Chapitre 3 - Cathleen

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 Dès que Azelie fut loin, je plongeais ma main dans mon sac pour en sortir une enveloppe et la retournai. Mon cœur eut un petit hoquet en voyant l’expéditeur. L’hôpital. Cela devait être le résultat de mes analyses. Avec difficulté j’avalais ma salive avant de glisser la lettre dans ma poche. Je l’ouvrirais une fois dans l’amphithéâtre. J’avais les mains qui tremblaient un peu et je m’abritai derrière mon ordinateur pour éviter que d’autres ne le remarque. Du bout de l’ongle, je l’ouvris délicatement et dépliai le papier. Mon regard parcouru les lignes inscrites une à une. Je sentis comme une main invisible agripper ma gorge et serrer lentement. Ils avaient déjà programmé un rendez-vous. Demain matin. Je repliai avec lenteur le papier pour le glisser dans mon portefeuille. Je secouai la tête. Aller. Tout irait bien. Je n’avais pas de raison de m’inquiéter ! J’étais jeune ! J’avais toute la vie devant moi, ce ne serait pas ce rendez-vous qui marquerait la fin de ma vie ! Non, cela devait juste un rendez-vous de routine pour me dire ce que je devais faire pour être en forme pour mes partiels. Je secouai la tête avant de déposer mes doigts sur mon clavier. Mes yeux captèrent la chevelure ébène d’une étudiante devant moi. Ils ressemblaient presque à une longue bande de velours qui glisse délicatement dans son cou. Je préférais malgré tout me concentrer sur le cours, qui ne commençait point, le professeur ayant du retard. Je me penchai donc vers une de mes camarades.

 « Excuse-moi, pourrais-je te déranger une seconde ?

- Ouais, pas d’soucis, qu’est-ce qu’il y a Cathleen ?

- Demain je ne serais point en cours. Accepterais-tu de me prêter tes cours pour que je ne sois pas en retard ?

- Ouais ! Pas d’soucis. T’es sur le groupe de Facebook ?

- Oui.

- OK, j’te les passerais par là.

- Merci !

- J’t’en prie ! »

 Je repassai une mèche de cheveux derrière mon oreille avant de me tourner à nouveau vers le professeur. La rythmique des doigts tapant sur les touches des claviers prit rapidement place pour soutenir le chant du savoir du professeur. Parfois un nouveau thème s’élève brièvement lorsqu’un élève posait une question. Mes doigts ne s’arrêtèrent pas, dansant une valse endiablée durant quatre heures de cours. Mon portable m’indiqua sa présence d’une vibration, agacée, je le glissai dans mon sac sans le regarder, je n’aimais point cela. Je continuais d’écouter attentivement avant de ranger mon ordinateur et de quitter l’amphithéâtre en faisant craquer ma nuque. J’allais récupérer rapidement un sandwich au premier distributeur venu et grimaçai un peu, thon et œuf dur, ce n’était pas réellement ma saveur favorite. Je ressortis mon portable pour consulter mes messages. Azelie.

« Hey ma rousse ! Comment ça va ? Je sais que tu viens pas manger à midi, j’suis troooooooooooop triste ;(;(;(. Au fait tout va bien ? T’avais l’air dans la lune dans le tram ce matin !

- Coucou ! Ça va et toi ? Ne t’inquiète pas trop ! J’ai pris à manger et on se voit ce soir, promis ! Oui, tout va très bien, je repensais juste à mes partiels. Bisous :* »

 Je glissai à nouveau mon portable dans mon sac avant de rentrer dans la salle pour le cours optionnel. Je m’installais au fond et rouvris mon ordinateur tout en mangeant en silence mon repas. Heureusement que les professeurs avaient l’habitude de ce genre de situation et ne disaient rien. Une simple journée de cours, calme, banale. Une journée qui nous faisait râler et dire qu’on voulait de la magie dans notre quotidien. Mais parfois la banalité c’était quelque chose d’agréable, de rassurant, si nous avions tous nos habitudes c’était qu’il y avait bien une raison, non ? Enfin, je préférais un peu oublier ma journée avec une soirée entre amis avant de rentrer, pour une fois, seule dans mon appartement. Je relus la lettre à la lumière de ma lampe de chevet, Passiflore près de moi. Un long soupire m’échappa et je quittais avec un soupir la chaleur rassurante de ma couette pour refaire mes affaires et vérifier mes papiers. Je glissais la lettre. J’hésitais, en mettant mon portable à charger. Non, je ne dirais rien à Azelie, pas la peine de l’inquiéter pour rien. Je repris Passiflore dans mes bras et le serrai de toutes mes forces contre moi.

 L’hôpital ne m’avait jamais semblé si grand, si… imposant. Terrifiant. Le mot s’imposa dans mon esprit en lettres de feu. Je pris une profonde inspiration avant de m’étrangler légèrement. L’odeur des médicaments me rendait anxieuse. Plongeant ma main dans mon sac, je saisis la petite balle que m’avait fait Anna il y a longtemps. De nature anxieuse, j’avais besoin de m’occuper les mains quand je commençais à m’inquiéter et elle en avait eu marre que je ne me ronge les ongles. Une main cachée dans les replis de mes poches, j’entrais à pas lents dans l’enceinte de l’hôpital, j’ouvris mon manteau à cause de la chaleur et observais autour de moi. À droite la cafeteria et le bureau de presse, à gauche une grande salle vide pour les urgences. J’avançais vers l’accueil, mes jambes étaient de plombs, et demandai mon chemin. La dame, très gentille, me l’indiqua et je la remerciai avant d’obéir sagement à ses directives. Je me présentais à nouveau à l’accueil du service avant d’aller m’installer sur les chaises en métal prévus. Et j’attendis en jouant toujours avec ma petite balle. Je sortais mon téléphone, hésitant, puis le rangeais. Je ne savais pas quoi faire. Je ne savais pas si ce que je faisais était bien. Est-ce que… Je me levai d’un bond en entendant mon nom. La médecin me sourit et je lui rendis avant de m’avancer et de lui serrer la main. D’un geste elle m’indiqua un siège et à nouveau j’obéis sagement comme une petite fille déposant mon sac à mes pieds. Elle s’installa derrière son bureau et feuilleta mon dossier avant de me poser une feuille emplie de chiffres dans tous les sens. J’étais simplement historienne… pour moi les chiffres étaient des dates, du moins le plus souvent. La médecin me fixa avec attention et posa la pointe de son stylo sur la feuille avant de parler. Ses mots me traversèrent, laissant des marques sur mon esprit, à l’intérieur de mon corps, répondant aux bleus que j’avais sur le corps qui n’étaient pas du à ma maladresse. Je signai les papiers, pris en note ce qu’elle disait, la remerciais et quittais sous le choc son bureau avec un dossier en main. J’avais encore une semaine devant moi. Mes pas me menèrent à la cafétéria et je pris un chocolat chaud et un brownie. Ma main glissa jusqu’à mon portable et le porta à mon oreille.

 « Ouais ?

- William ?

- Cathleen. T’es où ? Qu’est-ce qui se passe ? Tu veux que je vienne ? Il est arrivé un truc à Azelie ? »

  Il avait compris ce qu’il s’était passé rien qu’au son de ma voix. Je respirais profondément et repris la parole en regardant mon brownie sous plastique, ma voix ressemblait à une toile d’araignée :

 « À l’hôpital, tu pourrais venir s’il te plaît ?

- Bouge pas j’arrive. »

 Je ne pouvais pas réellement bouger de toute manière, je n’y arrivais pas, je restai juste… immobile, les yeux dans le vague. Je percevais les gens autour de moi, mais le monde allait au galop autour de moi. Je ne réagis seulement que j’entendis une voix prononcer mon nom. Je me levais et il m’attrapa, m’écrasant contre son torse. Je sentis ses mains passer dans mes cheveux et dans le creux de mon dos. J’éclatai en sanglots contre lui, son front se posa sur mon crâne.

 « Ça va aller ma princesse. Ça va aller d’accord ? On va aller dans un coin peinard puis tu vas tout me raconter. »

 Il ordonnait et moi comme une petite fille j’obéissais. Il ramassa mon plateau, me déposant le chocolat entre les mains, glissant le petit gâteau dans ma poche. Avec autorité, mais délicatesse, il saisit ma main et me tira hors de l’hôpital, je sentis la fraîcheur de la peinture sur sa paume. Je montai avec lui dans le tramway et retournai me nicher dans ses bras. Tendrement, il passa ses doigts dans mes cheveux sans rien dire. Immobile, je restais à pleurer dans ses bras sans qu’il ne me lâche une seconde. Il me guida jusqu’à mon appartement, me prenant des mains les clés, m’aida à monter puis m’installa sur une chaise avant de m’ôter ma veste et mes chaussures. Comme a un bébé. Il me fit un grand bol de chocolat chaud et m’aida à le porter à mes lèvres. William resta accoupi face à moi et caressa doucement mon visage avant d’enfin me demander ce que c’était. Après une gorgée de chocolat, je réussis à expliquer ce qu’il se passait et il ne dit rien. Son air devint simplement triste, du pouce il essuya mes larmes.

 « Ça va aller. D’accord ? Ça va aller. Allez viens là. »

 Il me prit la tasse des mains pour la poser sur ma table de nuit avant de me soulever dans ses bras pour me coucher lui-même. Je me sentais protégé et j’avais pour l’instant besoin qu’on prenne un peu soin de moi, le temps que mes pensées reviennent à leur place. Il s’assit près de moi avant de me tendre mon téléphone.

« Tu devrais l’appeler. Elle mérite de savoir. »

Je hochais la tête et me laissant aller contre lui pris l’appareil avant de composer un numéro que je connaissais par cœur avant de le poser contre mon oreille, je pris une profonde inspiration et reconnu la voix qui décrocha en m’appelant par mon surnom.

« Oui maman, c’est Cath. »

William passa la soirée chez moi, me surveillant pendant que je reprenais tout doucement mes esprits. Il dessinait, assit près de moi, parfois saisissant sa boite à arc-en-ciel, sa boite à aquarelle, pour peindre pendant que je finissais de discuter avec ma mère et de siroter mon chocolat chaud. Mon ami me proposa le brownie, mais je le laissai le manger. Il finit par quitter un instant la pièce pour appeler Anna et inventer une excuse. Je me souvenais qu’en primaire il était très doué pour en trouver pour expliquer les bleus qu’il avait sur le corps. Il revint et me sourit tendrement en passant sa main dans ses cheveux.

 « Qu’est-ce que tu vas faire Princesse ?

- Il me reste une semaine. Je vais mettre un peu d’ordre dans tout cela… préparer mes affaires. Maman vient d’ici demain soir.

- J’vois. Et tu vas leur dire quand aux autres ?

- …

- Cathleen. S’il te plaît. Tu m’as obligé à parler il y a longtemps. Et ça m’a libéré. Je sais que ce n’est pas la même situation. Mais ta vie est en jeu.

- Parce que la tienne n’était point en jeu également ?

- Cathleen ! Pour l’amour du ciel ! C’est grâce à toi que je m’en suis sorti bordel ! Je veux aussi que tu t’en sortes, tu sais que le silence c’est pas la solution !

- Mais… C’est…

- Je sais que c’est dur ! Mais faut que tu parles. Demain. Non Cath. Je ne te laisse pas le choix. Tu as une semaine devant toi et ta mère arrive demain soir, tu crois pas que Azelie va pas piger qu’y a un truc qui va pas ? Demain, oui demain, tu vas venir, et sinon je viens te chercher. D’accord ? Non. Tu ne me fais pas ce regard. Rester silencieux c’est pas une solution. On est d’accord ? »

 Je ne pus que hocher la tête. Délicatement il prit mon visage entre ses mains et plongea son regard dans le mien. Je finis par l’enlacer à nouveau et il passa à nouveau ses doigts dans mes cheveux avec un sourire. William m’aida gentiment à préparer le repas du soir et me montra enfin ses aquarelles. Il avait dessiné un œil très réaliste, mais à côté il avait créé des paysages de forêts et de vallées incroyables et même une petite fée au grand sourire espiègle faisant une grimace. Après avoir dégusté notre repas il me déposa la petite fée sur la table de nuit en calligraphiant en dessous « La petite fée protectrice », après ce geste il partit retrouver sa copine et je repris mon portable et lu les messages d’Azelie sans rien répondre. Je lui envoyai un simple « Bonne nuit mon amour <3 » avant d’aller me coucher.

 Je n’eus pas le courage d’aller en cours le matin, je parlais simplement à mes collègues de classe sur Facebook en récupérant les cours. Je n’avais pratiquement point bougé de mon lit, j’avais brisé ma routine… La routine brisée était le signe d’un changement. Peut-être un bon ? Souvent un mauvais. Dans mon cas c’était un très mauvais signe. J’allais devoir réussir à me créer une nouvelle routine. Et cette fois pas chez moi. Je réussis l’exploit de me lever pour aller prendre une douche et m’habiller. Mais j’avais l’impression d’être en dehors de mon corps. Je retournais m’installer sur mon lit, mon ordinateur sur mes genoux. Devant mes yeux, qui auraient put être en verre tant ils ne voyaient rien, défilaient des vidéos en pagailles, je me demandais même comment je respirais encore. Je sursautai quand on frappa avec force à ma porte et j’entendis la voix furieuse de William. Volontairement, je n’avais pas donné signe de vie ce matin, ni à Azelie, ni à William et j’étais restée chez moi, je ne voulais rien dire aux autres. J’entendis William pester avant d’ouvrir la porte que j’avais dû oublier de fermer. Il était fou de rage et je me recroquevillai sur moi-même. Yasmine le suivait inquiète et posa sa main sur son bras.

 « William… tu devrais te calmer.

- Cath ! T’es pas sérieuse ! Tu m’avais promis ! Tu m’avais juré que tu dirais tout aujourd’hui ! Tu te lèves ! Maintenant !

- William ! Du calme ! Ne crie pas ! »

Yasmine s’interposa et s’approcha de moi alors que William attrapait mon ordinateur pour le refermer et le glisser dans mon sac. Mon amie me prit doucement par les épaules et m’obligea à me lever.

 « Cath, si tu as promis, tu le fais… Tu le sais non, ce n’est pas beau de ne pas respecter sa parole… Si tu as promis à William, même si je ne sais pas ce que tu as promis, il faut le respecter. »

 Elle parlait tout doucement pendant que je mettais les chaussures. William était en train d’appeler Anna et après une inspection de mon évier demanda à ce qu’on me prenne à manger. Il me fusilla du regard et me redressa un peu brusquement. Yasmine fronça les sourcils mais après un soupir le laissa faire. Elle passa simplement un bras autour de mes épaules et m’aida à mettre mon sac. William ouvrit la porte et je baissai la tête en m’avançant. Yasmine me prit la main et me la serra doucement. La chape de silence s’abattit sur nous, seulement troublé par les bruits de l’ascenseur et de la ville. Je suivais mes amis jusqu’à la cafétéria et William m’assit près d’Azelie. Cette dernière me prit aussitôt la main et me la pressa tout doucement en cherchant mon regard, j’évitais le sien pour me concentrer sur mon plateau, ratatouille et pâtes. William me poussa le plateau davantage sous le nez et fronça les sourcils.

« Tu manges un peu et tu racontes. Sinon c’est moi qui le fait. »

 Je baissai une nouvelle fois mon nez sur mon repas et plantai une fourchette dans la bouillie rougeâtre avec quelques vagues morceaux de courgettes avant de porter tout cela à ma bouche. J’avalais avec difficulté et je croisais le regard de William. Je lui connaissais cette expression boudeuse. Fermée ? Oui. Fermée. Il ne laisserait rien passer et il s’attendait à ce que je cède en première. Si à une époque je n’avais pas cédé pour qu’il me dise tout… Cette fois je savais que c’était moi qui allais céder la première. Le trio nous observait sans savoir quoi dire ou même s’il devait réagir. J’avalais une seconde fourchette de bouillie de légumes. J’aurais préféré à cet instant un solide verre de quelque chose de sucré, ou même d’alcool, moi qui n’en buvais pas une goûte, pour me donner du courage… Mon meilleur ami posa une canette d’ice tea devant mon nez. Il savait. Il savait tout… Je la pris et après quelques instants de bataille, réussis à ouvrir et boire une gorgée avant de la poser sur la table… Un verre de whisky aurait peut-être fait meilleur effet… Ou pas… Pas d’alcool dans mon état. Je finis par avaler péniblement ma salive une nouvelle fois avant de lever les yeux vers Azelie et ouvrir la bouche.

 Je vis un millier d’émotions couler sur le visage d’Azelie ainsi que sur celui des autres. Je m’en voulais terriblement de leur faire mal de la sorte… Mais je savais que William avait raison : ne rien leur dire serait encore pire. Pire que tout. Et pourtant, à cet instant je me disais que j’aurais dû me taire, ne rien dire. Réussir à afficher un sourire de façade…La maladie c’était dur, je savais que je l’apprendrais tôt ou tard, mais pour moi, à cet instant le pire était de voir les larmes couler sur le visage de mes amis. Pourquoi ? Azelie me prit dans ses bras et mon visage trouva naturellement sa place dans son cou.

« Jure-moi que tu vas vaincre cette saloperie. Jure-le-moi Cathleen. »

Je le jurais au creux de son oreille.

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