Spoiler - Epilogue - Spoiler

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  Alexandre sonna à la porte de l’appartement de Leïla. La jeune femme vint ouvrir dans un simple jogging trop grand pour elle, des cheveux longs, bruns, en bataille. Elle était sans doute la plus belle apparition qu’il lui fut donnée de voir.

  — Sam… Enfin, Alex… ? Qu’est-ce que tu fais là ?

  — Je voulais te remercier pour tout ce que tu as fait pour moi ces derniers temps.

  — Euh… Okay… C’est gentil. Mais ça pouvait attendre demain, pour notre réunion. Et puis là je suis pas vraiment présentable.

  — Non. En fait, je voulais te remercier… J’ai quelque chose pour toi. Viens avec moi…

  — Là maintenant ? Euh… Okay… Euh… Donne-moi le temps de me changer.

  — Tu es très jolie comme ça... Mais tu as raison, passe quelque chose de plus sociable, dit-il après une pause, avec un demi-sourire.

  Leïla le regarda intensément. Elle ne le connaissait pas bien. Mais elle sentait qu’il n’était pas à l’aise. Il y avait quelque chose qu’il ne voulait pas lui dire.

  — Ca va Alex ? S’inquiéta-t-elle en posant délicatement une main sur sa joue.

  Il ferma les yeux. Il aurait donné l’univers pour sentir ce contact éternellement.

  — Oui ça va. Va te changer et viens. S’il-te-plaît… Ajouta-t-il dans un souffle.

  Leïla le regarda avec sérieux et hocha silencieusement de la tête.


  Un tailleur beige, une chevelure en queue de cheval légèrement lâche, un très léger maquillage pour souligner les yeux, et Alexandre eut l’impression qu’un Archange venait de se poser à ses côtés.

  — Leïla, je voulais te remercier à ma manière de tout ce que tu as fait pour moi. Et je sais qu’il y a une chose que tu souhaites plus que tout au monde. Tiens, j’ai fait quelques courses pour toi.

  Il lui tendit un sac de courses, tout ce qu’il y avait de plus commun, qu’elle prit machinalement sans le quitter des yeux. Qu’avait-il donc en tête ? Un court instant, elle jeta un œil pour voir le contenu du sac. Sous l’effet de la surprise elle ouvrit la bouche mais aucun son n’en sortit. Elle releva la tête et le questionna du regard. Ils n’avaient pas besoin de mots. Tout était dans ce sac.

  — Mais comment… Pourquoi ? Je croyais qu’il ne fallait pas…

  — Viens.

  Il lui prit la main et, en un battement de paupières, ils se retrouvèrent au pied d’un immeuble d’un quartier parisien assez populaire. Leïla le reconnut immédiatement. Elle l’aurait reconnu entre mil. Jamais de sa vie elle n’aurait oublié cet endroit. D’une main tremblante elle composa un code sur le portier électronique et la porte se déverrouilla.


  Bien évidemment, il n’y avait pas d’ascenseur dans cet immeuble, comme c’était souvent le cas dans les quartiers populaires oubliés des pouvoirs publics. On améliorait les beaux quartiers pour la façade, mais dans toutes les villes, tous les quartiers qui étaient potables, sans être catastrophiques n’étaient pas prioritaires. Et pourtant, dans ce genre de quartiers aussi, il y avait des personnes âgées, dans ces quartiers aussi, il y avait des personnes handicapées pour qui un ascenseur aurait rendu bien des services. Mais pour l’instant Leïla ne s’en souciait pas. Elle grimpait l’escalier commun. Lentement. Elle voulait savourer cet escalier. Elle ne l’avait plus gravi depuis des dizaines d’années et pour rien au monde elle n’aurait pris un ascenseur s’il y en avait eu un. Ses doigts caressaient la main courante qui bordait les marches comme s’il se fut agi d’une pierre précieuse.

  Des dizaines d’années plus tôt elle avait maudit cette rambarde qu’elle ne parvenait jamais à atteindre. Des dizaines d’années plus tôt, elle avait souhaité être adulte pour, enfin, pouvoir faire comme les grands et se tenir bien droite en laissant glisser sa main sur cette barre. Et des dizaines d’années plus tard, elle aurait donné n’importe quoi pour redevenir cette petite fille et ne jamais quitter cette période de sa vie.

  Les pas étaient lents pour gravir ces cinq étages. Partagée entre la hâte de monter et l’appréhension de ce qu’elle allait découvrir, Leïla montait en regardant en l’air comme si elle cherchait quelque chose, comme si elle guettait l’apparition d’un être fantastique. Elle redevenait cette petite fille qui guettait l’arrivée de la Fée Clochette ou du Père Noël. Mais cette petite fille avait grandi. Et l’hypothèse que Clochette ou le Père Noël n’apparaissent jamais et qu’elle soit déçue, irrémédiablement déçue, devenait une probabilité qu’avec l’âge elle pouvait envisager. Pourtant la petite fille qu’elle était restée au fond d’elle-même continuait d’espérer que le Père Noël apparaîtrait, la petite fille qu’elle était restée y croirait sans doute jusques à la fin des temps.


  Une porte. Blanche. Ecaillée par endroits, peu, discrètement, mais écaillée par endroits. Il avait toujours promis de la repeindre mais il n’avait jamais trouvé le temps. Elle passa un doigt délicat sur les éraflures de la porte, comme si elle avait voulu la soigner.

  Alexandre la regarda dans les yeux.

  — Rapidement d’accord, nous ne pouvons pas prendre le risque de modifier des événements importants. Juste le temps qu’il faut. Chaque seconde compte, tout peut arriver en une seconde. On est bien d’accord ?

  Elle acquiesça silencieusement et appuya sur la sonnette. Une sonnerie brève mais stridente fit remonter à la surface de sa mémoire des souvenirs soigneusement enfouis.

  — Oui ?

  Un homme d’une quarantaine d’années ouvrit pratiquement dans la seconde. Il était grand et présentait un visage qui avait connu de grandes émotions, des bonnes comme des mauvaises. Leïla eut un moment d’absence. Comme un vide sidéral dans son cerveau. Elle dévisagea longuement l’homme qui se tenait devant elle. La Fée Clochette et le Père Noël réunis en une seule personne. Alexandre lui pressa les épaules.

  — Bonjour Fahid. Je suis votre voisine du dessus et voici mon compagnon Samuel. Je me disais qu’avec tous les événements qui se déroulaient aujourd’hui vous ne devriez pas sortir. Alors dans le doute je vous ai fait des courses pour que vous n’ayez pas à bouger… Je… Tenez ! C’est pour vous. Elle lui tendit le sac d’un mouvement gauche. Il le prit machinalement.

  — On se connaît, demanda-t-il en jetant un coup d’oeil inattentif au sac, votre visage me semble familier. On ne se serait pas déjà vu dans un magasin ou…

  — Non je ne crois pas. Mais nous sommes vos voisins du dessus alors…

  — Les Guérin sont partis ? Pourtant ils étaient là depuis des années et…

  — Non. Non, les Guérin sont toujours là. Francine et Benjamin vont bien… Ils… Ils nous ont demandé de garder leur appartement le temps de leur absence.

  — La médiathèque. Ca doit être ça. Vous travaillez à la médiathèque. Ma fille Leïla y va souvent. Elle adore cet endroit.

  — Oui j’y all… Hum. Oui je suis souvent là-bas. Mais je n’y travaille pas. J’y vais pour des recherches. Bien je vous laisse, ajouta-t-elle la voix un peu étouffée, tandis qu’Alexandre lui pressait le bras.

  — Certainement pas. Si vous êtes des amis des Guérin, alors vous êtes ici chez vous. Venez prendre au moins un thé. Samia prépare un thé on a des invités, cria-t-il à la volée à l’attention d’une femme qui devait se trouver dans la cuisine.

  — Papa, c’est qui ?

  Une jeune fille d’une quinzaine d’années venait de se cramponner aux hanches de son père. Deux couettes longues, brunes foncées, descendaient en cascade sur ses épaules. Un jean et un T-Shirt avec marqué Metallica comme vêtement. Leïla sentit son coeur s’arrêter. La bouche ouverte, elle ne put détacher son regard de la jeune fille. Puis lentement, elle se tourna vers Alexandre. Celui-ci fit un imperceptible hochement de tête.

  — Je vous présente Leïla, ma fille, le diamant de ma vie. Chérie, ce sont des gens qui gardent l’appartement des Guérin quelques jours. Ils sont venus nous porter des courses parce qu’apparemment il se passe des choses dans le quartier. Mais entrez je vous prie.

  Il se recula et les laissa entrer tous les deux. Leïla regarda de nouveau Alexandre avec dans les yeux un message qui signifiait qu’elle avait bien compris, mais juste une minute. Alexandre lui rendit son regard : juste une minute et on ne touchait à rien.

  Une fois entrés, Fahid détailla enfin le contenu du sac. Lorsqu’il leva les yeux il eut un regard interrogateur à l’attention de Leïla.

  — Oui je me suis dit que du lait ou des œufs ça pouvait toujours servir… On fait quarante mille choses avec du lait ou des œufs. Alors pourquoi prendre le risque de sortir pour de si petites choses alors que l’on pourrait être tranquillement chez soi et profiter de sa famille.

  — Et la peinture ?

  — La peint… ? Oh ! C’est simple, chez les Guérin il y a cette porte de placard qu’ils voulaient absolument repeindre et il nous restait un pot de trop.. Hein chéri ? Alors je me suis dit que ça vous servirait peut-être…

  — Vous êtes Kabyle n’est-ce pas ? Entre Kabyle on se reconnaît. Les yeux de Fahid devinrent plus profonds.

  — Et voilà le thé, dit la femme de la cuisine en portant un grand plateau en argent avec une théière marocaine et de hauts verres. Bonjour je suis Samia, la femme de Fahid, dit-elle en leur serrant la main après avoir posé le plateau.

  — Tu as les yeux de ma mère, dit la jeune qui n’avait pas quitté du regard Leïla. Elle s’était assise à côté de son père sur la banquette et n’avait cessé de dévisager les deux nouveaux venus.

  — Leïla, ce n’est pas correct ! Reprit Samia.

  — Vous êtes de passage n’est-ce pas ? Dit Fahid après un temps. Vous êtes là pour quelques jours. A moins… A moins que vous ne soyez sur le point de repartir, plutôt… Il y avait dans sa voix une interrogation qui de surface, la réponse était dans la question.

  — Oui c’est exactement cela.

  Toutes les têtes se tournèrent vers Alexandre. Il n’avait pas ouvert la bouche depuis leur arrivée, et la voix grave et ample emplit tout à coup la pièce entière. Le silence se fit. Non pas que les hôtes prirent cette réponse pour une insulte, mais il y eut plutôt un silence respectueux. Cette voix s’imposait d’elle-même. Dégageant autorité et sérénité.

  Leïla finit son verre de thé, mal à l’aise, et se leva en douceur. L’intervention d’Alexandre l’avait durement ramenée à la réalité et si les autres avaient entendus comme du réconfort dans cette voix, elle l’avait plutôt perçue, elle, comme une gifle.

  — Bien. Nous allons y aller effectivement. Merci beaucoup pour le thé. J’espère que ces quelques courses vous aideront. Prenez soin de vous.

  — Merci encore, bon retour, ajouta Samia avec un sourire dans la voix tandis qu’elle rassemblait de nouveau sur le plateau les verres et la boisson.

  — Je les raccompagne, dit simplement Fahid.

  Une fois à la porte, il y eut un silence gêné.

  — Merci, dit-il simplement. Merci pour les courses. J’espère que cela ne vous a pas fait faire un grand détour. La vie passe si vite que chaque moment est précieux, et faire ces courses...

  — Faire ces courses aura peut-etre permis que ces moments en famille durent plus longtemps. Vous avez une fille merveilleuse monsieur R’Amdani. Elle est pétillante, vive…Dit Leïla avec un sourire sincère.

  — Je ne sais pas ce que vous faites dans la vie, mademoiselle, mais je suis sûr d’une chose : votre père est fier de vous. Je peux vous le garantir…

  Ces yeux. Des yeux pénétrants, à qui on ne cachait rien. Pas même… Elle ne put retenir ses larmes. Ce moment avait été trop long. Trop beau. Trop dur. Trop. Elle comprenait dans la seconde ce qu’Alexandre avait essayé de lui faire comprendre pendant des mois. Elle comprenait pourquoi il ne fallait pas. Et dans le même temps, elle comprenait combien le cadeau d’Alexandre était précieux, combien il ne reviendrait jamais. Elle savait qu’il fallait mettre un terme à ce moment, mais elle savait aussi qu’elle ne voulait pas que ce moment se termine, jamais. Elle se détourna et passa la porte. Quelques instants plus tard, ils se retrouvaient sur le trottoir.


  — Que va-t-il se passer pour eux ?

  — Rien. Enfin, je veux dire, rien de dramatique. Fahid ne partira jamais ce jour-là et il vivra jusques à plus de 96 ans. Leïla aura une belle vie, elle aura deux beaux enfants et ils connaîtront leur grands-parents, qui eux-mêmes connaîtront leurs arrières-petits-enfants.

  — Une vie idyllique en somme, répondit-elle le regard perdu dans les fenêtres de l’immeuble, avec une pointe de nostalgie dans la voix.

  — Si tu le dis… Tu as une belle vie Leïla, ne regrette rien.

  — Au moins j’aurais pu sauver cette réalité… Partons s’il-te-plaît. La voix mourut avec un sanglot étouffé.

  Alexandre l’enlaça tendrement, et en un claquement de cils plus tard ils étaient dans son appartement à elle, dans sa réalité à elle. Mais quelque chose avait changé.

  Au fond de son coeur, il n’y avait plus d’abysse. A partir de maintenant, peut importait les monstres, les démons. A partir de maintenant, peut importait la solitude. A partir de maintenant, peut importait qu'elle, dans cette réalité, elle avait perdu son père au cours d'un attentat terroriste. A partir de maintenant, quelque part, dans une autre réalité, une autre Leïla vivrait une belle vie avec sa famille réunie. Et grâce à cela, elle nétait plus seule désormais. Grâce à cela, sa vie à elle, dans cette réalite, serait merveilleuse.

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