La chimère

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On n’y voyait goutte. L’immense grange était plus enténébrée que la nuit abandonnée à la porte. Seul le souffle d’air chaud lui ébouriffant les cheveux à chaque expiration de l’énorme animal indiquait que le tauraigle était bien là. Comment le localiser dans ce four trop moite ? Était couché ou debout ? N’attendait-il qu’un geste de l’intrus pour l’encorner sur les poutres, trente mètres plus haut ? Gil Marchauvent ne se sentit subitement plus l’âme d’un héros. Toutefois, il fit glisser ses bottines sur le sol, chassant les quelques brins de paille en silence, attentif aux bruits, à la respiration régulière. Il tendait un bras, de l’autre balayait l’espace, un peu en hauteur, désirant, tout en le redoutant, le contact rêche du poil. Il refusa la peur, avança, mécaniquement. C’était peut-être ce qu’il lui restait de mieux à faire. Entre ça ou être pendu pour un larcin qu’il n’avait pas commis… Puisqu’on le traitait de voleur, eh bien il allait voler ! Plus qu’un espoir, c’était un rêve qu’il s’offrait. Puis, devant lui, chassant ses pensées, la chaleur d’un corps, comme un feu sans flamme. Elle l’attira comme les brasiers de l’été hypnotisaient les phalènes. Son cœur tambourina un affolant message. Il s’aperçut qu’il oubliait de respirer, se força à remplir ses poumons de l’odeur musquée oppressante. Il était en sueur, mais n’avait plus le choix. Le souffle de l’animal lui collait maintenant les cheveux sur les oreilles. Avait-il tourné la tête pour suivre son visiteur ? Voyait-il dans le noir ? Gil eut peur, tout-à-coup. Personne n’avait dit que le tauraigle était nyctalope. Le jeune garçon se sentit démuni. L’autre voyait, lui non. Déjà qu’un adolescent de quatorze ans ne faisait pas le poids face aux quatre-vingt tonnes de la chimère, qu’est-ce qu’il lui avait pris de s’embarquer dans l’aventure ? Son corps refusa de répondre au dilemme proposé. La fuite ? Il ne pouvait en être question. Avancer ? Puis quoi, encore ? S’arrêter n’était pas mieux à l’ordre du jour. Il ne restait pourtant qu’une seule issue. Un pied timide, sans volonté consciente, s’aventura en direction de la masse invisible. Gil balança doucement un bras, buta contre quelque chose. Probablement l’une des chaînes entravant le tauraigle. On disait qu’elles pesaient le même poids que l’animal, vingt tonnes par patte. Elles avaient été fondues au Kao Lun par les moines maîtres-forgerons habiles à tirer du fer des épées légendaires. Il avait fallu quatre voyages pour les transporter auprès du tauraigle endormi sous la magie du vieil Arkan Darbiss. Quatre chariots tirés par les huit dragons seigneuriaux, attelés ensemble, chose jusqu’alors jugée improbable. Mais nécessité fait loi. Le vieil Arkan en était mort d’épuisement. Depuis, aucun sorcier, ou mage, n’avait été capable de lui arriver à la cheville. L’art d’Arkan s’était perdu dans la terre de Chinor où il avait été enterré. Au moins, s’encouragea Gil, il n’y aurait personne pour l’arrêter une fois le tauraigle délivré.


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