3.

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Pierre, son frère. C’était lui tout craché, cette façon de s’introduire dans un présent immédiat. La lettre arrivait alors que peut-être, il se trouvait déjà au bout du chemin. Ce ne serait pas la première fois. Sa demande n’attendait aucune réponse. Qu’elle soit là ou pas, disponible ou non, il viendrait. Chaque annonce donnait lieu à un petit rituel qu’elle avait eu, au fil du temps, l’obligation de décoder. Une venue annoncée par lettre était un bon signe. Un signe joyeux. Elle en était certaine. Parfois, elle avait dû composer avec d’autres augures bien plus délicats. C’était une rose rouge abandonnée devant la fenêtre de la cuisine, un ruban de velours accroché à la plus haute branche du pommier, une paire de ciseaux pendue au portail du jardin. Autant de présages insolites qui devenaient la promesse d’une visite impromptue. Elle souriait. Son mari grognait. Immanquablement, son arrivée produisait des vagues, et plus d’une fois, c’était seule dans son lit qu’elle avait dû entamer sa nuit. Ces jours-là, Martin préférait dormir ailleurs. Il abandonnait la place, entamait une retraite stratégique. Le frère et la sœur en même temps, c’était un combat perdu d’avance. Elle n’avait pas cherché à lutter. L’affection qui les unissait était au-delà des mots. Elle n’y pouvait rien. Pierre surgissait comme un tourbillon au gré de la marée. Les portières claquaient et à peine l’accueillait-elle qu’il la prenait dans ses bras et l’embrassait comme un amant impatient. Dans la cuisine qui commençait à se nimber de la pâle lumière de février, elle soupira. Une fois de plus, elle aurait à composer avec les enfants, les petits enfants et cet homme qui n’avait jamais su grandir. Elle débarrassa la table et saisissant un bout de papier, elle dressa la liste de ce qu’il lui faudrait pour nourrir son insatiable tribu. Pierre, Pierre et son amour envahissant. Il s’était pourtant stabilisé, ne ressemblant en rien du coup à l’image stéréotypée que l’on se faisait d’un frère aimant trop sa sœur. Il avait épousé une fille adorable qui lui avait donné deux enfants. Un boulot stable dans le monde du théâtre. Une situation plutôt enviable, parce que rare. Elle lui procurait des revenus suffisants qui mettaient l'intermittent à l’abri de la précarité que subissaient la plupart des gens du métier.

Un strudel, elle ferait un strudel. Avec de vieilles pommes qu’on ne trouvait plus dans les supermarchés et de la cannelle, oui, une bonne cannelle que les enfants lui avaient rapportée de Ceylan.

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