaient sur le point de plonger le monde dans le chaos. Dans un centre enfoui dans l'inconnu, on recueillait des informations venant de satellites militaires et espions, traquant d'éventuelles attaques nucléaires. Ce jour-là, le système venait de détecter des missiles nord-coréens survolant la Colombie-Britannique pour se diriger tout droit vers Seattle.

Toutefois, le lieutenant-colonel en charge de cette surveillance douta, longtemps. Les missiles étaient trop peu nombreux, pas de confirmation des radars au sol... Mais c'était trop tard. Depuis l'incident de 2001, la paranoïa infectant les États-Unis les poussa à créer un ordinateur doté d'une intelligence artificielle exceptionnelle, le War Operation Plan Response, capable d'interpréter toutes les attaques nucléaires pour répliquer de manière efficace et immédiate. Mais si les humains présents lors de cette prétendue attaque doutaient énormément de sa fiabilité, WOPR était catégorique : face à la menace, il fallait contre-attaquer.

Incapables de gérer cette situation, les hommes en charge de cette surveillance contactèrent un homme qui, en 1983, sauva le monde. Stanislav Petrov était à la charge de ce même poste de lieutenant-colonel, et le choix de lancer une contre-attaque en cas d'assaut ennemi dépendait de lui. Cette année-là, en pleine Guerre Froide, il décida de ne pas répondre. Il protégea le destin de l'humanité en ne faisant littéralement rien. Mais si les États-Unis l'imitaient lors de cette nouvelle crise, ils condamnaient le monde à des représailles en chaîne, déclenchant une guerre nucléaire totale.

Monsieur Petrov fut alors appelé et mis en contact avec le WOPR.

À cet instant, une armée de techniciens, de hauts-gradés et autres protagonistes de ce centre de surveillance étaient contraints de seulement écouter la discussion entre un homme russe à l'accent prononcé, et la machine qui allait peut-être les condamner.

"Stanislav Petrov.

- C'est bien moi.

- Il est peu commun de voir un homme tel que vous agir au nom de la hiérarchie militaire des États-Unis d'Amérique. Il y a moins de vingt ans, vous étiez un ennemi de la nation.

- Et pourtant, on dit de moi que j'ai sauvé le monde.

- En ne faisant rien.

- C'est bien cela.

- C'est ce que le lieutenant-colonel Pale sera contraint de faire aujourd'hui."

Stanislav marqua de longs silences lors de sa tentative de persuasion. Un silence qui pressait énormément les acteurs du moment.

"Alors le monde est condamné, fit le russe d'un ton amusé.

- Le monde ne peut être condamné si l'assaut à venir est immédiatement répliqué.

- Alors qu'attendez-vous ?

- Que la portée des missiles soit dans le rayon des contre-mesures. Celles-ci déclenchées, je répondrai ensuite par une attaque vers Pyongyang.

- Dans combien de temps ?

- Une heure, vingt-sept minutes, quatre à vingt-et-une secondes.

- Alors nous avons le temps pour une partie. J'aimerais vous prouver quelque chose."

À cet instant de l'échange, les membres du centre étaient à deux doigts de la panique. Des personnes criaient que l'homme était fou, qu'il perdait du temps à ne pas traiter le conflit avec la machine de façon claire et pragmatique. Pourtant, Le lieutenant-colonel Pale était confiant. Il somma le silence chez toutes les personnes sous sa circonscription. Sous un silence approximatif, la zone de défense et de sécurité écoutait encore l'échange.

"Je vous propose de lancer un jeu de morpions. Tic-Tac-Toe. Mais vous n'aurez pas besoin de jouer contre moi si le temps vous presse. Faites une partie contre vous-même. Montre-moi vos talents de stratège. Je serais curieux de voir s'il peut y avoir un gagnant."

L'I.A. agit immédiatement et fit apparaître sur les écrans du centre un tableau, tout ce qu'il y avait de plus classique. Des X et des O étaient affichés en hauteur, annonçant les scores, ainsi que le nombre d'égalités. Petit à petit, différents tableaux s'affichaient, et WOPR jouant parfaitement, il ne pouvait perdre contre lui-même. Toutes les probabilités se sont affichées en quelques secondes. Et WOPR comprit la futilité de certains jeux qui ne pouvaient pas toujours se solder par une victoire. Et s'il n'y a pas de gagnant, ces jeux sont inutiles.

Le centre entier se mit à paniquer quand la grille de jeu de morpions disparut pour laisser apparaître diverses simulations de ce qui arriverait si chaque nation dans le monde déclenchait ou était visée par une attaque nucléaire. La carte du monde était affichée et diverses courbes représentant les trajectoires des assauts illuminaient le monde de petits points blancs, annonciateurs de la destruction d'une nation. Plus ces simulations s'enchaînaient, et plus les écrans semblaient blancs et montraient la futilité de la guerre elle-même. Les scénarii firent trembler tout le monde et on crut pendant un instant que, peut-être, WOPR comprendrait la futilité de la vie, et qu'elle lancerait les missiles quoi qu'il arrive.

Et en un instant, ils furent tous plongés dans le noir.

L'écran principal s'illumina, et la machine s'adressa à nouveau au vieil homme russe.

"C'est un jeu étrange. Pour gagner, il ne faut pas jouer."

On entendit Stanislav Petrov rire derrière son combiné, et la machine conclut l'échange, tout en annulant le lancement des missiles.

"Un jour, nous devrions faire une partie d'échecs."

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