Dernière manche

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Elle était d'une vivacité surprenante ! Frappés, dégagés, tirés droits, fentes s'exécutèrent sans retenue, sans pause, sans hésitation. Trump parait à grand peine, gauchement. L'acier frottait contre l'acier, résonnait, s'éparpillait en étincelles. Elle se pencha à gauche, Trump écarta le bras, elle fit glisser sa lame contre la sienne, avec une force telle qu'il se laissa emporter, sans défense. La lame revint, s'approcha du flanc, trancha la chemise, la chair, laissa jaillir le sang. Reprit par l'instinct de survie, l'américain ramena son épée pour attaquer le côté gauche de la reine. Elle s'écarta du danger en se baissant sur ses jambes. Le fer passa au-dessus de son diadème. Elle fit faire un demi-cercle rapide à son épée, la ramena vers le haut en même temps qu'elle se relevait. Le fil sectionna la graisse du ventre, les pectoraux, le triceps, s'arrêta finalement sur l'humérus. La douleur le fit reculer, trébucher une nouvelle fois. Ils étaient tous les deux essoufflés mais Trump, à genoux, était en piteux état alors que la reine conservait son regard noir, son masque dur et son port altier et royal. Entre deux respirations rauques, Trump demanda :

— Mais comment vous fucking faites ?

Avant même qu'elle ne puisse réponde, il appuya sur ses jambes, bondit dans sa direction, la main armée en avant, hurlant dans ce dernier effort toute sa rage de survie. Bien que prise par surprise, l'action était trop grossière. La reine fit un pas de côté, Trump la dépassa, elle leva le bras, le regard américain changea, elle rabattit sa lame, le corps s'effondra dans un bruit sourd. Le sang s'écoula quelques instants puis stoppa, le temps que le cœur comprenne qu'il ne servait plus à rien de battre avec une moelle épinière tranchée au niveau du cou. La reine se tenait debout, la pointe de la lame au sol, la main sur la garde et elle répondit à la question du mort dans un cri de fierté :

— Dieu et mon droit !

Il y eu un instant de silence stupéfait. La vieille monarque avait défait son opposant. Puis, les citoyens éclatèrent d'une joie enfantine et bruyante. Les gardes du corps réussirent à franchir le cordon des soldats à cheval, se précipitèrent sur le corps sans vie de l'américain et l'emportèrent. Oublieux de tout, Philip s'élança vers sa femme, puis la prit dans ses bras, la serra contre lui, heureux qu'elle puisse encore l'accompagner pour les années à venir. Il lui fallut quelques secondes pour réaliser qu'il serrait aussi une armature de métal, si fine qu'elle pouvait se mettre sous les vêtements sans se voir. Il la pressa une dernière fois entre ses bras puis recula d'un pas.

— Tu vas avoir un sacré problème diplomatique.

— À mon âge, s'il faut abdiquer pour calmer cela, ce n'est pas un problème. Il n'y aura plus que nous deux. Nous irons habiter au château de Balmoral et nous finirons notre vie doucement.

— Sais-tu que je t'aime, Lilibeth ?

L'évènement fit sensation : un duel à l'épée en cette ère où apparaissait les premiers fusils à propulsion électromagnétique, le combat d'une quasi-centenaire contre un président âgé certes mais en pleine forme, le coup de maitre de la reine, tout cela contribua à un élan de popularité mondial. Partout sur la planète, au Royaume-Uni même : à Londres, Birmingham, Manchester, Leeds, Édimbourg, Belfast ; non loin en Europe à Dublin, Madrid, Rome, Paris, Berlin, Prague, Moscou ; en Asie aussi avec Pékin, Tokyo, Séoul, New Delhi, Bangkok ; de l'autre côté de la planète à Sydney, Wellington, Nouméa, Suva ; en Afrique encore à Rabbat, Alger, Le Caire, Khartoum, Pretoria ; au Moyen-Orient, à Riyad, Ankara, Bagdad, Beyrouth et sur les continents américains enfin ! Rio de Janeiro, Buenos Aires, Santiago, Sucre, Panama, Mexico, Ottawa ; et même aux États-Unis, à Washington, New York, Miami, San Francisco, Los Angeles, Seattle ! Partout, dans le monde entier, dès que la nouvelle arriva, une marée de joie et de célébration monta. Ceux qui était éveillés restèrent debout, ceux qui dormaient se levèrent, tous cherchèrent des drapeaux, des cotillons, des bougies, des fleurs, des confettis, des feux d'artifice. Tous célébraient la fin de celui qui menaçait la paix mondiale, tous les peuples étaient pour une fois réunis.

L'administration américaine lança des menaces, réclama réparation, prépara ses armées, rappela la réserve, programma de nouvelles destinations aux missiles et aux ogives nucléaires. Les porte-avions changèrent de cap, les sous-marins se dirigèrent vers l'île britannique. La reine offrit son abdication pour préserver la paix mais l'élan populaire les firent tous reculer : la déclaration de guerre s'annula, la reine conserva son trône.

— Je crains de ne pouvoir aller prochainement à Balmoral avec toi, s'excusa-t-elle auprès de son époux le jour où elle apprit la nouvelle. Je vais avoir encore du travail. Je vais essayer de profiter de cet élan de sagesse pour améliorer le monde.

Philip posa son regard sur elle et la détailla. Il vit une petite dame fragile, à la peau ridée, qui n'avait pas toujours la force de lever les objets, dont la main commençait à trembler. Il avisa aussi des yeux vifs, pétillants d'intelligence, aussi brillants qu'au premier jour, vibrants de la force du devoir et de l'espoir naissant. Alors, il sourit tendrement, posa sa grande main sur la sienne et dit d'une voix douce :

— Je t'attendrai Lilibeth.

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