Chapitre 2 : Avide besoin - Partie 3.

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- Je me rends à ma tente, tout comme toi, il me semble.

Adevar pivota la tête dans sa direction. Ses yeux rencontrèrent la largeur d’une épaule musclée et la ligne d’une clavicule sinueuse dans l’échancrure de son étrange habit. Moins que la veille, certes, mais le haut semblable contrastait d’originalité avait le bas qu’on lui avait prêté – ou forcé à enfiler. Le pantalon de cuir de boralu, recouvert de plaques de métal de l’autre continent pour le renforcer, était typiquement calistrais, bien qu’il n’eût jamais vu un Calistrais ou un Hymolitais le porter au moins aussi bien que lui. Cependant, son torse restait recouvert de couches d’un tissu à l’apparence extrêmement fine enroulé autour de son buste à la manière d’un turban nomade, qu’il avait coincé dans son pantalon et étiré jusqu’à ses mains de manière à ne laisser entrevoir que la peau de son cou et de la naissance de ses épaules.

Ce type était un cas – en plus d’être insupportablement grand –, pas particulièrement dérangeant dans le paysage, mais différent tout de même. L’aura sans doute, ou les habits ; ou l’attitude. Adevar ne saurait dire ce qui ne convenait pas, mais Ylne Ajter n’était pas d’ici. Peut-être faisait-il parti d’un peuple inconnu ou barbare de l’autre continent… Mais encore une fois, tout comme la théorie du montagneux, ethnie habitant dans les Îlots montagnards à l’ouest du Calistr, cela semblait peu probable. Il faisait terriblement froid là-bas et le soleil ne pointait que rarement le bout de son nez.

Cela ne convenait pas à la couleur de peau de son interlocuteur. Elle avait une teinte assez foncée, sans toutefois atteindre le niveau de certains tribus nomades du Grand Désert Solitaire. Ces populations libres avaient parfois des carnations si sombres qu’on ne les voyait pas la nuit.

- Tu t’es encore perdu dans tes pensées, lui fit remarquer Ylne, le sortant de ces dernières.

- Je ne crois pas, non ; j’étais simplement occupé à réfléchir.

- Oui. Evidemment, je comprends, rit-il en se tournant vers sa tente.

Elle était un peu éloignée du campement, mais n’atteignait pas le degré de misanthropie d’Adevar. Il y avait encore une quinzaine de pas avant d’arriver à la sienne. Cependant, Ylne pouvait assister à chacune de ses entrées et sorties et avait quasiment une vue imprenable sur son espace personnel. Un frisson angoissé traversa à pas lents sa colonne vertébrale.

Il n’eut pas à se forcer à le réprimer. Il n’avait de toute façon pas beaucoup de talent à montrer ce qu’il ressentait, à l’exception faite de lorsqu’il avait bu. Cela expliquait peut-être le haussement de sourcil soupçonneux de son interlocuteur.

Il s’apprêta à lancer une remarque acerbe – les expressions trop évidentes de cet hurluberlu avaient la manie d’échauffer son esprit et sa rage – lorsqu’un mouvement infime vint perturber sa vision périphérique. D’accord. On respire. Tout va bien. Môsieur le bellâtre a le regard fixé sur moi, il n’a pas dû le voir. Il ne l’a sûrement pas vu. Et puis, c’est sans doute un animal – s’il m’entendait je pense qu’il me tuerait. Animal, Adevar. C’est un animal. Enfin, j’espère qu’il pense que c’est ça. Sinon, je suis perdu. Enfin s’il soupçonne quelque chose.

A l’intérieur, son cerveau bouillonnait de pensées incohérentes et sauvages, mais de l’extérieur, cette surchauffe était indiscernable. Adevar en était sûr. S’il y avait bien un avantage à son problème, c’était que ses pensées et ses émotions ne transparaissaient que rarement aux yeux du Monde. Et surtout des inconnus.

Il esquissa un sourire miroir à celui d’Ylne ; la moue n’eut pas l’air de le convaincre, mais, s’il détecta quelque chose – bien que ce fût impossible, du point de vue d’Adevar –, il n’en montra rien. Ylne s’approcha d’un pas. Il inspirait profondément, et sa poitrine sculpturale se soulevait à ce rythme délicat. Farouche aussi. Les fossettes qui décoraient ses joues donnaient à son visage un air malicieux qui se répandaient jusqu’aux deux orbes bleu azur. Adevar se sentit mal à l’aise.

D’une part à cause de l’expressivité de son interlocuteur, et d’autre part parce qu’il avait la douloureuse impression qu’Ylne Ajter avait la possibilité de lire en lui. Mais tant que le bellâtre avait son attention figée sur lui, il ne faisait pas attention à « l’animal qui rôdait autour ». Sans qu’il ne pût se l’avouer, ce qui le fit frémir de malaise, plus que tout, fut la proximité de leurs deux corps, si différents. Et pourtant si semblables, si masculins tout deux. Ce fut les yeux de l’homme, magnifiques, les traits de son visage sublimés par la pénombre qui s’amusait à dessiner des courbes sur la peau foncée, ce fut la tension émotionnelle qui semblait les habiter, de manière si opposée.

L’alcool effaçait ses inhibitions habituelles. Mais le breuvage était contrebalancé par la constante vigilance qu’il s’imposait. Le contrôle permanent de son corps. De son esprit. De ses vices.

Il sourit affablement, avant de se décaler et, un hochement de tête très – trop sans doute – cordial mimé, de partir en direction de sa propre tente. Le regard brûlant d’Ylne le suivit jusqu’à ce qu’il changeât de direction pour rejoindre son habitation précaire.

Il s’humecta les lèvres et ne put s’empêcher de les mordiller un instant. Une sueur froide coulait dans son dos, tandis que son esprit créait et recréait des centaines de scénarii, allant de la découverte de son secret à la pire des trahisons, en passant par le pêché qu’il aurait commis s’il avait laissé la tentation le prendre. Le sang frappait sa gorge et le rendait nauséeux.

Aussi, il ne vit pas arriver le bras qui crocheta sa taille et le projeta contre l’arbre le plus proche, dans l’obscurité, et pour seuls témoins les deux lunes redevenues blanches. Des yeux d’ébène le fixèrent, tandis que deux sourcils clairs froncés soulignaient un regard noir. Adevar frémit et pâlit. L’animal venait de retrouver sa piste. Des mèches blondes tombaient son front et tranchaient avec son teint doré. Une main fine se plaqua contre son torse et le palpa à travers les habits. Des frissons naissaient à cette origine et se répandaient dans tout son corps. Adevar exhala un souffle haletant. Ses membres tremblaient tandis que l’homme qui lui faisait face commençait à retirer couche par couche chacun de ses habits.

Ses lèvres roses se collèrent à la base de sa pomme d’Adam avant de l’effleurer, de la titiller langoureusement.

- Ah…, grogna le torturé, Guaril. Pas ici. Pas visible.

La main empoigna son point sensible, lequel vibrait avec violence du sang qui affluait. Son esprit vrillait tandis que son… ami l’allongeait doucement, à même l’herbe. La fraicheur des brins contrasta avec sa propre température, bouillante. Il ahanait, les yeux brouillés de larmes de plaisir, enivré de la sensation d’une main amante folâtrant avec le centre de ses vices.

La bouche glissa avec une lenteur insoutenable sur sa gorge, sa clavicule, son épaule. Les cheveux courts de Guaril chatouillaient son nez et l’englobait de son odeur. Une odeur déstabilisante, à faire perdre la raison à quiconque. A n’importe qui. Même à lui. Il brûlait de l’intérieur, sentait son corps, le sentait véritablement, ressentait une vie alors qu’il ne l’apercevait qu’à travers un prisme désabusé le reste du temps ; l’autre redécouvrait encore et encore son corps sans se lasser, sans lui laisser le temps d’agir. Guaril poinçonna ses deux poignets au-dessus de sa tête et se plaça de part et d’autre de son corps alangui.

Adevar ferma les yeux, nageant dans une volupté qu’il avait du mal à atteindre. Mais ce soir-là, l’alcool aidant sans doute, la fébrilité de son ami aussi, son plaisir se trouvait décuplé. Les doigts nerveux du grand blond remontèrent lentement la fine chemise pour caresser son ventre recouvert de chaires de poules. La pulpe de son index, légère, effleura l’extrémité de sa cicatrice, plus cachée par le bandage. Il était un peu remonté par l’agitation des deux silhouettes brouillonnes qui n’en formaient qu’une.

Adevar se força à se relever sur les coudes et à canaliser la furie de Guaril. Ce dernier s’assit un instant sur les cuisses musclées de son amant, genoux ancrés au sol, le fixant avec une pointe d’amertume.

- Ne fais pas la tête, tu veux autant que moi te faire découvrir par le reste du camp… c’est-à-dire pas du tout. D’autant plus que toi, ton père te tuerait pour avoir brisé l’honneur de sa noble famille.

- Super tue-l’amour, mon ange, susurra l’autre, caressant sa lèvre inférieure de son pouce, comme hypnotisé.

- Tu m’écoutes… ?

- Mais tout à fait.

Adevar soupira avant de forcer Guaril à se relever. Ce dernier prit appui sur ses pieds de mauvaise volonté avant de lui tendre une main. Adevar accepta, mais une alarme retentit dans sa tête. Aussitôt qu’il lui eût saisit le bras, Guaril le souleva brutalement avant de le saisir sous les cuisses et de le porter jusqu’à ses hanches. Naturellement, il croisa ses chevilles sur sa chute de rein pour éviter une chute douloureuse. Ses mains se posèrent sur sa nuque découverte.

Ainsi, Adevar était légèrement plus grand que Guaril. Il plongea son regard d’ambre dans le sien, silencieux. La terreur et l’excitation se battaient en lui, dévorant tout autre sentiment ou sensation, s’il omettait le constant dégoût qui s’insinuait en lui comme un poison mortel.

Le dégoût de lui-même qui le forçait à rester cacher, à culpabiliser dès qu’il posait les yeux sur un homme et qu’il ressentait du plaisir à le regarder. Ce terrible et instinctif dégoût qui parcourait ses veines au rythme des pulsations de son cœur. Il embrassa son amant d’un soir. Ses lèvres lui avaient manqué. Il les mordilla, les goûta, jusqu’à sang, suça le moindre morceau de peau qu’il put de cette bouche délicieuse.

Il trouvait son ami délicieux, sublime et terriblement attirant. Son érection se frottait à sa compagne de la nuit, en écho à leur propre envie. Interdite et contre-nature. Guaril le conduisit jusqu’à sa tente. Il s’abaissa, tenant toujours le corps d’Adevar et ne le lâcha que lorsqu’il put retomber sur le matelas de fortune.

Adevar se cambra, frottant son corps brûlant contre son homologue. Des gémissements moururent sur ses lèvres lorsque Guaril saisit la lance de sa passion. Ses doigts agiles entreprirent de le défaire de son bas. Une nuée d’étincelles recouvrit la peau bouillante d’Adevar au moment où la main caressa l’os de son bassin. Il se mordit la lèvre pour retenir les bruits alanguis qui voulaient jaillir ; la volupté étourdissait son esprit et transperçait sa voix. L’odeur fraîche, pleine de douceur et de savon, de son amant embaumait la tente et emplissait ses narines. Son corps vibra tandis qu’il humait les effluves dégagés de sa peau.

La bouche de Guaril vint se poser sur la ligne fine de ses abdominaux et sa langue s’amusa à taquiner les muscles de son torse frémissant. Il sentait chaque torsion de cette chaire humide qui s’enivrait du goût de sa peau et des reliefs de son buste. La langue remonta lentement, passa par des chemins détournés. Elle s’arrêta à la naissance de ses pectoraux et son propriétaire les embrassa, apposant deux nuages doux sur la brûlure de son désir.

Sa main vint soulever son bassin et empaumer une fesse ronde. Un ongle glissa lentement le long de la fente de son intimité. Adevar ne put retenir un juron de plaisir, les yeux pleins de larmes et un souffle entrecoupé d’halètements. Ses deux mains se posèrent contre le large torse de Guaril – bien que pas aussi large que celui d’Ylne.

Adevar se figea. A quoi venait-il de penser ? Le sang irrigua brusquement son entre-jambe qui émit protestation délicieuse lorsqu’il rencontra son voisin tout aussi désireux. Les pensées disparurent de son esprit lorsque Guaril força ses jambes à s’ouvrir ; il cracha sur ses doigts et ceux-ci vinrent se présenter à la porte de son intériorité. La brutalité se mêlait de douceur et le feu dans les yeux de Guaril décimait chaque parcelle de doute. Lorsqu’il passait une main sur sa poitrine échauffée, lorsqu’il sentait son cœur battre au rythme effréné du sien, il ne se posait pas la question ; il ne se la posait plus.

Ses lèvres dessinèrent un sourire d’extase lorsque le jeune homme le pénétra ; la douleur diffuse n’était plus, un instant après, et les mouvements lascifs, douloureux de lenteur, l’amenaient à son absolution. Son corps tremblait, ses muscles tétanisaient. Il laissait son ami posséder son âme et son corps, et noyer leurs intimités en une seule vague de plaisir.

De ses lèvres jaillit un râle animal, qui exprimait toute la passion en son cœur.

- Tu es magnifique, susurra Guaril en caressant ses cheveux courts, les traits de ton visage sont si… précieux lorsque tu es entre mes bras. Je pourrais regarder ça pendant des heures.

Il déposa un baiser délicat sur les deux lippes exhalant de luxure. Adevar se voyait rougissant et déliquescent, chutant jusqu’aux abîmes de sa sainteté d’esprit. Les mots n’existaient pas, les morts non plus ; pas un instant il ne pensa à Ylne, cet insupportable fauteur de trouble, il oublia même les problèmes qu’il discernait chez la fratrie Trejor. Il n’avait plus en son sein qu’une illumination de sensations grisantes. Que des mains qui couraient sur sa peau, des expirations dévorantes, des battements de cœur et des coups de rein.

Un mince voile de sueur couvrit sa peau de chaires de poules. Le vent battait les tissus de la tente et refroidissait l’ambiance sans qu’aucun des deux amants ne s’aperçussent de rien. Adevar plongea son regard dans les deux lacs abyssaux qu’abritaient les prunelles de l’homme du soir. A eux seuls, ces deux yeux pouvaient rivaliser avec le plus sensuel des ébats, les plus farouches des doigts. Ils exprimaient un charnel si féroce qu’une secousse le parcourut et qu’un dernier gémissement fusa des tréfonds de son être. Une tornade propulsa son cerveau hors de son crâne et l’envoya côtoyer les deux lunes, à sept cieux de là.

L’orgasme foudroya Guaril au moment même où le son cristallin de jouissance parvint à ses oreilles. Ses avant-bras tremblèrent. Il s’effondra contre le torse mince d’Adevar, n’arrivant pas à récupérer son souffle court. Des percussions jouaient à ses oreilles et frappaient ses tympans. Il voyait trouble.

Adevar ahana l’air frais qui se glissait contre ses côtes et remontait à ses narines. Guaril s’installa à ses côtés et ne tarda pas à venir loger la tête de son amant contre lui. Un léger sifflement perça le silence fragile de l’espace, indice du sommeil lourd du fils d’un des généraux les plus importants du Conseil. Son identité tiraillait Adevar.

Il ne parviendrait pas à s’endormir avant longtemps ; les pensées brutalisaient les parois de son crâne. Il voyait en boucle ce qui venait de se passer, récurrentes nuits qu’ils partageaient depuis quelques mois – ou années finalement. Et la peur ne le quittait pas. Il souffla un soupir agacé. Les bras de son amant se resserrèrent sur sa taille et la possessivité du jeune homme le frappa. Il ferma les yeux et posa ses lèvres sur la peau chaude.

Un frisson la traversa et se lia à ceux d’Adevar. Il n’avait pas le droit de faire ça. Il mourrait sans doute si cela s’ébruitait, sans parler du blasphème qu’il proférait à chaque mot ou regard. Il était un sacrilège vivant, lui qui ne devait vivre que pour sa patrie, il en trahissait le Dieu. Il tenta de s’endormir avant de céder à une crise de panique. Adevar mourrait d’envie de faire taire ces voix qui l’incitaient à se haïr, à se mépriser, il souhaitait sentir une seule fois le soulagement de savoir ce qu’il était et de savoir qu’il s’aimait.

Mais ce n’était sans doute pas possible.

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