Arkansas : mon corps, mon choix !

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Hi, I’m Mona. Je m’appelle Mona, je viens d’avoir seize ans et j’ai foutu ma vie en l’air. C’était y’a 5 mois, tu vois ? Un soir où mon père bourré avait encore frappé ma mère, et ma sœur. J’y avais échappé cette fois, je me suis cachée, comme une lâche. J’en avais ma claque de cette vie de merde, c’est le cas de le dire. J’ai pas trop réfléchi. J’ai descendu les escaliers de mon immeuble. Au 3e étage, dans celui d’à côté, je l’ai retrouvé. Ayden. Il était du genre grand baraqu’, pas vraiment beau, mais rassurant. Black, comme tout le monde ici, comme moi. C’était un mec gentil. Il m’a fait découvrir le sexe assez tôt. La première fois, je devais avoir 14 ans. Dans nos quartiers on s’ennuie loin de la ville, et y’a rien d’autre à faire pour oublier la misère. Ce soir là, j’avais vraiment besoin de sentir ses bras autour de moi. Tellement, qu’on va trop vite, tu vois. Il a mal enfilé la capote, ça a craqué. On s’en est pas aperçus tout de suite. De toute façon, on pensait pas à ce genre de conneries. C’est que le lendemain matin que j’ai commencé à flipper. Deux semaines après, j’ai réussi à piquer de la thune à Ayden pour acheter un test de grossesse. De toutes mes forces, j’ai essayé de pas y croire. J’étais en cloque. Je le suis. J’ai pas les moyens d’élever un gosse. Et si ma famille était au courant, je serais morte. Alors je me suis barrée, le temps de trouver une solution. Je suis allée chez Ayden, je lui ai tout balancé, j’en chialais presque. Il était choqué. Il s’est énervé, finalement il m’a fait une place chez lui. Et puis il s’est lassé de moi. Quand mon bide a commencé à enfler, il a vraiment flippé, lui aussi. Alors il a trouvé une autre meuf et il m’a foutue dehors. Ce n’était pas encore trop tard, j’ai voulu avorter. Je pouvais pas gérer ça, c’était trop, beaucoup trop. J’ai demandé à une pote, majeure, qui a une bagnole. Elle m’a emmenée dans un genre de centre de santé. Là j’ai rencontré un blondinet tout propre sur lui, dans sa blouse blanche. Avec un impeccable sourire à la con, il m’a demandé si j’avais l’autorisation du géniteur. Attends… quoi ? Sérieux, mec ? Une nouvelle loi, rentrée en application y’avait même pas un mois. Je l’ai regardé bien en face, et je lui ai dit qu’évidemment j’avais son autorisation. Il a voulu voir une preuve, ce bouffon. Je me suis barrée. Je suis allée voir Ayden. Il avait envie de me cracher au visage, ça se voyait, je le dégoutais. Ca me faisait tellement mal… J’ai essayé de lui expliquer, il a rien voulu savoir, il voulait plus voir ma tronche, j’avais qu’à me démerder.

Je ne peux pas avoir un bébé. Je ne peux pas avorter. Vraiment ? Ma pote, celle qui a la voiture, sa cousine a fait ça avec un cintre. J’ai pas d’autre choix. Ca fait mal, tellement mal, putain. Je savais pas du tout comment m’y prendre, elle m’a dit qu’elle allait m’aider. C’était y’a trois jours, et ça fait toujours aussi mal. Je sais même pas si ça a marché. Ca ne s’arrête plus de saigner entre les cuisses. Je crois que ça s’infecte. Je peux pas avoir de gosse, ni avorter, mais je peux pas aller à l’hôpital non plus, ça coûte trop cher. Je vais crever ? C’est comme si l’intérieur avait déjà commencé à pourrir.

***

‘Morning, my name is Beth. Je m’appelle Elisabeth —Beth—. J’ai dix-sept ans et j’avais la vie devant moi, mais j’ai tout perdu. Andrew était le petit ami parfait. Eduqué, sportif, beau, de bonne famille, comme moi. Nous étions presque voisins, dans cette charmante banlieue chic. Nos parents voulaient qu’on attende le mariage, mais nous nous aimions trop. J’hésitais, ce n’était pas bien, mais il me rassurait, et j’en avais envie. Alors on l’a fait. Nous n’avions pas de quoi nous protéger, mais il m’a assuré qu’il n’y avait aucun risque, la première fois. C’était le cas, pour tous les deux. S’il avait su à quel point il avait tort… Quand j’ai vu que mes règles n’arrivaient pas, j’ai eu un terrible doute. J’ai vérifié sur internet. Je pouvais être enceinte. J’étais tellement effrayée ! C’était un péché, j’étais beaucoup trop jeune, que dirait ma famille ? Je ne voulais pas de cet enfant, je me sentais encore beaucoup trop enfant moi-même. Stupidement, je me suis précipitée vers ma mère. En larmes, je lui ai tout avoué. Je voulais qu’elle me rassure, qu’elle me dise que tout allait bien se passer, mais elle n’en a rien fait. Sans un mot elle est partie et revenue de la pharmacie avec un objet qui ressemblait à un petit thermomètre. Un test de grossesse. Le résultat ne laissait place à aucune hésitation. Elle était horrifiée, dégoûtée ! Elle qui est toujours calme hurlait comme une hystérique que sa fille était une traînée impie. Je n’en revenais pas, comment pouvait-elle m’insulter de la sorte ? Mon père, en voyage d’affaires, ne devait pas être mis au courant tout de suite, il ne fallait pas l’inquiéter. Maman m’a tirée de l’autre côté de la rue, chez son amie, la mère d’Andrew. Il était là aussi. Tous les deux sont restés blêmes devant les révélations dévastatrices qu’assénait ma mère. Puis, sortant de sa torpeur, Mme Parker a giflé son fils. J’ai voulu me précipiter vers lui, la poigne de ma mère m’en a empêchée. Deux minutes plus tard, la mère d’Andrew m’accusait d’avoir perverti son petit ange. Je cherchais désespérément son regard, mais ses yeux restaient désespérément fixés sur le sol. Il était complètement sonné. Lorsque nous sommes parties, j’ai réussi à lui glisser un « je t’aime », alors, seulement, il m’a regardée et m’a doucement rendu ma déclaration. Nos mères ont encore parlé pendant une bonne heure au téléphone. Et maman m’a annoncé son verdict. J’avais déshonoré la famille. Je ne pouvais pas être mère à dix-sept ans. J’allais rester cloîtrée le temps de la grossesse, on prétexterait une maladie, et j’accoucherais en secret. L’enfant serait abandonné comme pupille de l’état. Ma tête allait exploser. Et l’avortement ? j’osai demander. D’abord, elle a été outrée, c’était contraire à la religion, condamné par l’Eglise ! Mais, deux jours plus tard, elle est revenue sur sa décision. Elle voulait procéder à l’avortement et comptait racheter mon âme par des prières longues et régulières, et un pèlerinage. Ce que j’ignorais, c’est que depuis peu en Arkansas, l’autorisation du père était indispensable. Une nouvelle fois, je me suis retrouvée dans le salon d’Andrew. Cependant, ses parents, encore plus rigoristes que les miens ne voulaient rien entendre. Il était hors de question que j’avorte, c’était un péché impardonnable. Andrew, lui était si désolé qu’il était prêt à me la donner, cette autorisation, mais ses parents l'ont menacé de le déshériter et de le renier, c’est-à dire le jeter dehors sans argent, s’il osait faire cela. Il n’osa pas. J’ai accouché il y a deux semaines. Ma mère veut que j’entre chez les bonnes sœurs. Mon entrée au couvent a été retardée par mon état mental. Les médecins à l’hôpital ont diagnostiqué un traumatisme, je fais une dépression. Je ne peux voir que cela : le minuscule visage hurlant de ce petit être sorti de mon corps, celui de ma petite fille, que je n’ai même pas pu tenir, qui m’a été arrachée. Il n’y a plus rien d’autre qu’elle dans mon crâne. Tout le reste est détruit à jamais.

***

Hello, I’m Savannah. Mon nom est Savannah. J’étais une jeune femme heureuse et normale, il n’y a pas si longtemps que ça. J’ai pas mal galéré dans la vie, mais je m’en sortais toujours. La bourse que m’avaient procuré mes efforts acharnés m’avait propulsée dans une université loin de chez moi, dans une ville inconnue. Les études me plaisaient, alors j’ai continué, j’en avais les capacités, malgré le mal du pays qui me rongeait. A bientôt vingt-sept ans, je viens de finir mes études. Je vais passer une semaine de vacances dans mon Arkansas natal. Mon train arrive enfin en gare. Mes parents n’ont pas pu venir m’attendre sur le quai, je vais devoir prendre un taxi. Je suis un peu anxieuse, la dernière fois que je les ai vus remonte à un an. Nous sommes peu à descendre ici, ce n’est qu’une petite gare de campagne. Le lieu est presque désert, mes pas résonnent contre le sol. Malgré cette étrange sensation de solitude, je me dis qu’un passage par les toilettes pour me rafraichir après ce long voyage ne me ferait pas de mal. Quand je sors de la cabine de WC, il y a un homme dans la petite pièce exigüe. Ce ne sont pas des toilettes pour femmes ? Mal à l’aise je me rince vite les mains. Il m’adresse un bonjour, et me fixe. Je réponds vaguement, je suis pressée, et j’ai hâte d’être sortie de là. « Eh salope ! Tu réponds pas quand on te parle ?! ». Il me fait peur. Je le regarde vite et dit clairement « Pardonnez –moi », même si ça m’écorche les lèvres de faire des excuses à une enflure pareille. « Je te cause, pétasse, viens là ! ». Il bloque la sortie. Je lui demande fermement de s’écarter et de me laisser passer. Il obtempère mais au moment où j’atteins la porte une main me saisit violemment par la jambe et je tombe par terre. Ma mâchoire frappe le sol, et immédiatement le goût du sang s’infiltre dans ma bouche. Le temps que je reprenne mes esprits il est à califourchon sur moi. Je hurle. Il m’enfonce son poing dans la figure. Rapidement, mon œil gauche est hors service. Je crois qu’il m’a pété le nez. Je le pousse, je me débats, je crie, mais rien n’y fait. Il arrache mon T-shirt et en fourre un lambeau dans ma bouche. Dégrafe sa braguette, arrache violemment mes vêtements. Je hurle toujours malgré la douleur fulgurante. Ça ne peut pas m’arriver, c’est un cauchemar ! Il me viole, et la souffrance est telle que je finis par perdre connaissance. Il me laisse pour morte sur le carrelage maculé de sang et de sperme. Je me réveille de longues heures plus tard sur un lit d’hôpital. On a dû me faire des points de suture. Partout. En ouvrant mon œil droit autant que je le peux, j’aperçois mon père qui tourne en rond et fulmine dans la chambre, et ma mère, comme éteinte. Les larmes creusent ses joues. Je dois rester plusieurs semaines à l’hôpital, je ne cicatrise pas bien. Après un ultime examen, un médecin m’annonce, affligé, l’horreur : je suis enceinte. Je porte l’éventuelle progéniture de mon violeur. Quand il m’annonce ça, je ne sais pas pourquoi, ça me donne terriblement envie de rire. Il me fait une putain de blague, là ! Un calmant plus tard, je commence à réaliser. Je ne peux pas héberger cette chose dans mon ventre ! Il est hors de question que le pire jour de ma vie donne naissance à un enfant. Je ne mérite pas ça. Un enfant non plus. En tant qu’étudiante sortie de la campagne, j’ai souvent renié mes origines, mais je n’ai jamais autant regretté de venir de l’Arkansas qu’aujourd’hui. Personne ne m’a encore parlé d’avortement et je sais très bien pourquoi. Depuis 2017, nous devons obtenir l’autorisation du partenaire sexuel pour que l’avortement soit permis. Je vais retrouver cet homme dont je ne connais même plus le visage, noyé dans la foule, lui demander gentiment sa permission et tout rentrera dans l’ordre. Bien sûr. Qui voudrait croire à une connerie pareille ? La réponse est personne. A présent, c’est trop tard de toute façon.

Je saute. Le tabouret tombe. Ma nuque se brise. Plus rie… .

***

 Des générations, des années interminables de combats ont permis aux femmes de conquérir leurs droits. L’IVG en est un. Il constitue un progrès énorme. Le droit de disposer de son corps, de sa sexualité, de maîtriser un peu plus sa vie. Cela, des millions de personnes ne l’ont pas compris. Il suffit de regarder les réactions opposées, pas aux Etats-Unis, mais ici en France, à la mort de Simone Veil. Cette héroïne est considérée comme un monstre par certains, incapables d’ouvrir leurs yeux.

L’Arkansas, il y a quelques jours, a choisi de brimer les femmes en les forçant à devoir obtenir l’autorisation de leur partenaire sexuel, celle de l’homme tout puissant, pour avorter. C’est un retour en arrière affligeant et révoltant. C’est un crachat infâme qui veut blesser, soumettre et souiller toutes les femmes. C’est une décision honteuse, rétrograde, qui condamne des très jeunes filles, des femmes de tous les âges et tous les horizons, des filles et des femmes violées, à accoucher d’enfants qu’elles ne veulent ou qu’elles ne peuvent pas accueillir dans leur vie. Accouchements qui trop souvent tueront ces femmes. C’est encourager les avortements sauvages. Pratiques violentes qui trop souvent tueront ces femmes. L’homme, ou le violeur, a la vie de la femme entre ses mains. C’est inacceptable.

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