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Un étage plus haut, une autre porte s’ouvrit, plus archaïque, sécurisée seulement par un loquet en fibres de carbone qui se déverrouilla par l’introduction d’un instrument en acier de forme tarabiscotée. Elle s'était laissée charmée par les arabesques arrondies de l'anneau, la longue tige finement ouvragée dans un cuivre antique et le panneton ciselé en son coeur. C’était une des raisons des choix de ce logement : son authenticité.

— Ah, tu es enfin rentrée ! lança une voix féminine derrière un crépitement.

La cargaison cubique chuta sur le sol. Le casque blanc profilé suivit le même chemin et la jeune femme qui était aux fourneaux s’approcha et enlaça la silhouette encore guindée dans sa combinaison. Leurs lèvres se rejoignirent chaleureusement puis échangèrent un sourire.

— C’est encore la folie dehors… soupira la nouvelle venue.

— Les manifestants ?

— Je n’en sais rien, Mhyn, mais j’ai l’impression qu’ils sont de plus en plus nombreux chaque soir, sur la route, répondit-elle en faisant glisser la fermeture électromécanique de sa tenue.

— Tu as fait quoi aujourd’hui ?

Mhyn se détourna en soupirant et éteignit les plaques de cuisson.

— J’ai cherché un nouveau boulot…. Mais tu sais, j’ai l’impression que si je ne suis pas prête à des compromis, je…

— Arrête. Tu es la fille la plus belle et la plus talentueuse que je connaisse ! se fâcha sa compagne en s’attablant. Tu trouveras un travail à ta hauteur.

Une voix artificielle résonna soudain avec la projection d’un écran lumineux entre la cuisine et le salon :

« Vous ne serez plus jamais seul avec le connecteur oculaire Worldeye©

Capable de retrouver n’importe qui dans le monde avec un simple implant mémoriel !

Un coup d’œil et votre banque de données stocke votre réseau sans limite ! »

La publicité disparut et les deux jeunes femmes se virent de nouveau.

— Ça ne suffit plus de nos jours, Jonah, murmura-t-elle, visiblement lasse. Mais allons ! Et tes livraisons ?

Elle haussa les épaules et prit un morceau de légumes dont la couleur jaune scintillait sous les lumières artificielles.

— Citron ? s’étonna-t-elle en mâchant. Et ton allergie ?

— Ce n’est qu’un arôme de synthèse, il n’y pas de trace de limonène… je ne suis pas inconsciente, rit-elle.

— C’est délicieux en tout cas… Je n’arrive pas à trouver en quoi tu n’excelles pas.

Jonah était une asociale, rejetant le monde dans lequel elle vivait avec rancœur. Elle portait les cheveux courts en épis travaillés, avec des mèches plus longues sur le dessus de la tête et des mèches contrastées entre du blanc, du brun et du doré. Sa peau était claire, ses pommettes saillantes, son nez busqué et elle souriait peu. Mhyn était son contraire, son miroir, d’une bienveillance sans nom ; elle portait les cheveux longs et ondulés, le plus souvent repoussés sur une épaule, ses joues étaient parsemées de taches de rousseur sur une peau cannelle et son regard tranchait d’une teinte vert mentholé. Jonah était tombée en extase devant Mhyn. Dans ce monde qu’elle exécrait, elle avait fini par vomir ces lobbies qui poussaient les gens à sans cesse vouloir surpasser les autres, à les manipuler comme de simples produits de marketing, à les inciter à étaler leur bonheur artificiel comme un Leit Motiv sur tous les réseaux. Elle faisait le choix de se fermer autant que possible à ce bombardement permanent de publicités et d’étalage de vie privée.

Elles vivaient ensemble depuis quelques mois, leur rapprochement s’était réalisé comme une évidence dans une époque où la loi du toujours plus était le seul « way of survive ». Leur union était comme un havre au milieu de la tourmente.

— Tiens, c’est joli ça… remarqua-t-elle avec un geste du menton vers un bracelet en argent qui apparut à la lisière de la manche de la ravissante rousse quand elle récupéra le plat.

— Oh… ça… une babiole que j’ai trouvé, fit-elle en tirant sur son vêtement.

La prunelle de Mhyn s’opacifia quand son connecteur oculaire se déclencha et elle s’excusa en se levant. Jonah tiqua :

— A cette heure-là ? Une réponse de boulot ?

Mhyn secoua la tête et abrégea sa réponse au message.

— Ce n’est rien. Encore une publicité.

Le soir-même, allongée sur le dos dans le lit commun, Jonah repensait au regard fuyant de Mhyn quand elle lui avait répondu. Elle savait clairement discerner quand celle-ci lui mentait. Elle n’arrivait pas à penser à autre chose. Après s’être assurée du sommeil de sa compagne, elle se leva et rejoignit le salon à pas feutrés. Elle chercha un instant dans le noir, puis dénicha le sac en cuir de framboise.

« Rien qu’un coup d’œil sur l’Appscreen, juste pour me rassurer. Elle a peut-être un problème dont elle ne veut pas me parler ? » pensa t-elle pour se dédouaner.

Elle trouva finalement le petit appareil et alluma l’écran. Elle connaissait le code par cœur et put accéder en quelques secondes au stockage de mails. Pourtant, cela ne la rassura en rien. Le dossier des dernières soixante-douze heures était vide. C’était impossible puisqu’elle avait reçu un message devant elle ce soir-même… alors quoi ? Elle l’avait effacé.

Jonah rangea la machine à sa place, hésitante.

Elle sursauta quand un nouvel écran apparut, illuminant l’appartement avec le visage de la nouvelle candidate à la présidence :

« Pour une vie trépidante et riche, votez Sozana Marquèz !

Cessez d’envier vos voisins, créez le buzz et offrez-vous la vie que vous méritez !

Sozana Marquèz bénéficie du soutien direct d’Anotherlife ! »

Les détecteurs aériens passant devant les baies vitrées de leur appartement avaient dû détecter sa présence en mode éveil, grâce aux capteurs thermiques. Ravalant un juron, Jonah se dépêcha de rejoindre la chambre, le cœur battant.

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