Prélude de la chute

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La foule s’amasse devant le balcon. Les murmures se font de plus en plus bruyants. Tout le monde se demande pourquoi le Seigneur a convié la population. Toutes les rumeurs se taisent quand le souverain fait son apparition. Vêtu d’une longue cape noire et ample sur une armure de couleur sombre, ses cheveux blancs tombent en cascade sur ses épaules, et ses yeux rouges, injectés de sang, lui donnent un air malade. Pourtant, s’il paraît faible, le peuple a maintes fois eu la preuve du contraire. De son couronnement, quand il a tué le précédent roi lors d’un duel singulier, ou même lors du siège de la ville portuaire où il a combattu avec rage, les ennemis de son peuple.

Seulement, aujourd’hui, son aura est plus faible. Son teint est encore plus pâle que d’habitude et il tremble légèrement, marchant avec difficulté et devant se tenir à une canne. Il s’arrête au balcon et pose une main dessus. Celui-ci se trouve à plusieurs mètres de hauteur, surplombant la foule et offrant au souverain une vision dégagée de ses sujets.

Il sourit et se dit que c’est bien la première fois qu’il rassemble autant de monde autour de lui, depuis son intronisation. Le peuple des Elfes Noirs a l’habitude d’être séparé, d’être tout sauf solidaire. Pour lui, il est temps que tout cela change. Il veut rassembler les siens sous une même bannière, sous un même combat. Il commence à parler, tandis qu’il a l’attention de la population toute entière :

 - Mon cher peuple ! Mes chers amis ! Je vous remercie d’être si nombreux aujourd’hui.

Il se met à tousser bruyamment et l’un de ses conseillers vient le soutenir. Il le rejette d’un geste de la main et reprend son discours :

 - Comme vous le savez, certains des nôtres sont traqués, tués et massacrés par les autres races. Sous prétexte que nous aurions volé toute la beauté de ce monde, les autres se croient tout permis envers nous. Ils pensent que vu que nous sommes beaux, nous sommes faibles, que cette beauté que nous a donnée la Déesse nous rend misérables ! Ils se trompent !

Le souverain balance sa canne à terre et se redresse comme s’il avait trouvé une nouvelle force, qu’une nouvelle jeunesse commençait à germer dans son corps de roi. Il se met à parler d’une voix forte et assurée que le peuple ne lui a connue qu’une fois, lors de son intronisation :

 - Aujourd’hui est un nouveau jour. Aujourd’hui est le jour où notre peuple ne se fera plus marcher sur les pieds ou massacrer ! Le don que nous avons reçu ne doit pas être une malédiction, nous ne devons pas fuir par peur d’être traités comme des objets ! Nous devons nous battre ! Nous devons prouver que nous sommes une race à part entière ! Pour nous, mais aussi pour la Déesse Aphrodite ! Le temps est fini de se cacher ! La Guerre contre tous ceux qui nous ont fait du mal… est déclarée !!!

Il finit sa dernière phrase en hurlant presque. Le peuple l’observe sans comprendre tout d’abord. Puis, les souvenirs de ceux tués, massacrés reviennent à leur mémoire et ils scandent, tous en chœur, le nom de leur souverain. Les maux de la guerre résonnant en eux comme une psalmodie les conduisant à la vengeance. Le roi sourit et regarde le ciel, adressant une prière secrète à la Déesse. Puis, il intime son peuple à se préparer pour la guerre. Le lendemain, les contrées voisines seront envahies et commenceront les massacres vengeurs.

Le souverain prend congé et entre à l’intérieur du château. Ses gardes le laissant, il tombe nez à nez avec son frère cadet. Celui-ci l’observe à travers des yeux d’un noir intense. Il dispose d’une peau beaucoup plus hâlée que celle de son frère et son armure est celle d’un soldat lambda et non d’un noble.

 - Comme toujours, tu refuses de porter l’armure du château, lui dit le roi.

 - Tu sais très bien pourquoi. Je ne te reconnais toujours pas comme le véritable roi de ce pays.

 - Parce que j’ai tué le précédent ? Écoute, c’était un combat à la loyale et tu le sais !

 - Pas pour ça non. Pour ce que tu t’apprêtes à faire. Partir en guerre contre les autres, c’est de la folie !

Le souverain s’approche à quelques centimètres de son frère et s’exclame :

 - Les autres nous ont tout pris ! Ils doivent payer !

 - Les Lycans ne nous ont rien fait. Leurs forêts entourent notre pays.

 - Et ? Soit ils se rallient à nous par la force, soit ils seront exterminés comme tous les autres. Ils verront que les Elfes Noirs ne sont pas de simples victimes !

 - Tu sais très bien qu’ils ne pensent pas ça. Les souverains des autres races nous ont en respect. Tu vas gâcher tout ce que le précédent roi avait mis en place.

 - Le précédent roi était un lâche. Faisant des ronds de jambe aux autres seigneurs. Il déshonorait le nom même de notre race. Laisse-moi faire et tu verras. Nous aurons le monde à nos pieds !

 - Je préfère te prévenir, mon frère. Quand tu reviendras ici, ne t’attends pas à trouver porte ouverte. Quand tu partiras, ce sera la dernière fois que tu fouleras de ton pied souillé, le sol de ce pays.

 - Quand je reviendrai ici, tu t’agenouilleras devant moi et reconnaitras ma puissance ! Fais le souverain en tapotant l’épaule de son frère.

Quelques années plus tard, un Elfe Noir rampe jusqu’au pont qui permet de rejoindre son pays. Néanmoins, il est bloqué. Il ne peut pas avancer davantage. Il se relève, péniblement, tenant la blessure qu’on lui a infligée au torse et qui saigne abondamment. S’il n’arrive pas à entrer, il ne pourra pas guérir. Il tambourine sur la fine pellicule qui lui barre le chemin. La barrière ne bouge pas d’un pouce. Seulement, il voit un mouvement un peu plus loin. Une silhouette s’avance dans la pénombre et quand le souverain la voit, il sourit et se sent délivré.

 - Petit frère, si tu savais comme je suis content de te voir ! Laisse-moi entrer, s’il te plaît.

Le petit frère reste bras croisés dans le dos, observant de haut son frère, tandis qu’il porte la cape royale. Il toise du regard l’ancien souverain du royaume qui a instigué cette guerre. Il finit par soupirer et dit d’une voix méprisante :

 - Dix mille… Dix mille hommes et femmes que tu as emmenés à la guerre. Dix mille hommes et femmes que tu as tués ! Ils sont morts pour satisfaire ta lubie extravagante ! Si certains nous méprisent, c’est uniquement de ta faute…

Le souverain le regarde sans trop comprendre. Puis, il tousse et se met à cracher du sang. Il n’en a plus pour longtemps, il doit entrer. Il doit profiter de la bénédiction qui va lui permettre de guérir sur sa terre natale.

 - Laisse-moi entrer, je t’en supplie…

 - Je t’avais prévenu. Si tu partais, ce serait la dernière fois que tu poserais ton pied dans notre pays. Pendant que tu faisais couler le sang, j’ai fabriqué cette barrière, empêchant quiconque d’entrer ou de sortir. Tu ne guériras pas. Tu ne reviendras pas aux commandes. Tu ne reviendras jamais dans ce pays… Je suis désolé, mais c’est pour le bien de tous. Je dirais que tu es mort au combat…

Le souverain ouvre de grands yeux surpris et terrifiés à la fois. Il hurle et tambourine sur la barrière de toutes ses forces. Implorant la pitié, la clémence de sa famille. Son petit frère l’observe d’un regard méprisant, puis détourne les talons et s’en va. Alors, l’ancien souverain crache encore plus de sang et met une main sur la barrière, tombant à genoux, puis face contre-sol, imbibant la terre de son sang.

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