Chronologiquement

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Grognements, grattements, ils ne veulent pas le laisser se reposer. Il le sait, ils veulent qu’il les rejoigne, mais plutôt mourir que devenir comme eux.


Oui, il les a abandonnés. S’il avait une arme, il abrègerait leurs souffrances, il les délivrerait de ce mal infâme.


Bien décidé à rester lui-même, à rester humain, il entame sa phase de condamné à mort.


Il se relève, ouvre la fenêtre, respire l’air pollué. Une explosion, parmi tant d’autres, de la fumée se fait sentir, ce n’est pas loin.


Il la referme, retourne à son poste, bien calé pour les empêcher d’ouvrir, d’entrer.


Survivant dans l’âme, il sait que ses instants sont comptés. Bercé par les à coups, épuisé par toutes ces épreuves, son esprit cherche un peu de repos.


Un sursaut, encore ce cauchemar. Ses souvenirs se rappellent à lui, une nouvelle fois. Il sait très bien qu’il n’aurait pas dû, mais il le fallait. Pour leur survie, sa survie.


Des larmes s’écoulent sur son visage, c’était une erreur. Et, aujourd’hui, il le sait, il vit ses dernières heures.


Bientôt, ils seront là. Bientôt, ils entreront. Bientôt, tout sera terminé. Il ferme les yeux, se remémore le temps d’avant.

Il les entend, ils grattent à la porte inlassablement. Depuis combien de temps ne s’est-il pas reposé ? Depuis combien de temps le sommeil ne s’impose-t-il plus à lui ?


Il jette un regard tout autour de lui, fouille dans les déchets. Persuadé qu’il en reste un, se serait-il trompé ? Le Graal est enfin trouvé.


Bien assis, bloquant de son corps allégé l’unique entrée, il prend, bien en main, le dernier bocal encore rempli.


Il force, tente de le tourner de toutes ses forces, et après de longues minutes d’effort, le couvercle lâche enfin. Un soupir de soulagement, il sourit.


Ses doigts sales se jettent dans le bocal, en ressortent des bouts de mirabelles. Il les dévore goulûment, le jus dégouline sur son menton, tâche sa chemise.


Plus de fruits, ne reste que le sirop. Tout aussi vite absorbé, l’ultime contenant vide rejoint les autres. Son dernier repas s’est fini bien trop vite.


Cela fait déjà des heures, peut-être des jours qu’il est dans cette salle de bain. Assis sur le carrelage froid, son regard fixé sur les déchets qui l’entourent, il ne sait plus.


Depuis combien de temps son ventre le tiraille autant ? Que lui reste-t-il aujourd’hui ?


Il les entend, ils arriveront tôt ou tard jusqu’à lui. Péniblement, il se relève, pose ses mains sur le rebord du lavabo et se redresse. Sa tête tourne, il manque de défaillir.


La porte de la pièce hermétiquement fermée, il se contemple dans l’unique miroir. Ses joues creusées et son regard vide lui rappellent pourquoi il est temps. Il doit se hâter, ils seront bientôt là, il les entend.


Son bras décharné ouvre le tiroir du meuble, en sort un petit carton. Il le dépose sur le rebord du lavabo, se retourne et fait quelques pas. D’une main tremblante, il ouvre le robinet de la baignoire.


Il retrouve la glace, ferme les yeux et se donne du courage. Impossible de revenir en arrière, il est déjà trop tard.


L’eau s’écoule, il sort la lame de son étui, son index la vérifie. Une perle écarlate surgit qu’il absorbe entre ses lèvres. Tout est prêt, il arrête l’écoulement, la baignoire est suffisamment remplie.


Une hésitation, le moment est venu, doit-il se dévêtir ?


Le choix fait, il ôte sa chemise, une jambe plonge puis l’autre. Son assise se pose, son dos s’adosse, ses bras prennent la température du liquide transparent. Son poignet se découvre, le bout de métal bien en main le frôle.


Bien installée dans sa main faible, la feuille de métal s’enfonce dans la chair, fendant la veine sur une dizaine de centimètres. Le geste se réitère deux fois, trois peut-être, son bras rougit. Malgré le flot continu, la lame passe dans sa main forte et lacère à nouveau.


Son regard se perd sur le reflet du soleil dans le liquide vermeil. Une défaillance, le morceau métallique tombe, éclabousse puis disparaît dans l’eau rougeoyante. Son bras s’écroule puis le second dans une onde sanguine. Sa tête bascule, son menton à l’orée de l’écume, sa bouche boit la tasse.


Le flou puis la pénombre, et enfin le noir total.

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