La victime

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Le meurtre avait eu lieu loin du village, dans une maison pauvre tout en bois et en paille, mais les réparations récentes étaient en torchis. Pour fenêtre, elle n’avait que simples trous dans les murs, fermés par un croisillon de bois et que de solides volets permettaient d’obturer.. Contrastant avec son délabrement, sa taille atteignait celle des artisans aisés. Et la porte, en bois massif, était neuve.

Je ne savais que penser de l’état de cette maison. Elle était entretenue, mais il y avait beaucoup de parties qui tombaient en ruine. Un revers fortune récent avait dû empêcher son propriétaire de l’entretenir convenablement. Mais comment avait il pu changer sa porte, un tel ouvrage coûtait cher. Son héritier cependant, disposerait là d’une belle demeure à laquelle quelques travaux pourraient redonner son lustre.

Je jetais un bref coup d’œil sur les environs. La rivière toute proche produisait un tintement agréalble. Les arbres ombrageaient la demeure, lui évitant d’être trop chaude en été. Le terrain était de piètre valeur agricole, les rochers qui affleuraient ça et là indiquait la présence d’une faible couche fertile impropre aux cultures. La seule chose qui poussait à cet endroit c’était les plantes sauvages qui s’accommodaient d’un sol pauvre tels que les lauriers. C’était un contraste frappant avec les cultures que nous avions longé en venant jusqu’ici, la route, qui finissait devant le perron, était bordée de champs de céréales. Mais depuis la maison, caché par la colline, on ne les voyait pas.

Contrairement à l’extérieur, l’intérieur de la maison était propre. Le propriétaire nettoyait les lieux où il vivait. La propriétaire en fait. Le corps était resté tel qu’il était tombé au sol. C’était une stoltzin très âgée. J’en avait rarement vu d’aussi vieille. C’était dû à une particularité typiquement stoltz. Pendant l’enfance nous nous développons jusqu’à l’âge adulte, puis notre corps n’évolue plus pendant quelques siècles et entre quinze et trente ans avant la mort, le corps se dégrade à toute vitesse. La vieillesse n’est qu’une étape relativement courte dans l’ensemble de notre vie. La femme allongée devant moi n’avait donc plus qu’une quinzaine d’années à vivre au maximum, cinq plus certainement. Pourquoi assassiner une personne qui avait aussi peu de temps à vivre.

Je m’accroupis pour examiner le corps. La femme était mince, presque maigre. Elle ne devait certainement pas manger à sa faim. Sa tenue aussi dénotait sa pauvreté, mais aussi le soin qu’elle mettait à l’entretenir. J’éprouvais une bouffé de colère. Jamais en Helaria on aurait laissé quelqu’un dans une telle misère. Même nos criminels étaient mieux traités. Je remontais jusqu’à la poitrine, que le manque de nourriture et l’âge avaient rendu plate mais la coupe de sa robe semblait indiquer qu’elle avait dû être opulente par le passé. C’est là que le couteau avait été planté, droit dans le cœur.

Non ! Je me trompais, je la voyais de face, sa droite correspondait à ma gauche. Le poignard en silex avait été enfoncé du côté gauche de la poitrine. C’était tout aussi mortel, et cela n’expliquait pas la quasi absence de sang qui l’entourait. Que la blessure se situe au cœur ou au poumon, il y aurait dû avoir une hémorragie. Et pas juste cette simple tache, large d’une demi perche. (environ 55 cm). En tout cas, cette erreur dans le sens indiquait que le meurtrier n’était pas un expert dans ce domaine. Un professionnel n’aurait jamais commis une telle erreur.

Après avoir examiné le corps, je me relevais.

« Qui a enlevé le poignard du corps ? demandai-je.

— Personne, répondit notre chaperon.

— Alors pourquoi nous accusez vous si vous n’êtes pas sûr de l’arme utilisée.

— On l’a trouvé dans la pièce. »

Je jetais un regard circulaire autour de moi. Je trouvais l’arme, là où le meurtrier l’avait laissé, sous la table. Elle avait dû glisser là quand il l’avait jeté. Je la reconnu, elle appartenait bien à Muy. Elle avait dû la perdre hier pendant notre arrivée, je ne faisait pas bien attention à ses affaires à ce moment, j’avais d’autres sujets de préoccupation. Et quelqu’un l’avait trouvée.

La gloire passée de la maison, que j’avais remarqué dehors, était encore plus évidente à l’intérieur. La femme avait entretenu son lieu de vie du mieux qu’elle pouvait. Avant, elle s’occupait de l’extérieur aussi, mais avec l’âge, elle n’y arrivait plus et avait laissé les choses se dégrader. Voilà qui en disait long sur la solidarité qui régnait au sein de ce village. Elle exprima sa désapprobation.

— Vous nous accusez de meurtre, mais dans mon pays, on n’aurait jamais laissé une femme seule dans une telle misère. On l’aurait soutenue pour qu’elle ait une vie décente. Il y aurait certainement un jeune qui se serait installée chez elle en échange de bons procédés. Jamais ceci ne serait arrivé chez moi. »

Le visage de notre guide exprima son malaise.

« Vous n’avez pas de meurtre chez vous, protesta-t-il.

Le ton agressif qu’il avait pris servait à masquer sa gène.

« Quand ça arrive nous faisons en sorte que personne la personne ne puisse plus recommencer, répondit Muy. »

Muy, si discrète que j’avais oublié sa présence. Quand on pense à elle et à sa jumelle, il vient à l’esprit des gens son côté guerrière impitoyable. Mais elle est helariasen avant tout. Avec notre culture et nos schémas de pensées. Tout ce qu’elle voyait devant elle devait l’écœurer autant que moi. Tuer une personne oui, mais à armes égales, dans un combat régulier. Pas une vieille femme incapable de se défendre.

Puisque ma pentarque était avec moi, autant utiliser ce qui la rendait unique. Elle n’avait pas sa gemme. Elle disposait donc de peu de puissance magique. Mais elle gardait certaines capacités qui allaient m’être fort utiles.

— Muy, pourrais-tu examiner le corps en profondeur lui, demandais-je.

Elle hocha la tête et s’accroupit. Elle passa la main au-dessus du corps, lentement, en partant de la tête pour descendre vers les pieds. Je voyais un léger chatoiement entre ses doigts. Rien de bien impressionnant, loin de la luminosité violente qu’elle produisait quand elle soignait la blessure d’un soldat. Mais cette faible manifestation de magie suffit à rendre notre guide mal à l’aise.

« Vous vous êtes attaqués à une magicienne et une guerrière, pensais-je, supportez en maintenant les conséquences. »

« Il n’y a rien à signaler, me dit elle en se relevant »

Sauf que simultanément, elle m’envoyait par la pensée un message disant qu’au contraire cet examen s’était révélé très instructif. Je suppose qu’utiliser sa magie sans pierre de gemme devait être épuisant et qu’elle attendait un moment où nous serions seules pour tout me dire de vive voix. En attendant, je restai dans l’expectative, d’autant plus que le regard qu’elle avait lancé au villageois avait changé de nature. Il était maintenant franchement hostile.

« Je voudrais rester seule avec mon amie, dit-elle d’un ton sec.

— Je ne dois pas vous quitter des yeux, répondit-il.

— Faut il que je vous laisse me sauter pour que vous accédiez à ma demande ? »

Le rouge qui monta aux joues de l’homme confirma que Muy avait touché un point sensible. Il sortit, un départ qui ressemblait à une fuite.

« Alors ? demandais-je.

— Alors tu t’es trompé, me répondit elle.

— Dans quoi ?

— Cette femme est handicapée. Elle a une des articulations qui l’empêche de marcher correctement et d’exercer des efforts sur ses jambes.

— Mais comment a-t-elle fait pour survivre sans aide toutes ces années ? Il a bien fallu que le village s’occupe d’elle.

— C’est évident, répondit Muy. Ce qui nous amène à la seconde question.

— Pourquoi ont-ils arrêtés ? »

Elle hocha la tête.

Je réfléchis. Vu l’état de l’extérieur de la maison, le village avait cessé de l’entretenir depuis un peu plus d’une douzaine d’années. L’état de la victime indiquait qu’elle était entrée dans sa phase de vieillesse à peu près au même moment.

« Oh ! m’écriais-je. Tant qu’elle a pu payer en utilisant ses charmes, elle a reçu tout l’aide dont elle avait besoin. Mais quand ça n’a plus été possible, ils l’ont laissé crever dans son coin.

— J’ai peu d’estime pour ces gens qui obligent une femme handicapée à se prostituer pour survivre. »

J’étais d’accord avec elle. Mais j’estimais que cette déduction était un peu rapide. Peut-être interprétions nous mal les faits. Quoique la fuite du villageois face à la pique de Muy semblait confirmer ces faits.

« Il y autre chose, me dit-elle.

— Ah bon ?

— Ce n’est pas sa seule malformation. Elle a le cœur à gauche. »

Tiens donc, le poignard était donc du bon côté finalement. Je ne savais cependant pas comment interpréter ce fait.

Avant de sortir, Muy ramassa son arme. Quelque tâches de sang maculaient la lame ensanglantée. Elle prit un torchon posé sur le bord de l’évier pour l’essuyer avant de le glisser dans son emplacement à sa ceinture. Quelque chose m’avait mis mal à l’aise dans cette scène, mais je ne savais pas quoi.

Je lançais un regard circulaire sur la maison, les terrains en friche tout autour et la rivière qui coulait une vingtaine de longes. L’endroit semblait peu fertile, il n’était pas surprenant qu’aucun paysan ne soit venu y cultiver. Mais tout autour, les terrains étaient productifs. En fait, elle était construite à un endroit idéal pour un paysan, proche de ses champs mais sur une terre sans valeur. Je posais la question à notre guide.

« À qui appartient la terre qui entoure la maison ? demandai-je.

— À Tranisanar, répondit-il.

— À qui ? demanda Muy.

— Tranar, répondis-je. C’est son nom complet. C’est la coutume dans cette partie de la Diacara d’abréger les noms.

— Maintenant qu’elle est morte, ça serait indécent, répondit Jared.

— Et vous, avez vous un nom plus long ?

— Jamanored. Mais tout le monde m’appelle Jared.

Et elle lui adressa un sourire engageant.

Mais je revais ! Elle était en train de lui faire du charme. Ça me semblait si incroyable de voir cette guerrière si réputée se servir d’autre chose que de son bras pour arriver à ses fins. Il était vrai que le bras, ces temps ci, n’était pas une option. Et sans la gemme, elle ne pouvait pas utiliser sa magie. J’avais remarqué pendant la visite des lieux que le jeune paysan était plus sensible à la silhouette adolescente de ma compagne de voyage qu’à mes formes épanouies. Elle avait enfilé une robe courte, qui révélait deux jambes galbées et délicatement musclées, le décolleté attirait le regard sur sa menue mais ferme poitrine, une ceinture lui ceignait la taille, mettant bien en évidence sa sveltesse. Elle ne s’était pas habillé au hasard. Elle savait dès le début l’effet qu’elle aurait sur le jeune homme. Je me demandai si elle n’avait pas utilisé le peu de magie dont elle disposait pour le circonvenir. Mais cela aurait été contraire à son éthique. Non, en fait elle avait jugé Jared tout de suite, avait décidé d’en tirer partie et s’était habillé en conséquence. À moins que le jeune homme lui plaise et qu’elle ait décidé de le séduire juste par plaisir. La connaissant, ce n’était pas exclus. C’était même bien plus vraisemblable que ma première hypothèse.

Je revins à mes occupations premières.

« Ainsi donc, Tranar possédait le petit bout de terrain qui entourait sa maison.

— Ça et quelques autres encore. Elle a hérité des paturages de son père.

— Elle était donc riche. Comment se fait il qu’elle vivait dans cette masure délabrée ? intervint Muy.

— Un champ ne rapporte de l’argent que s’il produit. Et avec son handicap, elle ne pouvait pas le cultiver, répondis-je.

— Je n’y avais pas pensé. »

Je m’adressais alors à Jared.

« À quel point cette femme était-elle riche ?

— Je l’ignore.

— Il y aurait un moyen de savoir ?

— Le temple. Il a des archives.

— Que comptes-tu y faire ? demanda Muy.

— C’est simple, répondis-je, pour commettre un meurtre, il faut trois éléments : une raison pour le commettre, une opportunité de le commettre, et un moyen.

— Je vois, en conclu-t-elle. Nous avons déjà le moyen. Une visite aux archives pourrait nous éclairer sur la raison.

— En fait, nous avons rien du tout. »

Muy me lança un regard intrigué.

« Comment ça ? C’est ce couteau planté en plein cœur qui l’a tué.

— Je n’en suis pas sûre. Je ne suis même pas sûre qu’il y ait eu meurtre. »

Ce coup ci, c’était au villageois d’être surpris.

« Je ne comprend pas ?

— Il peut très bien s’agir d’un suicide maquillé en meurtre. Ou encore le meurtre a été commis avec une autre arme et ce couteau est là pour faire croire qu’il est l’arme du crime.

— C’est bien compliqué, je trouve, répondit Muy.

— C’est vrai. Mais n’oubliez pas que le but du meurtrier est de ne pas se faire prendre. Il a tout fait pour nous compliquer la tâche. »

Muy hocha la tête. Elle avait compris. Elle était pentarque après tout. Un membre du gouvernement de l’Helaria.

Avant de sortir, je vérifiais que toutes les fenêtres étaient fermée. Puis je quittai la maison. Derrière moi je fermais soigneusement la porte avec une petite cordelette. J’allais m’éloigner en direction du village quand Muy me retint par le bras. Elle sortit son sceau pentarchial et son bâton de cire de sa sacoche. Elle ne s’en séparait jamais, sa charge pouvait l’obliger à authentifier un document à tout moment. En s’aidant d’une feuille, elle scella entre eux le nœud de la cordelette et y appliqua son sceau.

« Tu en penses quoi ? me demanda-t-elle.

— J’aurai dû avoir l’idée moi même.

— Ça serait une bonne idée de faire des sceau pour la corporation à l’avenir. »

J’approuvai d’un hochement de tête.

Jared regarda le cachet de cire. Brutalement, ses yeux s’agrandirent d’étonnement. Il n’avait jamais entendu parlé de l’Helaria. Mais la nature du sceau qui représentait une licorne tenant une branche d’olivier dans la gueule, était sans équivoque. Cette femme n’était pas, comme sa taille l’avait laissé croire, une apprentie, mais bien au contraire, une personne haut placé. Un maître, voire plus. Il posa un regard neuf sur la petite femme.

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