Chapitre 5 - Cathleen

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 Je ne dis rien pendant un long moment en regardant ma chambre. Ma mère était repartie pour s’occuper d’aller préparer mon appartement pour s’y installer. J’observais la chambre avec attention. Bon… J’avais beau adorer la neige et sa blancheur, le contexte n’étant pas le même, ce blanc-là me semblait mortuaire. Cathleen ! Il ne fallait point penser de la sorte. Je pris une profonde respiration pour me calmer avant d’expirer profondément. J’avais déjà eu une première petite opération pour préparer une veine pour y mettre le cathéter. Le seul avantage que je pourrais voir à cette situation était le droit de porter un pyjama en pilou-pilou Snoopy en permanence. C’était vrai que dit comme ça, il me semblait qu’il y avait beaucoup de situations plus agréables dans la vie qu’être ici. Enfin, je ne resterai point ici éternellement. C’était sûr. J’allais guérir et repartir à ma vie d’avant. Même si je savais que cela serait long. Mais ce n’était pas grave, j’avais juste à attendre quelques mois et d’ici juillet au grand maximum je serai sortie. Je pourrai profiter de vacances d’été à la mer avec ma famille. Ça serait très agréable. J’imaginais déjà la chaleur du soleil sur ma peau, la fraîcheur de l’eau, le goût de la glace… Tout cela… Un petit sourire étira doucement mon visage alors que mon regard était rivé vers le sol. Je relevais le visage pour observer la petite fée qui me rendit un regard confiant depuis son perchoir en branche. La Fée Protectrice.

 « Tu vas me porter chance j’espère ?

- Tu parles toute seule princesse ? »

 Je relevais la tête avec un petit sourire. Azelie. Son sac négligemment jeté sur son épaule, entra dans la petite chambre. Elle se pencha et je la laissais poser ses lèvres sur les miennes. Naturellement, un sourire plus large monta à mon visage. Doucement elle passa ses doigts sur mon crâne rasé. Elle finit par se reculer pour me regarder avec attention. Je soutins en silence son regard avant, d’un humble mouvement de main, de l’inviter à s’asseoir sur la chaise en plastique blanchâtre. Son sac émit le bruit d’une enclume en fonte lorsqu’elle le lâcha sur le sol sans douceur. Je restais simplement assise sur mon lit les yeux plus ou moins dans le vague.

 « T’as pris Passiflore ?

- Oui, je ne pouvais point me résoudre à partir sans lui. Il me faudra de la compagnie la nuit.

- J’aimerais pouvoir le remplacer t’sais ?

- Je le sais. Mais je crains qu’il n’y ait point de lit double.

- Très drôle princesse. »

 Je ne rajoutais rien et observais à nouveau la petite fée. Le reflet du miroir me renvoyait une jeune fille au crâne rasé et aux yeux clairs. Je sentis plus que je ne le vis Azelie s’agiter. Je reportais le regard vers elle en l’interrogeant silencieusement.

 « J’aime pas.

- Quoi donc ?

- Te voir avec le crâne rasé… Fin… j’sais que t’es malade. Mais l’savoir et te voir… avec une perfusion, l’crâne rasé, en pyjama à c’te l’heure là… Bah ça installe vraiment l’fait que t’es malade… Tu vois ?

- Je comprends. C’est étrange pour moi aussi. Enfin, j’aurais à nouveau de beaux cheveux comme la petite fée. »

 Azelie eut un ricanement et observa avec attention la fée posée près de moi.

 « William ? Tu veux la même coiffure ?

- Pourquoi non ? C’est joli toutes ces tresses non ? Tu ne trouves pas ?

- J’m’en fous du moment que je peux passer mes mains dans tes cheveux. »

 Je tendis la main pour serrer doucement la sienne avec un sourire doux. Elle se leva et m’attrapa pour me serrer fort contre elle. Je sentis ses lèvres effleurer mon oreille.

 « Jure-moi encore qu’t’vas lui faire sa fête à cette saloperie, jure-le-moi qu’t’vas t’en sortir et que cet été on ira se dorer sur la plage ensemble.

- Je te le promets. »

 Je ne pouvais rien dire d’autre, je souhaitais aussi tenir cette promesse et je réussirai à le faire. C’était absolument hors de question que je fasse autre chose. Je tenais à réussir ma vie. J’enlaçai Azelie pour enfouir mon visage dans son cou et respirer son parfum. Je croyais que j’allais lui demander un t-shirt ou quelque chose avec son parfum. C’était peut-être quelque chose de purement enfantin… Mais cela me rassurerait un peu. Je soufflais doucement à ma petite amie :

 « Je t’aime. »

 Je la sentis frémir également. Il fallait dire que mes démonstrations d’affections pouvaient être particulièrement rares… En seule réponse je la sentis m’étreindre plus fort et me relâcher après quelque temps. Je lui fis un simple sourire et glissais une mèche de cheveux derrière son oreille. Elle sourit et posa Passiflore sur mes genoux.

 « Combien de temps ?

- Le spécialiste a dit… trois à quatre mois. Je ne pourrai point passer les partiels, mais j’aurai un joli certificat médical.

- Et en béton armé en plus. Bien joué, coquine. »

 Elle passa son bras autour de ma taille et posa sa tête sur mon épaule. D’un geste qui venait d’elle, je démêlais en douceur ses tresses entre elle et je sentis son sourire s’épanouir sur ses lèvres. Bientôt elle pourrait refaire ce geste, mais en attendant, elle prit le mien et porta mes doigts à ses lèvres. Je restais silencieuse un moment avant de reprendre.

 « Au fait le cours de latin ?

- Rosa, Rosa, Rosam, Rosae, Rosae, Rosa. Rosae, Rosae, Rosas, Rosarum, Rosis, Rosis. Magique hein ?

- Comme toi, ma petite fée. Tout le monde va bien ?

- …Je sais pas si je dois t’étrangler ou non… Bordel ! Cath ! T’es à l’hôpital, t’es malade… Et tu demandes comment vont les autres ! Tout le monde va bien ! OK ! T’as pas besoin de te faire des cheveux blancs pour ça ! »

 Je haussais un sourcil moqueur, j’en profitais d’en avoir encore un peu, et Azelie se figea dans son agacement avant de rougir. Je lui souris avec tendresse.

 « J’adorerais que tu me donnes des cheveux blancs Azelie. »

 Je la vis rougir jusqu’aux oreilles et un petit rire me secoua. C’était en réalité très facile de la faire devenir pivoine. Je n’étais pas réellement démonstrative… Mais malheureusement pour elle, quelque part… j’étais jalouse quand je voyais d’autres femmes ou hommes s’approcher d’elle avec d’autres intentions qu’amicales. Mais promis, je me soignais. Et plutôt deux fois qu’une. Elle finit par se secouer et plonger sa main dans sa poche.

 « Anna m’a filé ça pour toi… Tu sais elle et les hôpitaux

- Disons qu’elle en a assez vu la couleur pour quelques dizaines d’années.

- Et toi ça sera bientôt comme elle ? Pas question d’entrer dans un hôpital sauf en cas de force majeure ? »

 Je hochais la tête et frottais doucement la tête de la peluche que je tenais contre mon ventre. Je souris doucement et pris la petite lettre d’Anna. Ce n’était qu’un petit mot de soutien pour moi, elle avait dû l’écrire en vitesse, d’habitude sa calligraphie était impeccable, là, c’était un peu plus brouillon. Mais l’attention était louable, j’aimais ces petits mots. Je me souvenais, quand elle était partie en vacances au Vietnam, elle nous avait envoyé à chacun des petits paquets avec plein de petits mots, même sur le carton. C’était ainsi, elle préférait écrire qu’autre chose. C’était aussi une manière de faire. Et je savais que c’était ce qui avait fait craquer William. Je repliais doucement la lettre et la déposais sur la table, près de la petite fée. Azelie m’embrassa la joue et je regardai l’heure avec attention avant de caresser doucement sa joue.

 « Tu devrais y aller… Tu vas être en retard.

- Arrête de penser dix minutes aux études, OK ? Si tu redoubles, c’est pas grave.

- Je pense à toi surtout.

- Arrête, pense à toi ma chérie, repose-toi, et fais attention. Et tu obéis aux médecins. D’accord ma chérie ?

- Oui. »

  Elle sourit satisfaite et m’embrassa avec douceur avant de se lever lentement, je n’arrivais pas à la lui lâcher. Elle y déposa un baiser et avec un geste douloureux je lui lâchais la main. Elle me fit un petit signe de la sienne avant de partir. Je sentis ma gorge se serrer quand la porte se referma. Je mordis de toutes mes forces les oreilles de ma peluche pour ne pas me mettre à pleurer. Je ne devais pas pleurer. Je fermais étroitement les yeux en respirant à fond. Il ne fallait point que je pleure, c’était hors de question. Ce n’était point une question de fierté… Du moins je n’en avais pas l’impression. Mais pleurer cela signifiait aussi que la maladie pouvait gagner. Et ça… je me le refusais. La maladie n'allait pas gagner si… facilement ! Je respirais profondément en passant une main sur mon crâne lisse. Cela aussi était parfaitement étrange. Je n’aimais pas du tout cette sensation, en plus, j’avais froid au crâne. Je revins m’appuyer sur mes oreillers et pris mon portable pour envoyer rapidement un message à ma mère pour lui demander de me ramener un bonnet. Il ne manquerait plus que j’attrape un rhume à cause de ça…

 Je respirais profondément avant de me lever en lâchant l’oreiller pour m’approcher de la fenêtre. Au moins j’avais une jolie vue sur le grand parc de l’hôpital. Même si actuellement il faisait gris et une bruine tombait. Cela en était quelque peu déprimant, cependant, au point où j’en étais, un peu plus un peu moins… J’aurais pu sans doute rire un peu, mais le cœur n’y était pas. Et je n’étais point une personne sarcastique. Il y avait, malgré tout, quelques personnes dans le parc, bravant la fine pluie, qui se promenaient. Pourquoi pas… Je ne supportais déjà plus la chaleur de l’hôpital. Ou alors c’était uniquement l’odeur des médicaments qui me rendait malade. Dans un hôpital c’était cocasse. Ah non ! Cath, il ne faut pas être cynique ! Il fallait que je reste positive. Simplement positive. Je respirais profondément en observant quelques gouttes glisser le long du carreau. Le verre était froid sous ma main. Je finis par pousser un soupir plus profond avant de revenir m’asseoir sur le lit. Je tendis la main pour tirer à moi la tablette avec mon ordinateur installé dessus. Je l’allumais en tournant un stylo entre mes doigts, je ne savais pas rester tranquille. En patientant que l’ordinateur s’allume, j’observais avec attention la petite fée de William. Mmh… Je tournais à nouveau le regard sur mon ordinateur et la photo en fond d’écran me fit sourire. C’était Azelie et moi entrain de sourire à la vie, visiblement à la plage pendant l’été. J’aurais pu dire que nous étions encore que des enfants, j’étais encore à peine âgée de dix-sept ans et elle tout juste de dix-huit. Mais je crois que pour nous, l’enfance allait se finir… quand nous serions dans la tombe. Après tout, être jeune, c’était dans la tête. J’ouvris, et cela malgré l’interdiction d’Azelie, mes dossiers de cours. Je n’avais pas envie de prendre de retard, si bien que je me mis à travailler malgré mon manque de concentration. Agacée par les bruits du couloir, qu’est-ce qu’un hôpital pouvait être en réalité bruyant, je finis par mettre un peu de musique. Un grand classique pour moi, je ne m’en passais jamais : un peu de Powerwolf pour se détendre.

Je m’arrêtais de temps à autre pour observer avec attention les gouttes d’eau glisser sur la vitre. Mon regard se porta sur la porte lorsque l’infirmier entra dans la chambre, je coupais immédiatement la musique. Il me sourit et s’approcha avec un plateau.

 « Bonsoir, c’est l’heure de manger ! »

 Je consultais l’heure avec étonnement. Dix-huit heures. Il était déjà l’heure de manger ? Mais à cette heure-là je rentrais chez moi, je sortais de cours ou bien j’allais rejoindre Azelie. Je ne mangeais jamais à cette heure… C’était si étrange… Je repoussais mon ordinateur.

 « Est-ce que… je vais manger tous les jours à cette heure ?

- Oui, bien sûr. Vous n’avez pas faim ?

- …Je… Je ne sais point… Je ne mange point à cette heure d’habitude.

- Je me doute bien, haricots verts, steak et des pâtes. Ça vous convient ?

- Oui. Vous pouvez me tutoyer. »

 Il s’approcha en soulevant le plateau pour l’installer face à moi avec les couverts. Cela avait l’air plus appétissant que certains repas au CROUS. J’étais cependant quelque peu mauvaise langue. Au CROUS au moins j’avais mes amis et ma petite amie avec qui manger. Ici je n’avais que la compagnie de Passiflore. Mais c’était déjà quelque chose d’important d’avoir cette peluche contre moi, la solitude au moins n’était pas trop forte, cela avait quelque chose de rassurant. Il me sourit et finit de me servir un verre d’eau.

 « Vous vous appelez comment ?

- Jean, mais tu peux me tutoyer aussi, on risque de se voir souvent tu sais ?

- Je le sais bien. Et j’ignore si cela est une bonne nouvelle. Fis-je tout doucement en soutenant son regard derrière ses lunettes.

- Je t’avouerai ne pas trop savoir quoi te dire. Tu n’aimes pas ma tête ? »

 Je l’observais avec une attention nouvelle, il avait l’air très gentil, immense, oui, avec des cheveux blonds mi-longs attachés en catogan et ses lunettes noires, il avait l’air d’un gros nounours. Un peu du même genre que William et avec sûrement peu d’années de plus. Je souris.

 « Si. Tu ressembles un peu à un ours en peluche.

- Je vais prendre ça bien. C’est un compliment j’espère ! Il avait un ton joyeux.

- Mon meilleur ami a un petit air de Grizzly… Alors oui ! »

 Il sourit et se pencha sur mon ordinateur avec intérêt. Je l’observais sans comprendre. Ce n’était qu’une page de PDF de mon cours magistral sur l’histoire contemporaine avec à droite de l’écran le dernier clip vidéo de Powerwolf.

 « Tu es en fac d’histoire ?

- Oui, troisième année de licence.

- C’est cool ! Je te conseille Angel de Theory of Deadman. C’est plutôt pas mal comme groupe, très différent de Powerwolf… Mais sympa aussi. Allez, j’ai d’autres repas a livrer. Je repasserai plus tard pour reprendre le plateau. »

 Je lui souris et l’observais partir avant de prendre un cliché de mon repas et de l’envoyer à Azelie avec un petit mot.

« Tu pourras me prendre quelque chose à grignoter quand tu repasseras s’il te plaît mon amour ? Comme du chocolat ou des noix de cajou. Sinon je tiendrais pas toute la soirée. Merci ! Je t’aime.

Cathleen »

 Bien cela était fait. Je plantais ma fourchette dans les légumes avant de commencer à les manger. Au moins, c’était meilleur que le CROUS il fallait l’avouer. Mais l’arrière-goût de la solitude tapissait ma gorge me rendant le repas difficile à avaler. Je tournais la tête vers la petite fée qui me rendit un regard espiègle.

« Je te protégerai »

 Les mots de William me revinrent en tête. Il me l’avait juré au creux de l’oreille il y a des années. Et plus d’une fois il me l’avait répété. Il me protégerait. Pour que jamais je ne sois triste, pour que jamais je ne souffre à cause de quelqu’un, pour toujours me voir sourire. C’était ce qu’il me jurait toujours, encore et encore. Et lorsque je pris la petite fée et que pour la première fois je retournais le dessin je vis sa calligraphie au dos

« Je te protégerai jusqu’à ce que la mort nous sépare. »

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