1.

2 minutes de lecture

 Ce matin-là, le brouillard ne se leva pas. Une fois le réveil éteint, Helena entreprit de chausser les minuscules claquettes qui lui servaient de mules et se dirigea vers la cuisine. Les murs, laqués d’un rouge profond, s’illuminèrent brutalement quand elle activa l’interrupteur. Trois globes laiteux éclairèrent la longue pièce. Comme à son habitude, elle put alors, d’un simple regard, saisir les éclats fragmentaires de sa vie. Fragiles cadres noirs qu’un seul coup de vent tapageur déséquilibrait. Elle veillait à alterner l’ouverture des portes de la cuisine. Faute de quoi, le souffle de mer, brutal et arrogant s’empressait de s’y engouffrer. Autrefois séparées par des murs dans l’archaïque organisation architecturale, la nouvelle combinaison les avait transformées en sorties de plateau. Elles étaient devenues parties prenantes de la grande scène de sa vie. Agencement théâtral, côté cour et côté jardin. Désormais, la moindre ouverture simultanée équivalait à créer un couloir de vent destructeur, tragique pour ceux qui figés au mur, s’entêtaient à vouloir encore participer au jeu alors que le temps les avait à jamais immobilisés dans un passé révolu. Sans vraiment en prendre conscience, elle songea à l’effet que cela lui procurait, au moment où ils heurtaient bruyamment le sol. Elle avait en horreur tous les signes qu’elle ne pouvait concevoir que mauvais. Quand cela arrivait, elle s’empressait de nettoyer et d’effacer les traces du cataclysme. Il lui suffisait alors de puiser dans son stock de cadres et de repositionner, de mémoire, les clichés au centimètre près. Son travail d’archéologue terminé, les photos reprenaient leur contemplation. C’était pour elle, dans le vide de la pièce, autant de présences étranges et silencieuses. Le temps qu’elle reproduise la suite de petits gestes étiquetés quotidiens, la nuit poursuivit encore quelques minutes son entêtant envoûtement. Par la fenêtre, seules de frêles silhouettes figées par les nappes de brume répondirent à son coup d’oeil matinal. Depuis dix mois maintenant, l’isolement dans lequel elle vivait lui convenait parfaitement.

 Demain serait un autre jour. Elle repensa à cette phrase célèbre qu’elle s’était appropriée une bonne fois pour toutes. D’un geste joyeux, elle envoya valdinguer deux sucres au fond de sa tasse et tout en restant debout, appuyée contre le rebord de la table en vieux chêne, elle entreprit de beurrer une épaisse tartine de pain complet avec un bon gros beurre salé des Charente. Elle adorait le contact des cristaux de sel sur sa langue. Une fois la machine à café enclenchée, elle s’assit et ouvrit son courrier. Le calendrier annonçait sa date – vendredi 8 février.

Annotations

Vous aimez lire Fragon ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0