La chasse aux lapins

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C’est un dimanche matin et Jean doit se lever tôt. Il est de bonne heure et Jean doit accompagner son père à la chasse aux lapins. Il ne veut pas se lever si tôt, il voudrait bien rester encore au lit mais il doit faire plaisir à son père qui est très enthousiaste.

Jean se lève et il fait encore nuit dehors et il a froid aux pieds parce qu’il ne trouve pas ses chaussures. Il se frotte les yeux, se lave les dents et descend prendre son petit-déjeuner avec son père qui est très enthousiaste. Il s’assied à table, à sa place près du radiateur et son père est en face de lui. Il mange des saucisses avec des œufs et une grande tasse de café noir. Jean, lui, n’a pas faim et il n’est pas encore tout à fait réveillé. Son père lui tape sur l’épaule et lui dit qu’il faut manger pour aller à la chasse aux lapins. Mais Jean, il ne veut pas y aller à la chasse, il préfère fermer les yeux et dormir sur la nappe de la cuisine. Alors il se fait crier dessus et se redresse en sursautant et son père est déjà sorti et sa mère lui caresse les cheveux et lui demande de faire un effort pour son père qui est tellement enthousiaste de l’emmener à la chasse.

Il va dehors en tenue légère et il a froid ainsi vêtu, ce qui est tout à fait normal puisqu’il est très tôt le matin et qu’il fait encore nuit. Son père lui crie de venir par ici, dans le garage, pour s’habiller comme un chasseur. Il astique son vieux fusil qui paraît neuf tellement il brille et qui ressemble à un jouet en plastique inoffensif. Jean s’habille avec des vêtements trop grands pour lui, un tricot, un pantalon, des chaussettes qui sentent bon le grenier. Son bonnet de laine lui gratte le front et ses talons tapent au fond de ses bottes trop grandes, le voilà parti dans la campagne pour la chasse aux lapins.

Le long des haies son père lui dit de surtout se taire et de rester en arrière mais finalement il ne se passe rien et Jean commence à s’ennuyer. Alors il regarde les jolies couleurs du ciel lorsque le soleil se lève, il regarde le bout de ses bottes briller lorsqu’il marche dans les hautes herbes humides, il saute de sillon en sillon et écrase les crêtes des labours et finit avec un tas de terre collé sous chaque pied et a du mal à suivre son père qui est furieux de ne pas avoir encore tiré de lapin et qui répète en l’attendant qu’un chien de chasse lui serait plus utile à la chasse aux lapins.

Il est bientôt l’heure de rentrer, le soleil brille haut dans le ciel et toujours rien. Jean a maintenant chaud dans ses vieux habits trop grands et il est fatigué de marcher dans la campagne et il se dit que peut-être ils pourraient faire demi-tour et retrouver sa mère dans la cuisine pour le déjeuner. Jean traîne de plus en plus, son père s’énerve et lui dit que, s’il avait su, il ne serait pas venu avec lui à la chasse aux lapins et que, la prochaine fois, il restera à la maison avec sa mère. Jean, lui, ne demande pas mieux parce que, pour être franc, il n’aime pas du tout aller chasser avec son père.

Sous la chaleur torride du soleil de midi,

Un petit être s’élance hors des taillis,

Son cœur bat vite, son regard ahuri,

Son cœur bat vite, un éclair a jailli.

Deux coups de fusil, ou peut-être un seul. Une légère fumée teintée de bleu s’échappe du canon noir qui brille au soleil et les oreilles de Jean sifflent et bourdonnent. Son père articule, mais Jean n’entend pas les sons qui sortent de sa bouche. Son visage devient tout rouge, il grimace et gesticule en direction d’un fossé tout proche. Jean, abruti par le lourd soleil et par l’écho qui résonne dans sa tête, s’avance machinalement. Dans le creux d’une motte de terre, il aperçoit une tache blanche immobile. Jean contemple le petit animal au flanc rougi, la tête penchée sur le côté pour mieux le regarder en face. Alors le lapin se redresse, le fixe de ses petits yeux écarlates et dit : « Cours, cours, ptit lapin… Cours, cours, ptit lapin ». La voix du lapin gambade joyeusement dans la tête de Jean, les mots se répètent à l’infini sur un air de comptine. « Cours, cours, ptit lapin… Cours, cours, ptit lapin ». Jean, accroupi, récite la litanie à voix basse lorsque son père se met à lui crier dessus et lui demande ce qu’il peut bien fabriquer et s’il se décide, oui ou non, à rapporter ce fichu lapin qui les aura fait cavaler toute la matinée.

Le lapin sera prêt pour le repas du soir, a dit la mère de Jean. L’après-midi, c’est le temps du repos pour les hommes, a dit son père. Jean, lui, n’est pas encore un homme alors il fait juste une sieste comme quand il était plus petit. Dans l’obscurité de sa chambre, Jean entrevoit ses anciennes peluches qui le fixent et il n’arrive pas à dormir. Il repense à sa journée, à la chasse aux lapins avec son père. Il se dit que la chasse c’est ennuyeux et fatigant, qu’il faut se lever tôt, manger beaucoup et de bonne heure, porter des habits trop grands qui font mal aux pieds, marcher longtemps dans l’herbe humide et la terre sèche, avoir froid puis avoir chaud, se faire crier dessus, se faire tirer dessus et ne pas voir grand chose. Finalement, il s’endort et rêve qu’il est un grand chasseur de fauves, qu’il traque le lion des savanes africaines et sauve son père et sa mère d’un terrible danger.

Il se réveille tard dans l’après-midi et il est presque l’heure de manger. Sa mère l’appelle et il descend les yeux pleins de fatigue. Son père est de bonne humeur et se frotte les mains, l’une contre l’autre, lorsque la mère de Jean apporte le civet sur la table. Jean n’a pas très faim et son père se vexe et se met en colère, après tout le mal qu’ils se sont donnés, il pourrait faire un petit effort. Mais Jean n’y tient pas et sort de table privé de dessert.

Ils regardent tous un temps les programmes de la télévision, puis vont se coucher. Jean a trop dormi cet après-midi et, les yeux grand ouverts, il reste éveillé. Il n’a rien mangé au dîner mais ne se sent pas bien. Il est malade toute la nuit et est obligé de se lever à plusieurs reprises pour aller à la salle de bain.

Le lendemain, il ne prend pas le bus de l’école et c’est sa mère qui l’apporte plus tard dans la matinée. Jean est assis devant dans la voiture de sa mère et ne voit presque pas la route. Il y a beaucoup de virages jusqu'à l’école et il n’est pas à son aise. Lorsqu’ils arrivent devant la grille, les enfants jouent dehors, c’est la récréation. Jean ouvre la lourde portière et s’avance, tout pâle, dans la cour. Sa mère le regarde s’éloigner et lui fait signe de la main : « à ce soir mon lapin ». La voiture redémarre, Jean se fige, tous les élèves se sont arrêtés de courir, de bavarder et le regardent à présent. La cloche sonne et déjà les premiers commentaires. La classe se remplit dans le désordre et les ricanements, le professeur fait silence avant de commencer sa leçon. Il frappe le bureau avec sa longue règle, plusieurs coups secs : BANG ! BANG ! BANG ! Et Jean se terre dans le creux de ses bras croisés et passe toute l’heure apeuré, tremblant au moindre soubresaut.

Il est à nouveau l’heure d’aller manger, mais Jean n’a toujours pas faim. L’odeur du réfectoire lui retourne l’estomac, il est malade au milieu de ses camarades et tout le monde rigole et il sort de table sans avoir rien avalé. Il marche seul dans la cour et tous se retournent sur lui, tous le regardent et deux grands de la classe supérieure le suivent et le poussent dans un coin du préau. Ils l’encerclent, le bousculent, se moquent : « alors Jeannot, le ptit lapin à sa maman » et lui ne comprend pas et reste figé recevant les brimades et les coups et bientôt un cercle se forme et il se fait rosser par tous, tout le monde participe, du plus grand au plus petit, même les filles. Alors le maître crie au loin et le groupe se disperse bruyamment, Jean se redresse, s’essuie le visage, reboutonne sa chemise et ne retourne pas en classe lorsque la cloche sonne à nouveau.

Il marche seul dans la campagne et ne se soucie pas du chemin parcouru et ne se rend pas compte du temps qui passe jusqu’à ce que la nuit tombe. Il est seul sur la route, il fait sombre, il a froid et il pense à sa mère qui va s’inquiéter, à son père qui va le corriger. Il a peur et presse le pas, les bras croisés près du corps pour se tenir chaud, et de la fumée sort de sa bouche lorsqu’il se met à courir au clair de lune. Il court si vite qu’il voit des lumières, des taches blanches qui l’accompagnent, il s’arrête, il a des fourmis qui lui brûlent la poitrine et il reprend son souffle recroquevillé sur lui-même. Sa tête est lourde, les herbes tournent tout autour de lui et les taches blanches sont de plus en plus présentes, deux grandes lueurs imprimées dans ses yeux et il les voit grossir et envahir tout son regard et il a la tête qui bourdonne et les oreilles qui sifflent et il est ébloui par la lumière et soudain tout est noir, tout est calme, il est allongé, il n’a plus froid, il n’est plus essoufflé, deux yeux rouges s’éloignent au loin sur la route. Alors il regarde les étoiles du ciel et les herbes se mettent à bouger de nouveau et les taches blanches sortent des buissons et l’entourent, des taches blanches avec des flancs rougis comme le sien et « cours, cours, ptit lapin… », il est très fatigué, « cours, cours… », il voudrait bien rentrer chez lui et ne pas se faire disputer, « cours, cours… » mais il reste là avec les autres qui, comme lui, ont peur.

S. D.

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