SORTIE

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« Monte ta garde !!! »

Trop tard : il se prend un magnifique crochet du gauche en pleine tête… et s’étale sur le ring. C’est pas la première fois depuis le début ! En voyant sa défense implacable quand je l’ai rencontré, je pensais qu’il s’en sortirait bien, mais non : il sait pas tenir sa garde en combat régulier ! Je désespère intérieurement…

Quelle idée aussi de lui avoir demandé de devenir mon élève ? Surtout qu’il avait refusé une première fois avant de finalement accepter ! Augustin m’avait prévenue : Il est bon pour la baston, pas pour le combat. Je soupire une énième fois et prends la parole :

« C’est bon pour aujourd’hui, vous pouvez arrêter. Merci Octave.

_ Avec plaisir ! On remet ça quand tu veux…

_ Georges.

_ …Georges ! »

Il l’aide à se remettre sur pieds, puis ils descendent tous deux du ring pour venir s’assoir en face de moi. Je fixe Georges et lui fais mon petit débriefing régulier. J’appuie sur trois points en particulier :

« Ta garde ; ton attention et ta force. Tu ne tiens pas assez ta garde ; tu ne perçois ni ne prends les occasions qui s’offrent à toi, alors qu’il y en avait quelques-unes ; et tu ne contrôle pas ta force, tu frappes soit trop fort, soit pas assez : c’est la position dans laquelle tu frappes qui bloque à chaque fois. Voilà.

_ Bien, je vais m’entraîner pour rectifier ça.

_ J’espère ! On se refait le même entraînement mardi. »

Ils acquiescent et rejoignent tranquillement les douches. Au moment de passer la porte, Georges se retourne timidement vers moi :

« Euh… je te raccompagne après ?

_ Si tu veux.

_ D’accord, je me dépêche !

_ Prends ton temps, t’inquiète. »

A peine passe-t-il le seuil des vestiaires que je m’affaisse sur une des chaises qu’ils viennent de délaisser. Je suis tellement fatiguée… Je déteste être aussi faible. Surtout que je ne dois jamais montrer mes faiblesses, même à ceux en qui j’ai confiance ; on ne sait jamais ce qui peut arriver.

Octave sort en premier des douches. Je reste assise : je les attends, ça paraît normal que je m’assoie. Il vient se placer à mes côtés :

« Comment se passe ton traitement ?

_ Je l’ai arrêté avant-hier.

_ Oh : pas trop dur ?

_ Un peu fatiguée, c’est tout. »

Il se penche alors vers moi et me prends dans ses bras. Je lui rends son étreinte, surprise : il n’est absolument pas de nature tactile.

« Prends soin de toi, okay ?

_ …T’inquiète, j’ai pas l’intention de trop forcer.

_ J’espère bien ! »

Il s’écarte ensuite de moi, se lève et se prépare à partir. Je lui rappelle :

« Oublie pas qu’on se voit lundi.

_ Ah oui, merde, j’avais zappé !

_ Bah voilà ! Merci qui ?

_ Merci toi ! »

Il quitte le bâtiment en riant bêtement. Ce mec me désespère certains jours : ça doit être pour ça que je l’adore autant !

Georges ne tarde pas à sortir des vestiaires. Je me lève, récupère mon sac de matériel et ensemble, nous sortons de la salle d’entraînement. Nous rejoignons mon domicile à pieds. Il n’est qu’à un quart d’heure de la salle. Sur le chemin, nous discutons d’arts martiaux, s’essayant à quelques illustrations malgré nos muscles fatigués et endoloris. Nous passons un bon moment, comme à chaque fois que nous passons du temps ensemble.

Nous arrivons devant mon appartement :

« Bon, on se voit mardi, c’est ça ?

_ Oui. Tu veux pas rester la soirée ? C’est dimanche demain… »

Après avoir débattu quelques minutes, j’arrive à le persuader de passer la soirée avec moi. Ça fait longtemps qu’on s’est pas fait une soirée à deux, d’habitude il y a toujours un certain Augustin, sans le nommer, avec nous.

Nous entrons dans mon appartement et après nous être débarrassés de nos affaires, je vais préparer quelque chose à manger. Les fonds de placards ne m’offrent pas le choix : ce sera des pâtes à la carbonara. Je cherche une bouteille comme accompagnement. Je trouve mon bonheur et prend en même temps une bouteille de soda : j’ai dû arrêter l’alcool pour mon traitement et je m’en sors très bien depuis.

J’apporte les assiettes pleines et les bouteilles sur la table basse. Georges me regarde en fronçant les sourcils lorsqu’il voit l’alcool. Je lui dit :

« C’est pas pour moi. Tu en veux ?

_ D’accord. Euh… non, merci.

_ …T’as déjà bu ?

_ Et bien… non… »

Sa tête est tellement drôle : je lui ris au nez. On dirait un enfant qui s’excuse de ne rien avoir fait, c’est risible.

« T’inquiète, c’est pas un crime. Et puis, ça t’évitera de devenir comme moi.

_ Si tu le dis… »

Nous commençons à manger. Je reçois un gentil compliment de sa part pour ma cuisine : je l’accepte volontiers, même si c’est juste des pâtes.

Le repas terminé, nous débarrassons et nous nous installons confortablement dans le canapé. Nous mettons un film sur la télé en arrière-plan et nous passons la soirée à parler de tout et de n’importe quoi. C’est relaxant.

« Au fait, tout à l’heure pour l’alcool… tu disais que ça m’éviterais de devenir comme toi… J’ai remarqué que tu avais arrêté de boire, mais je me demandais… pourquoi tu avais commencé ? »

C’est ici qu’elle est morte. Il y a déjà deux semaines.

Je dépose des fleurs à l’endroit précis où elle a cessé de vivre. Je me recueille un instant, puis me détourne et vais me perdre dans le dédale de ruelles qui m’entourent.

Je me retrouve alors devant un bar… Je sais que je vais faire une connerie, mais le souvenir de son corps inanimé me fait pousser la porte de l’établissement et commander une bouteille.

Cette bouteille devient ma seule compagne dans mon deuil.


« …

_ Pardon ! Je n’aurais pas dû demander, oublie !

_ Non, non, c’est bon.

_ Tu n’es pas forcée de m’expliquer…

_ J’ai commencé à boire pour oublier. J’ai vu des choses que je pourrais jamais effacer de ma mémoire. L’alcool m’a donné une illusion d’oubli pendant un moment.

_ …et le fait d’avoir dû arrêter t’as fait te remémorer ?

_ Non. Pas plus qu’avant. J’ai jamais vraiment oublié. Avoir arrêté m’a permis de me concentrer : j’ai intégré et accepté ce que je voulais.

_ …Merci.

_ Pourquoi ?

_ Merci de m’en parler. Je pense que ça ne doit pas être simple pour toi.

_ Je dirais rien. »

Nous rions un moment et reprenons notre conversation sur un autre sujet. Même si je lui en ai parlé en surface, je me sens un peu mieux. J’ai pu m’auto-confirmer que j’avais enfin accepté ce qu’il s’était passé.

Nous continuons de parler jusqu’à tard. Lorsque trois heures du matin sonnent, je lui propose de le raccompagner. Il refuse avec le plus de politesse possible et finalement, il quitte mon appartement seul pour rentrer chez lui.

Lorsque la porte se referme sur lui, je me lève et vais me préparer pour dormir. Une fois dans mon lit, je prends mon journal et rédige mon résumé journalier :

Journal

1ère semaine d’entraînement pour Georges : beaucoup de progrès à faire (garde/attention/force)

Passé la soirée avec lui. Très sympa, depuis le temps… Parlé d’elle, implicitement. Ça soulage un peu. Je lui en parlerais peut-être vraiment un jour…

2ème jour depuis la fin du traitement. Rien à dire. Toujours fatiguée, c’est tout.

Bonne nuit !

***

Je rentre chez moi une dizaine de minutes après l’avoir quittée. On habite assez proches l’un de l’autre : c’est un avantage dans ces situations. Alors que j’ouvre la porte d’entrée, je découvre un petit papier collé dessus. Ça vient d’Augustin :

Je serais là demain matin à 8h, sois prêt stp.

Oh non… je ne serais jamais frais avec si peu de sommeil… Pourquoi est-ce qu’il vient squatter demain en plus ? Il ne m’en a pas parlé avant ! Tant pis… Je vais dormir et on verra demain.

Je me change pour dormir et une fois dans mon lit, je m’endors d’un coup, avec en tête le souvenir de la soirée passée avec elle.

« Debouuut !!! »

J’ouvre les yeux difficilement et me tourne vers mon réveil : mes yeux endormis y lisent huit heures et vingt secondes… Toujours à l’heure celui-là.

« Hmm…

_ Aller debout feignasse : on sort aujourd’hui !!

_ Pas envie…

_ Je ne te demande pas ton avis ! »

Il tire sur ma couverture, me laissant en pyjama dans mon lit défait. Je capitule. Je me lève avec ma fatigue et me dirige tel un mort vivant vers la salle de bain.

Je prends une douche et m’habille avant d’aller petit déjeuner un peu. Je termine de me préparer et me voilà prêt… mais pas frais pour autant.

« On sort où au fait ?

_ En ville !!!

_ On est dimanche…

_ C’est ouvert aujourd’hui : c’est les soldes !!! »

Vraiment… Faire les magasins le dimanche parce que c’est les soldes… Je soupire intérieurement.

Nous sortons de mon appartement et nous dirigeons vers le centre-ville, je crois. Nous marchons un moment avant de nous arrêter soudainement au pied d’un bâtiment. Je regarde autour de moi et ne trouve aucun magasin : seulement des appartements ici et là… Je reconnais alors la rue. Avant même que je trouve le temps de formuler mes pensées, une porte s’ouvre sur notre droite et laisse sortir Rachel… Elle est vêtue d’un simple t-shirt rouge et blanc qui met en valeur ses cheveux colorés, ainsi que d’un jean et de baskets, le tout agrémenté du sac à dos dont elle ne sépare jamais. Elle rayonne dans la matinée par sa simplicité.

« Salut…

_ Salut !! »

Elle a la même tête de déterrée que moi, c’est assez drôle. Augustin le remarque aussi :

« Vous avez fait quoi hier pour être aussi fatigués l’un et l’autre ? Oh non… ne me dîtes pas que… Ouah ! Toutes mes félicitations !

_ Sérieusement… ? »

Il se met à nous rire au nez : un vrai gamin !

Nous prenons la direction du centre-ville (cette fois, j’en suis sûr). Tandis qu’Augustin se tient au courant de nos activités d’hier, je demande :

« Qui a eu cette idée de sortir un dimanche aussi ?!

_ Pas moi ! »

Je regarde Augustin un instant : sa réponse rapide m’a surpris. Je tourne mon regard vers Rachel :

« …

_ J’ai appris par un tiers proche de toi que tu sortais assez peu, surtout depuis un moment, alors…

_ Augustin !

_ Un tiers ?! »

Et dire que je le considère comme mon meilleur ami… Tu parles ! Il profite de son statut pour me faire passer pour un mec qui reste cloîtré chez lui jour et nuit ! Ce qui n’est pas très loin de la réalité en vrai… mais même !

Nous atteignons la rue centrale bordée de commerces. Rachel prend la parole, après avoir longuement expliqué à Augustin que le mot ‘’tiers’’ n’était pas forcément péjoratif :

« Vous voulez commencer par quoi ?

_ Jeux vidéo !!! »

De la part d’Augustin, ça ne me surprend pas le moindre du monde… Je soupire et me prépare mentalement à attendre une bonne heure dans le magasin à le voir hésiter, comparer… Je respire un grand coup et prends mon courage à deux mains. Nous atteignons la devanture. Alors que je m’apprête à passer la porte, respirant profondément une nouvelle fois, Rachel se place à mes côtés et me prend la main. Elle me sourit et me murmure un léger "Courage".

Après tout, cette journée sera peut-être prometteuse…


***

Nous passons près d’une heure dans le magasin à regarder Augustin hésiter entre deux jeux, entre deux figurines… tel un véritable enfant. C’est exaspérant et mignon à la fois que de le voir autant ravi. De notre côté, nous faisons le tour des étalages au cas où quelque chose nous intéresserait : ce qui s’avère ne pas être le cas. Lorsqu’Augustin choisit définitivement ses articles et qu’il les paye enfin, nous sortons du magasin en soufflant.

« Qu’est-ce qu’il se passe les amoureux ?

_ …les amoureux ?

_ Oups ! »

Georges lâche ma main pour courir après Augustin, qui tient ses achats… Il les place délicatement et très rapidement près de moi avant de reprendre sa course folle. Mais arrive ce qui devait arriver : Georges le rattrape. Augustin se protège la tête en attente d’un coup, mais son ami en décide autrement : il lui tapote affectueusement la tête, suscitant un regard incompréhensif de sa part.

« Tu croyais vraiment que j’allais te frapper ici ? On réglera ça seul à seul.

_ Euh… je ne suis pas sûr de vouloir…

_ Tu crois que je te demande ton avis ? »

Augustin accoure à une vitesse incroyable derrière moi, se protégeant d’une attaque possible de son ami, et réclamant par la même occasion mon aide. Je me contente de rire et Georges nous rejoint, adressant un sourire rempli de sous-entendus à Augustin.

« Je veux bien servir d’arbitre si vous voulez !

_ Euh… non, non, merci ! »

Je ris à gorge déployée devant son visage apeuré. Je lui prends la main, comme à un enfant et attrape de ma main libre ses achats que je lui fais tenir. Georges me regarde, interrogateur, puis surpris tandis que je m’empare de sa main.

« Je connais un endroit : je pense qu’il vous plaira. »

Je les mène plus loin, au coin d’une rue, devant la devanture d’un des endroits que je préfère : une librairie.

La vitrine de celle-ci est décorée dans des tons estivaux et met en scène un paysage enfantin : deux ours bruns cuisinent au centre d’une clairière, tandis que des oiseaux, des lapins et des renards se joignent à la scène.

« …c’est super mignon.

_ …je suis obligé de dire la même chose. »

Je souris devant leur émerveillement et les mène à l’intérieur.

***

Les teintes et l’ambiance du magasin sont magiques. Les tons clairs des murs et du mobilier, accordés aux tenues des vendeurs, le tout ajouté à l’odeur des livres… tout cela est magiquement apaisant.

« J’ai le droit de rester ici pour toujours ?

_ Si vous le souhaitez, Monsieur. »

J’ai parlé à voix haute… Je me retrouve face à un vendeur d’environ mon âge : il doit sûrement travailler ici à côté de ses études.

« Bienvenue au Livre Ouvert.

_ …merci.

_ Oh, Louis, comment vas-tu ? »

C’est Rachel qui vient de parler. Elle lâche ma main en même temps que celle d’Augustin pour venir saluer le vendeur… Ils se connaissent ?

« Très bien et toi ?

_ Super bien !

_ Qu’est-ce qui t’amène aujourd’hui ?

_ Ma commande doit être arrivée et… j’ai besoin de voir ton patron.

_ Je t’y emmène.

_ Merci. Je reviens, faites un tour dans le magasin : vous trouverez sûrement quelque chose qui vous plaît.

_ Et les vendeurs sont ici à votre service ; appelez-moi au besoin.

_ Bien… »

Je ressens une pointe de… jalousie tandis que je la vois s’éloigner aux côtés de ce garçon. Je lui demanderais si c’est un ami à elle… Augustin me tire de mes pensées :

« Georges ! On commence par où ?

_ Par là. »

Je désigne au hasard une étagère sur ma droite et nous voilà concentrés à déchiffrer les titres sur les reliures des livres.

***

« C’est risqué de venir me voir comme ça !

_ Je sais, je suis désolée, mais c’est une urgence.

_ …dis-moi.

_ J’ai besoin de tes services à propos de Seven.

_ Il est réapparu ?

_ Non, et c’est ça qui m’inquiète…

_ Ça faisait cinq ans que tu ne l’avais pas vu, mais savoir qu’il n’est pas réapparu au bout de quelques mois t’inquiète ?

_ Oui…

_ D’accord ! Je mets mes hommes sur le coup et je te tiens informée.

_ Merci.

_ Je t’en prie. Tu es venue pour autre chose ?

_ Oui : j’ai une commande à récupérer.

_ Je sais, mais tu es bien venue pour autre chose que ça, non ?

_ …c’est plus personnel.

_ Je t’écoute.

_ Comment est-ce que… »

***

« T’es sérieux !? »

Il se moque de moi… Je lui ai juste demandé comment on faisait pour inviter correctement une fille à sortir…

Il rit trop fort en plus de ça, lui ! Tous les clients autour de nous se retourne et nous assène des regards noirs.

« Doucement…

_ Oui, oui ! Désolé, mais je ne peux pas t’aider pour ça : il n’y a aucun guide, tu trouveras par toi-même. Et puis, comme on dit : ‘’tout savoir s’acquiert par l’expérience’’. »

Il termine sa phrase en riant de plus belle, un peu plus discrètement qu’avant. Tu parles d’un ami…

En parlant d’amis, je me demande où est passée Rachel : ça fait un moment qu’elle est partie.

A peine ai-je formulé cette pensée que je la vois apparaître à la caisse, prenant le sac que le vendeur lui tend. Elle me repère à son tour.

Elle nous rejoint, le sourire aux lèvres en voyant Augustin mourir de rire à mes côtés. Elle essaie de s’informer de la situation, et avant qu’Augustin ne sorte une quelconque connerie, je lui réponds un simple ‘’rien’’.

« D’accord. Vous avez trouvé votre bonheur ?

_ Non, pas vraiment…

_ C’est quoi ce que tu tiens, alors ?

_ Ah ! Ça ? Juste une idée. »

Elle se contente d’acquiescer avant de regarder le titre de l’ouvrage que j’ai dans les mains. Son visage s’illumine alors :

« Tu lis cette auteure ?

_ Euh… j’ai déjà lu deux-trois de ses œuvres, mais c’est tout…

_ Georges n’est pas un très grand lecteur, tu sais : c’est plus un dessinateur. »

Merci beaucoup Augustin… Je ne suis pas du tout satisfait de mes travaux en dessin, je n’avais pas forcément envie qu’elle connaisse cette passion…

« Oh, c’est plutôt sympa !

_ Oui…

_ T’inquiète : je vais pas te demander de me montrer ton travail. »

Je lui souris, reconnaissant. Elle nous demande ensuite si nous avons besoin de passer en caisse, et face à nos réponses négatives, elle nous indique la sortie.

Nous sortons donc de cet endroit apaisant pour rejoindre la rue bruyante et remplie de monde. Augustin prend la parole :

« Vous voulez aller autre part, avant que je ne vous emmène faire les boutiques de vêtements ?

_ Je connais un endroit…

_ On te suit ! »

Je les emmène à une papeterie près de la librairie : je ne suis rentré qu’une seule fois dans cette boutique, mais ça m’a tout de suite plu.

***

Une papeterie… C’est vrai que s’il dessine, il lui faut bien un endroit où se ravitailler en matériel ! Je le suis dans la boutique.

L’ambiance est différente de celle de ma librairie adorée : autre qu’être apaisante, elle est chaleureuse ; je comprends pourquoi il peut apprécier cet endroit.

« Mademoiselle, Messieurs, bienvenue !

_ Bonjour !

_ En quoi puis-je vous aider ?

_ Euh… j’aurais besoin de matériel à dessin…

_ Bien, par ici, je vous prie. »

Je laisse Georges suivre le vendeur jusqu’aux étalages réservés au dessin, pour me tourner vers des étagères proposant toute sorte de cahiers. Mon journal est presque plein, donc autant…

Je choisis un cahier du même format que le mien et me dirige vers la caisse. Je patiente derrière les autres clients et règle ensuite mon achat. Le vendeur à la caisse est à peu près de mon âge… il est plutôt mignon… bref ! Je saisis le sac qu’il me tend après avoir payé et rejoins Augustin. Nous attendons que Georges règle ses achats, puis nous sortons tous trois du magasin. Augustin se plaint en premier :

« On va manger quelque chose ? J’ai faim !!!

_ Oui le ventre-sur-pattes, on va aller manger !

_ Il est quelle heure ?

_ 13 heures.

_ D’accord ! Vous voulez manger quoi ?

_ …

_ On se fait un fast-food ?

_ Okay ! »

Nous prenons à emporter et nous allons nous installer dans un parc. Assis dans l’herbe, sous le regard à la fois amusé et désespéré des passants, nous parlons de tout et de n’importe quoi. Nous venons à commenter notre matinée :

« Je ne connaissais pas cette librairie, merci beaucoup de nous y avoir emmenés : j’y ai adoré l’ambiance, c’était apaisant !

_ Pas de souci. Et puis merci à toi aussi : cette papeterie était super ; tellement chaleureuse !

_ Avec de très beaux vendeurs, j’ai remarqué… »

Augustin vient juste de chuchoter ça d’un air innocent… Je me détourne de lui en soupirant.

« En parlant de vendeurs : c’était qui ce Louis, un ami à toi ?

_ Ouais : un ami de lecture pour être plus précise.

_ Ça existe les amis de lecture ?

_ Quand tu passes ton temps dans les bibliothèques et les librairies, oui, ça finit par exister.

_ …On est quoi du coup, Georges ? Des amis de primaire de récréation ? »

A partir de là, ils racontent des anecdotes de leurs années de primaire. En les écoutants, je crois comprendre qu’Augustin est celui qui a peu à peu sociabilisé Georges :

« Je lui ai présenté que des amis mecs, mais bon ! Il a su se faire des amies filles tout seul : tu en es la preuve !

_ Qui te dit que je suis vraiment une fille…?

_ Quuoi ?!

_ Oh, c’est bon, je rigole : je pense pas que tu sois aveugle à ce point de toute façon !

_ Pas sur ce point-là, non, ne t’en fais pas…

_ Augustin, sérieux !

_ Quoi ? Je pense qu’elle connaît cette part-là de moi, non ?

_ Oui, je peux pas la rater !

_ Tu vois ? Du coup, si tu la connais, on pourrait peut-être en parler un moment ou un autre…?

_ Dans tes rêves !

_ C’est noté, dans mes rêves ! »

Nous terminons le sujet en riant à gorge déployée, sous le regard quelque peu désespéré de Georges. Regard désespéré qui se transforme vite en regard amusé lorsque nos rires entraînent le sien.

De l’extérieur, les gens doivent nous prendre pour des fous : trois jeunes personnes qui se roulent presque de rire au sol, chacun pris d’un immense fou rire.

« Ah ! Ah ! Ca faisait longtemps que je m’étais pas autant amusée avec des amis !

_ Seulement des ‘’amis’’ ?

_ J’ai déjà un et une meilleurs amis : je peux pas en avoir deux, ce serait de…

_ …la HAUTE TRAHISON !!! »

Et c’est reparti pour un fou rire… Il faut dire que l’expression d’Augustin quand il a dit ça était épique !

Nous nous calmons tous trois au bout d’un moment. Georges reprends la parole :

« C’est qui tes meilleurs amis ?

_ Octave, que tu connais, et Diane.

_ Tu nous les feras rencontrer ?

_ …oui, pas de souci ! Et vous, vous considérer qui comme vos meilleurs amis ?

_ Sérieusement ?

_ Je sais c’est débile, mais je pose quand même la question.

_ Ouais, ouais ! Bah, mon meilleur ami c’est Georges et ma meilleure amie c’est toi !

_ Pareil.

_ …vous me considérer comme votre meilleure amie alors qu’on se connaît depuis si peu de temps ?

_ Ouais, c’est pour te dire ! Avec le nombre de filles que je connais, ça te place immensément au-dessus !

_ Merci Augustin… Mais…

_ Ne t’inquiète pas : c’est tout réfléchi ! D’accord, on ne se connait que depuis peu, mais alors ? Je sais qu’on va se côtoyer très longtemps !

_ J’espère !

_ En parlant de ça, t’as un copain ? »

C’est tellement soudain comme question. Je reste muette un instant avant de reprendre :

« Pas en ce moment. Et toi ?

_ Nope. Pas en ce moment ?

_ Tu sais ce que c’est que d’interrompre une relation ?

_ Ouais, je sais. »

Une question me vient alors en tête. Une question qui me quitte jamais vraiment depuis que je les connais : cette histoire d’appel téléphonique. Je prends mon courage à deux mains, et profitant de ce moment propice, je me lance. Je demande à Georges :

« …j’ai reçu des appels pendant presque un an de la part d’un jeune homme… Et le numéro qui s’affichait était le tien… Est-ce que c’est toi qui appelais…? »

***


« En parlant de ça, t’as un copain ? »

Je me redresse soudainement et me concentre attentivement, attendant avec crainte sa réponse…

« Pas en ce moment. Et toi ? »

C’est un soulagement pour moi. Je pensais bien que ce n’étais pas le cas, mais l’entendre le confirmer… Augustin reprend la parole :

« Nope. Pas en ce moment ?

_ Tu sais ce que c’est que d’interrompre une relation ?

_ Ouais, je sais. »

Après un instant de silence, je la vois souffler, comme pour se donner du courage, puis elle se tourne vers moi et commence :

« …j’ai reçu des appels pendant presque un an de la part d’un jeune homme… Et le numéro qui s’affichait était le tien… Est-ce que c’est toi qui appelais…? »

Je ne sais plus où me mettre. Je fuis son regard et celui d’Augustin par la même occasion : il va me tuer… Je sens son regard noir se poser sur moi :

« Georges…

_ Je suis désolé, Rachel. Il faut croire que je me suis trompé de numéro… Excuse-moi pour le dérangement…

_ Je ne t’en veux pas, t’inquiète. Et puis… le fait que t’ai pas appelé depuis un moment prouve que tu as dépassé ça… non ?

_ Oui…

_ Georges : je ne t’avais pas dit d’abandonner cette salope ?! T’es sérieux d’avoir essayé de reprendre contact ?!

_ Désolé, Augustin…

_ Je n’en veux pas de tes excuses : elle te plaque comme une merde avant de t’ignorer, et toi tu la rappelles ?!

_ Désolé… »

Je sens des bras m’entourer : Rachel. Je laisse mes larmes couler. Après près de deux ans depuis ce jour-là, mes larmes coulent enfin.

Je pleure comme un enfant dans ses bras… Je dois évacuer cette souffrance, et la meilleure façon qui s’offre à moi est de pleurer. Je sens alors d’autres bras m’entourer. Ceux d’Augustin. Lui aussi pleure… Pourquoi ?

« Je suis désolé, Georges.

_ Aller les pleurnicheurs : laissez couler ces larmes une bonne fois pour toute ! »

Nous voilà donc tous deux dans ses bras, pleurant à chaudes larmes, tandis qu’elle nous câline comme le ferait une amie… Je suis heureux qu’elle m’ait ramené ce jour-là…

***

Je les laisse pleurer dans mes bras : cette blessure ouverte doit être refermée. Au bout d’un moment, Augustin se sépare de moi, suivi par Georges. Ils essuient tous deux leurs larmes, et tandis que je leur tends des mouchoirs, Augustin demande :

« Alors ces magasins de vêtements, on les fait ?

_ Oui ! »

Je souris en voyant Augustin retrouver son énergie quotidienne : la page est tournée ; la blessure est définitivement refermée.

Nous passons le reste de l’après-midi à faire des magasins de vêtements. Je ne savais pas Augustin aussi décidé lorsqu’il s’agit de mode : autant il est indécis pour tout, autant il sait ce qu’il veut porter !

Il nous fait essayer quelques habits, et je ne mentirais pas en disant qu’il sait merveilleusement bien choisir : ils nous allaient parfaitement. Je l’interroge :

« Tu veux travailler dans la mode plus tard ?

_ Oui, ça ne me déplairait pas !

_ Tu adorerais, oui : si tu savais combien de fois il m’a raconté ça ! Il souhaite devenir styliste, quitte à créer sa propre marque, il est prêt à tout pour y arriver.

_ Ouah, c’est une super belle ambition : tu peux compter sur moi pour te soutenir !

_ …merci. »

« Bon : faut que j’aille bosser. Merci beaucoup pour aujourd’hui.

_ Remercie-toi toute seule : c’était ton idée !

_ Ah. Ah : j’aurais pu la mettre en œuvre toute seule peut-être ?

_ D’accord, d’accord ! On t’accompagne jusqu’au café ?

_ Si vous voulez. »

Je les quitte pour rejoindre mon lieu de travail. Après nous être une nouvelle fois remerciés et dit au revoir, je rentre dans le bâtiment et me prépare mentalement pour la soirée : le dernier jour du week-end est jamais le plus simple pour moi.

Je quitte le bar vers 23h. Les clients m’ont encore vidée de toute mon énergie à râler et à s’enivrer… Je hais les dimanches soirs !

Je sors du bâtiment pour rentrer chez moi. L’été est toujours aussi chaud, la nuit toujours aussi bruyante : l’extérieur est toujours aussi exténuant. C’est certainement pour ça que je préfère l’hiver : il y fait froid, la nuit est synonyme de calme et l’extérieur est reposant. Mais bon, je suis bien obligée de faire avec : je peux pas vivre seulement en hiver !

J’atteints enfin mon appartement. Un bruit me surprend : un objet qui se fracasse au sol. Ça vient de chez moi. Je comprends tout de suite. Je reste silencieuse près de la porte entre-ouverte.

Je sais ce que je dois faire : absolument rien. Je dois juste attendre que le calme rejoigne le cœur de la celui en train de tout saccager. Il se calme au bout d'une dizaine de minutes. Comme à son habitude. Je m'avance enfin, sortant de la pénombre du couloir pour rentrer chez moi.

« Raconte-moi tout, Octave... »

***


Nous sommes rentrés chez moi avec Augustin après être partis manger en ville : c’était l’envie qui nous manquait pour cuisiner. Je suis allongé sur mon lit, à côté de mon ami endormi : j’entends sa respiration sereine. Je ne veux pas bouger. Je ne peux pas. Mon corps refuse. Le choc est trop grand.

Je relie le message sur mon portable une énième fois. Ce n'est pas la première fois qu’elle me fait mal. Mais là, elle a atteint son climax. Je ne sais pas quoi faire. Je ne sais pas quoi pensé. Elle m'a perdu. Une fois de plus.

"Chéri, c'est maman.

J’aurais dû t'annoncer ça directement, mais je ne peux pas.

Je dois partir loin. Je ne reviendrai pas.

Je ne supporte plus cet endroit. Il est trop plein de souvenirs.

Trop plein d’eux.

Trop plein de lui.

Trop plein de toi.

Je ne veux plus me souvenir de tout ça.

Je t'abandonne une nouvelle fois.

Je sais.

Mais, il n'y aura pas de troisième fois.

Tu ne me reverras plus.

Je pars dans trois jours. Si tu veux venir à la maison, je t'accueillerai une dernière fois.

Bisous mon ange."


Je suis vidé de toute force. De toute volonté. Une coquille seulement animée par la vie qui coule dans ses veines.

Elle a réussi à me briser une seconde fois. Je la hais autant que je l'aime : je ne peux pas la renier. Elle m'a mis au monde. Elle m'a élevé. Mais elle m'a abandonné.

J'étais trop jeune pour ça. Trop fragile… Je suis toujours trop fragile quand ça la concerne… Je m'exècre autant que je la déteste : je suis tellement faible quand on parle d'elle...

Mais je ne veux plus la revoir. Il faut que je l’appelle. Demain. Il faut que je la quitte sans regrets.

***

Voilà pour ce chapitre trèèèès long : j'espère qu'il vous aura plu !!

J'ai énormément apprécié réécrire sur ce projet !

(J'ai eu l'impression que mes personnages avaient grandis en reprenant le récit XD)

J'espère pouvoir publier un nouveau chapitre bientôt, en attendant, je vous fait des bisous !! :3

***

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