Rennes : la police sépare deux mamies qui se battaient dans un cimetière

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Rennes, le 26 décembre 2015

Yvette,

Je souhaiterais te remercier pour l’aide que tu as apporté à toute la famille et plus particulièrement à moi, à la suite du décès de Paul. Je ne te cache pas que je me demande ce que j’aurais fait sans toi. La lente agonie de Paul, ces mois, ces années de souffrance inhumaines ont épuisé tant de choses en moi.

Je ne suis plus celle que j’étais et lorsque je ferme les yeux, à la place du sourire de mes proches, je ne vois et n’entends que le visage déformé de Paul et ses cris glaçants.

Tu étais aux premières loges depuis si longtemps que je dois te faire part de ma double gratitude : ton soutien pendant ces moments difficiles et bien sûr ton indéfectible amitié, ta présence récurrente auprès de nous, tandis que tant d’autres, de soi-disant amis nous avaient abandonné.

Toi, dont je n’étais pas si proche, toi, et j’y pense aujourd’hui avec le rouge de la honte au front, que j’enviai même un peu. Pour ta fortune, ta beauté, ta réussite et ta gentillesse que j’ai si longtemps crues de façade.

Jeanine, encore une fois merci. Merci pour tout. Les cris de Paul hanteront encore longtemps mes nuits mais leur dureté sera un peu atténuée par le souvenir de la douceur de tes regards.

Merci pour tout Yvette et sache que la maison te sera toujours ouverte.

Jeanine


Rennes, le 28 décembre 2015

Chère Jeanine,

Merci pour cette gentille lettre. Ton amitié me réchauffe le cœur, pourtant tellement refroidi par ces mois de souffrance et de douleur. Nous nous sommes, toi et moi, rapprochées alors que Paul nous quittait à petit feu. Ton époux était un homme bon, honnête, drôle, généreux, courageux dans son combat contre la maladie… Et joli garçon ! Tu ne m’en voudras pas de relever à quel point Paul était charmant, j’ai presque l’impression d’enfoncer une porte ouverte. Tu n’auras pas manqué de constater, pendant toutes ces années que vous avez passées ensemble, à quel point ton mari était charmant et charmeur… Je pense même que son petit regard qui frisait m’aura convaincu finalement de vous prêter ces quelques milliers de francs qui vous manquaient pour vous payer votre charmante petite maison de campagne près de Dinan. Difficile de lui refuser quoi que ce soit, n’est-ce pas ?

Je sais que tu as été comblée avec lui pendant ces 47 ans de mariage. C’était à l’évidence un homme qui rendait les femmes heureuses. Il me parlait tellement de sa vie, lorsqu’il m’apportait tous les mois les remboursements de ce prêt que j’avais été si contente de vous accorder. Pour vos projets, pour que vous entreteniez cette vie de couple qui était un modèle pour tous. Avec ses hauts et ses bas, bien sûr, comme tous les couples en connaissent… Il ne taisait pas les épreuves que parfois vous traversiez, les doutes qui parfois l’assaillaient… J’ai la faiblesse de croire que les petits secrets qu’il me confiait lui ont permis de mieux comprendre la nature de l’amour qu’il te portait… En tous cas, sache que nous partageons la douleur d’avoir perdu un être rare.

Je te plains sincèrement d’avoir dû vivre ces tristes mois auprès de Paul agonisant. Pour ma part, je me rappellerai des bons moments passés auprès de lui.

Avec toute ma sympathie.

Yvette.

Rennes le 30 décembre 2015

Ma chère Yvette,

La célérité de ta réponse n’a d’égal que sa gentillesse. Cela me va droit au cœur. Ta fidélité sans faille me soutient lorsque le courage me fait défaut en ces temps difficiles.

Puisque tu l’évoques, je tiens à saisir cette opportunité que tu ne manques pas de me tendre, pour te remercier pour ce prêt. Quelques milliers de francs dis-tu ? Certes mais si important, et que nous avons abordés tant de fois depuis, qu’ils me paraissent, avec le temps, considérables.

Je te sais gré de te souvenir de mon Paul charmeur et charmant et, au travers de quelques belles tournures de phrases de ta lettre, de me le faire revivre un peu tel que je l’ai connu et aimé. Mon Paul plaisait c’est certain, et m’a rendu heureuse, moi sa femme, cela va sans dire mais mieux en le disant.

Et, il est vrai que lorsqu’il rentrait de sa visite chez toi, qu’il appelait parfois, en plaisantant, sa petite corvée mensuelle, son humeur tendait à se teinter d’aigre-doux. Son soulagement laissait percer une petite pointe d’amertume. Amertume que je mettais sur le compte de notre dépendance financière, jamais agréable à subir. Et, je t’avouerais que c’est là le seul bas que nous ayons pu avoir pendant ces 47 ans. Le seul bas j’entends que nous ayons, Paul et moi, cherché à solutionner pendant si longtemps. Mais la fortune ne fut jamais nôtre et comme le rappelait mon Paul adoré : « tout le monde ne peut pas avoir hérité de son papa si actif pendant la guerre».

Je te souhaite une très heureuse nouvelle année. Et, tu ne t’étonneras pas si je te souhaite la santé d’abord car les bruits qui courent sur tes malaises de plus en plus fréquents, ne cessent de m’inquiéter. Je t’embrasse tendrement.

Ta Jeanine.


Rennes, le 31 décembre 2015

Jeanine,

J’espère me tromper quand, te lisant, j’ai perçu comme une sorte d’aigreur, pour ne pas dire de fiel. Je mettrai tes maladresses sur le compte de l’émotion due au deuil, à la perte de ton « Paul adoré ».

J’ose parler de fiel car tu laisses entendre que ma bonne fortune serait d’origine scabreuse. Mon grand-père a certes su être opportuniste, tout au long de sa vie et y compris lors des moments les plus sombres de notre histoire, mais notre argent n’avait pas d’odeur lorsque vous l’avez accepté. Accessoirement, ma grand-mère, quant à elle, n’a pas subi la honte d’une tonte de cheveux revancharde en 1945, ce qui n’est pas le cas dans toutes les familles. N’est-ce pas, Jeanine ?

Par ailleurs, les « petites corvées mensuelles » de Paul étaient aussi l’occasion pour ton charmant mari de me livrer quelques petits secrets dont il préférait te préserver. Car si mon prêt vous a servi à compléter votre apport pour l’achat de votre maison, c’est aussi parce que le salaire de Paul subissait quelques amputations mal maîtrisées. Les croupiers du casino de Saint Malo se souviennent encore de ton fichu sur la tête et de tes lunettes noires...

Je ne souhaite nullement entacher la mémoire de Paul de ces mauvais souvenirs – il n’y avait pas mort d’homme, tu me pardonneras la malheureuse expression à l’heure où Paul n’est plus parmi nous – mais juste remettre à sa juste place le concept de vertu dont tu sembles me priver quelque peu.

Je ne souhaite que ton amitié, Jeanine, mais celle-ci doit pouvoir survivre à quelques nécessaires mises au point, et dissiper ainsi tout malentendu. Je te crois peut-être encore trop fragile pour prendre la pleine mesure de tes propos (je n’en prendrai pas ombrage), et t’adresse tous mes vœux en cette nouvelle année qui finit si mal.

Yvette

Rennes, le 2 janvier 2016

Yvette,

Permets-moi d’espérer que ta lettre, datée du 31 décembre, a été écrite quelques heures avant les 12 coups de minuit. Que le fiel qui s’en dégage n’est dû qu’à l’absorption d’une dose inappropriée d’alcool. Alcool qui aura viré à l’aigre au contact de ta jalousie. Ou alors, comme le laisse entendre le petit Deluc dans tout le village, tu es passée à d’autres substances qui ont des effets plus inattendus.

Tes attaques contre mémé sont, au mieux injustes, au pire, diffamatoires. S’il n’y avait prescription, je serais allée déposer plainte. Comment peux-tu salir la mémoire de mémé Buron ? Comment aurait-elle pu dénoncer les Goldman, elle ne savait même pas qu’ils étaient juifs ! Elle savait par contre, que ton père et ton grand-père, baissaient le kepi bien bas lorsqu’ils rencontraient l’obersturmbannführer Boering. Enfin, quand je parle de ton père, je me comprends. C’est une formule de courtoisie. Courtoisie que je te témoigne encore, et je me demande bien pourquoi.

Quant au casino de Saint Malo que tu me jettes à la figure si indélicatement, encore faudrait-il savoir pourquoi j’y allai ? C’est qu’il me fallait bien trouver une échappatoire, prendre une respiration ou deux lorsque Paul revenait de ses visites à ton domicile. Une fois sur deux, il rentrait de chez toi en jurant tous ses grands dieux que « JAMAIS, je ne retournerai voir cette folle. Jamais ». Et moi qui prenais ta défense, oui ta défense quand je lui murmurais : « Je crois bien qu’elle a perdu un enfant alors elle n’est plus la même ». Et Paul, ce cher Paul, à qui il fallait parfois tout expliquer, qui finissait par se calmer et disait, plein de compassion pour toi : « Oui, bien sûr, si son mari l’avait su à son retour d’Algérie » … Comme tu le vois, Saint-Malo fut, pour tout dire, une conséquence de tes bienfaits, pas une cause.

J’en suis à me demander si l’amitié que je t’ai témoignée durant ces années n’est pas du simple gâchis. Un gâchis aussi grand que le mariage de Manon et Louis.

Considérant, dans un dernier effort, que ta lettre a été conçue en état d’ivresse, je te souhaite, malgré tout, une bonne année 2016. Je te souhaite notamment la santé, car avec ta condition et tes addictions, tu en auras bien besoin pour voir 2017.

Jeanine


Rennes, le 3 janvier 2016

Ma pauvre Mamie Roulette,

Tu permets que j’utilise le sobriquet que t’avaient attribué les croupiers de Saint Malo ? C’est tout ce que tu mérites après les insinuations dégueulasses – j’ose le mot, moi qui rechigne tellement à la vulgarité, mais tu m’entraines dans la porcherie de tes propos – concernant mon regretté papa, qui a autant protégé sa famille que son commerce. Et je ne relève même pas tes accusations laissant entendre que je serais une bâtarde : ma mère était une sainte, et elle a jusque sur son lit de mort vanté les mérites de mon père et de sa vigueur légendaire.

De même que sont dégueulasses tes suppositions concernant la perte d’un enfant illégitime… J’ai certes vécu ce drame, mais sache, puisque nous en sommes au grand déballage, que c’est Paul qui a trouvé la faiseuse d’ange et les aiguilles à tricoter ! Il te les aura surement empruntées, toi qui en avait une collection invraisemblable pour confectionner tes affreuses écharpes. Et cet enfant qui n’aura pas dépassé la taille d’une crevette, il aurait au moins assuré à Paul une descendance, toi qui était, je le cite, « infoutue de réussir une bonne cuisson, ne serait-ce qu’une fois dans ta vie ». Il t’appelait « sa génisse » : pas de grossesse mais le même regard bovin…

De plus, je t’interdis de t’exprimer sur Louis, mon fils chéri. Son mariage avec Manon est une épreuve de plus, car ta nièce Manon est du même bois que ta famille : fourbe, jalouse, prompte à la délation… bref une mauvaise fille. Une Buron, comme ta mémé. Manon mériterait elle aussi de se faire raser la tête pour avoir raconté au juge que Louis fraudait le fisc. Elle pourra se mettre sa pension alimentaire où je pense, car Louis n’est plus très disposé à lui verser de pension alimentaire… Pour ce qu’elle en ferait, en plus ! Sa passion pour la chirurgie esthétique lui permettra peut-être d’avoir enfin des seins fermes mais ne pourra rien pour son QI de batracien…

Enfin, tu pourras dire au petit Deluc de s’occuper de ses oignons, ou plutôt de se concentrer sur ses performances scolaires. Son instituteur m’a laissé entendre que ce môme battait des records de nullité. A se demander si ce morveux n’est pas de ta famille.

Je ne t’embrasse pas, et j’espère ne pas te croiser au cimetière dimanche.

Yvette

Rennes, le 5 janvier 2016

Ma pauvre tata buvette,

Parce que c’est comme ça que tout le monde t’appelle dès que t’as le dos tourné, et le coude levé. Ma pauvre, tu ne sais plus ce que tu dis. Tu as trop éclusé de gros rouge bas de gamme. Avec toute l’argenterie que ta famille a volé aux juifs, tu pourrais au moins t’enivrer au champagne mais non, tu salis deux fois leur mémoire en te saoulant à la Villageoise.

J’ai peine à croire que Paul ait pu t’engrosser, lui qui me disait toujours « Il y a tellement de crotte qui sort de sa bouche, qu’on n’est jamais sûr de pas parler à son fessier ». Par contre, qu’en pleine overdose de villageoise, tu aies joué ta roulure avec le plombier, le livreur ou ton petit Louis de fin de baquet, en fantasmant sur mon Paul, c’est fort possible. Que Paul, dans sa bonté infinie, ait eu pitié de toi et du petit débile à venir, je peux le comprendre et lui pardonne.

Et, eut-il fauté dans un moment d’égarement, que dis-je, de folie passagère, il est rassurant de constater qu’il se sera repris à temps et aura fait ce qu’il fallait pour débarrasser la planète d’un nuisible de plus. Imagine ce petit parasite aurait eu pour demi-frère ton petit Louis, dont la bêtise n’a d’égale que la méchanceté, pour grand-père, un sous Maurice Papon et une pochtronne nymphomane pour maman. Moi, je n’appelle pas ça une famille mais une déchetterie.

Je ne t’embrasse pas, la Manon non plus qui se réjouit de ne plus avoir à « manger en face de cette cloche alcoolisée. C’est plus une femme, c’est un fruit confit » dit-elle en s’éventant avec les billets qu’elle a soustrait à ton morveux.

Sache que j’irai rendre un témoignage d’amour à mon Paul ce dimanche, et qu’il est hors de question que je croise ta face perverse. Si tu passais outre ma volonté, mon sac te rappellerait à tes devoirs.

Je ne te salue pas, ne t’embrasse pas et ne veux plus rien avoir à faire avec toi ou toute ta clique de dégénérés.

Je te souhaite malgré tout une bien bonne cirrhose,

Jeanine


Pour la réalité, c'est par là :

http://www.20minutes.fr/insolite/1438539-20140907-rennes-deux-mamies-battent-cimetiere


Cette nouvelle a été écrite à quatre mains avec mon camarade Antony Foret.

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