Chapitre 1 - Cathleen

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Je bâllai longuement en m’étirant dans mon lit. Après quelques tâtonnements, je finis par réussir à éteindre mon réveil qui m’indiquait avec une joie sonore qu’il était l’heure de me rendre en cours. Avec un grondement et un long soupir, je finis par basculer en position assise sur le bord de mon cli-clac. Immobile, face à ma fenêtre obscurcie par les rideaux mangés aux mites du CROUS, qui laissaient passer quelques petits faisceaux de lumière de l’aube. Après avoir retourné les draps et allumé la lumière, je finis par retrouver mon haut de pyjama et m’autorisai enfin à ouvrir les rideaux. Temps de chien. Il pleuvait à verse et le vent faisait tournoyer des feuilles mortes. J’ouvris en grand la fenêtre, mais avec une certaine délicatesse : je n’avais nullement envie de me la prendre sur le pied. L’humidité et la fraîcheur de cette fin d’octobre me fouettèrent la peau. D’une main, j’attrapai mes vêtements posés en tas sur le bureau avant de me réfugier dans la salle de bains pour me changer en sifflotant joyeusement. J’entrepris même de dresser la crinière de lion couleur de feu qui me servait de chevelure en chignon. Je finis par ressortir en attrapant le beurre et la confiture du frigo pour les poser sur la table. Du bout du pied, je refermai ma fenêtre avant d’enclencher ma musique et de répondre au SMS d’Azelie en souriant. Je l’aimais cette fille ! Comme une dingue.

Je reposai mon portable pour dévorer mon repas et finis de boire mon thé à la fenêtre. C’est fou comme cette routine pouvait me rassurer. J’aimais cela, me lever, poser mes pieds sur le lino froid, attraper mon t-shirt, ouvrir la fenêtre, m’habiller, envoyer un mot à ma petite amie, déjeuner, finir mon thé en regardant la ville puis partir pour ma journée, casque sur les oreilles. Ce matin-là, je choisissais un morceau de musique celtique pour noyer le mauvais temps dans une ambiance épique. Mes pas ne me menaient plus à la fac, mais bien sur un champ de bataille aux côtés de fiers guerriers vikings armés, envahissant la Normandie ou je ne sais quelle région. Une routine, simple, efficace, qu’à chaque être vivant, qu’à chaque étudiant, qu’on aime tout en la haïssant parce qu’on voulait vivre quelque chose d’incroyable chaque jour. Je sortis mon carnet de ma poche pour noter rapidement : « On hait la routine, car on souhaite vivre l’extraordinaire. » Pas mal… À caser dans une chanson. Je vérifiai un instant mon emploi du temps avant de me diriger vers les amphithéâtres. Il n’y avait pas grand monde pour l’instant, tant mieux, je pus choisir ma place favorite et m’y installer à mon aise.

En attendant que le cours commence, je levai la tête vers le plafond, comme à chaque cours, pour détailler les volutes dorées et les peintures s’écaillant au plafond. Être dans un bâtiment historique pour des cours d’histoire. C'était quelque chose d’étrangement amusant et agréable. J’avais beau venir ici depuis trois ans, l’impression, de toujours découvrir des fragments et des détails de fresques abstraites que je croyais connaître par cœur après tout ce temps, restait. Mais non. Et quelque part c’était rassurant d’ignorer encore des détails de son quotidien pour le redécouvrir un peu tous les jours. Je reportai mon attention sur l’estrade devant moi où le professeur s’installait. Après avoir fait craquer mes doigts, je les déposai sur les touches de mon ordinateur, prête à prendre en note le cours.

Je sortis délicatement mon portable de ma poche en quittant de l’amphithéâtre. Visiblement, mes amis m’attendaient à la cafétéria à côté de la cité universitaire, celle comptant uniquement des chambres de neuf mètres carrés. Pourquoi pas, j’étais certes la plus loin de l’endroit, mais dans le même temps, celle qui n’avait pas cours durant l’après-midi et de toute manière, marcher un peu pour ensuite retourner à la bibliothèque pour travailler ne me ferait aucunement du mal. Après tout, je n’étais pas un robot : je ne rouillai pas au contact de l’humidité ou de la pluie. Puisque dehors la pluie marquait maintenant les pavés de ses doigts. Je tirai ma capuche sur mon front pour rejoindre l’arrêt de tramway le plus proche et attendre la rame suivante. Le temps d’arriver à destination, la pluie semblait avoir cessé.

Mais l’ambiance au sein de la cafétéria était électrique. Je slalomai entre les étudiants, évitant les coups de coudes avant de déposer ma veste sur une chaise libre. Azelie se leva aussitôt et je déposai mes lèvres sur les siennes pour la saluer. Tour à tour, je dis bonjour aux autres avant de retourner vers le comptoir pour prendre mon plateau du jour… Bien, haricots verts, un steak haché et une pomme, disons que niveau équilibre alimentaire il y avait encore quelques progrès à faire. Je m’installai enfin avec les autres en détaillant tour à tour leur visage. William, avec ses mains tâchées de peinture depuis tant d’années que j’avais arrêté de croire qu’un jour elles eussent été propres. Il me rendit mon regard et secoua la tête, faisant danser ses cheveux sombres autour de ses yeux verts le tout mis en valeur par une peau caramel. Je tournai le regard vers Anna près de lui, tenant l’une de ses mains dans les siennes. Typée vietnamienne de par ses parents, elle souriait en regardant son copain. À l’instar d’Azelie et Yasmine, elle était en faculté de lettres modernes. La seconde, algérienne par ses parents, arborait aujourd’hui une longue tresse sombre. Et enfin Azelie, cheveux noirs tressés parés de petites perles de couleurs, yeux noirs et le plus beau sourire étincelant au monde. Je ne me lasserai jamais de le voir.

« Hey miss, t’arrête de mater tout le monde, j’vais finir par être jalouse. »

Je sentis son rire pointer dans sa voix et je fis exagérément les yeux doux à Yasmine qui m’envoya un baiser du bout des doigts. Pour toute réponse, je sentis les bras de ma copine se refermer autour de moi pour venir m’installer sur ses genoux et elle nicha avec délicatesse son visage dans mon cou. Je souris et caressai avec douceur sa joue en essayant de manger. William soupira longuement avant de lancer avec un sourire aux lèvres :

« Si on vous dérange, dites-le les filles.

- Non, ne t’inquiète pas. D’ailleurs, il faudrait que nous ayons une discussion toi et moi.

- Oh, oh ! À quel sujet ?

- Hé bien, j’aurais quelques chansons à soumettre à ton jugement. »

Tous les cinq, nous avions formé depuis le lycée un petit groupe de musique qui commençait à avoir du succès et c’était véritablement plaisant. Je chantais parfois accompagné de William qui jouait de la guitare, Anna jouait de la basse, Yasmine était au clavier et Azelie donnait le rythme avec sa batterie. L’un de mes rêves, je ne savais pas si c’était le cas de tout le monde, c’était d’être sur la plus grande scène du monde pour chanter. Je n’étais pas Céline Dion, mais je me débrouillais bien. Je n’avais pas la prétention de dire que j’étais l’héritière des grands chanteurs, loin de là ! Mais j’aimais chanter et composais depuis des années des chansons ou des textes poétiques. Avant que mon ami puisse me répondre, je dus batailler afin de reprendre ma fourchette des doigts de ma petite amie qui cherchait à me nourrir comme une enfant, visiblement je ne mangeais pas assez pour elle. En riant, je lui disais souvent qu’elle cherchait à entretenir mes rondeurs, ce à quoi elle répondait que moi maigre, c'était quelque chose d’impossible, ou alors que j’étais salement malade. Après avoir pu enfin avaler quelques bouchées de viande et de haricots seule, je pus reprendre ma conversation comme-ci rien ne m’avait interrompu.

« J’en ai écrit quelques-unes ce week-end, j’aimerais voir si elles te conviennent. Ou si tu as déjà une idée de mélodie.

- Ouaip ! Aucun soucis ! Tu me passes ton carnet ? Ou j’viens avec toi à la BU après l’repas ?

- Cela m’arrangerait que tu viennes avec moi. Ce n’est point que je ne te fasse pas confiance, mais je préfère garder le carnet près de moi.

- Pas d’soucis ! J’ai mes carnets de toute façon pour dessiner et de quoi peindre pour avancer mes travaux.

- Oh ! Mon pauvre Willy ! Ton école t’assomme de travail ? »

Anna avait un petit sourire en coin.

« Jamais assez pour oublier la beauté de tes yeux. »

William se pencha pour embrasser le bout du nez de sa copine. Pour avoir feuilleté ses carnets à dessin, je savais qu’elle était son sujet de dessin préféré. En plus de la nature ainsi que du logo de notre groupe. Il avait dû faire un carnet entier de dessins, de croquis, d’esquisses, d’aquarelles, d’huiles, pour trouver un motif dont il était satisfait. Et en plus, il s’amusait à illustrer les chansons que nous écrivions, ou je m’inspirais de ses dessins pour écrire. Nous formions un excellent duo. Et les trois autres filles étaient en train de discuter sur un cours de latin ce qui me fit rire et je pus profiter pour terminer mon repas.

Azelie m’embrassa à nouveau dans le cou avant de soupirer en concert avec Yasmine et Anna. Visiblement le cours suivant ne les emballait guère. Ce que je pouvais comprendre, dans une formation il n’y avait que très rarement tous les cours qui plaisaient aux étudiants. Même de mon côté, bien que l’histoire sous toutes ses facettes était un domaine que j’adorais. Cependant, il y avait également le professeur à prendre dans l’équation, c’était peut-être et sans aucun doute purement humain, mais lorsqu’on appréciait les professeurs suivre les cours en était d’autant plus facile. Je m’en allai déposer mon plateau avec ceux des autres avant de suivre mes amis dehors. Je dérobai un baiser à ma petite amie après avoir salué Yasmine et Anna. Cette dernière me fit un clin d’œil.

« J’te confie Willy, tu prends soin de lui, OK ?

- Il n’y a aucun problème Anna. Je vérifierai qu’il traverse bien au feu vert. »

En guise de réponse, elle pouffa et tira gentiment sur la chevelure de son copain pour l’embrasser à son tour avant de traverser pour se rendre en amphithéâtre. Willy passa un bras autour de mes épaules et je sentis le cuir de sa veste frotter contre ma joue.

« Tram ou une petite ballade pour arriver à la BU ?

- Une petite marche ne nous fera pas de mal après ce copieux repas ! »

Il rit bruyamment et m’entraîna derrière lui dans un geste brusque. Au premier abord, William ressemblait un peu à un grizzly de par sa carrure et ses manières brutales. Mais, je le connaissais depuis plus de douze ans et je savais que ce qu’il faisait servait à protéger un cœur et un être très timide et blessé. Si aujourd’hui William semblait heureux et avoir tout pour réussir, je savais très bien que cela n’avait pas toujours été ainsi.

Je connaissais William depuis mes huit ans, cela faisait donc treize ans en réalité que nous étions amis, il avait toujours eu ce don pour le dessin et ce caractère d’ours. J’avais déménagé dans sa ville pour le travail de ma mère en milieu d’année et le maître m’avait installée sur la seule place de libre : près de lui. Et, timide il m’avait impressionnée et j’étais restée près de lui. Petit à petit, même s’il essayait de me faire partir, j’étais demeurée à ses côtés. Ma méthode pour l’approcher avait été très simple : je ne savais pas dessiner alors que lui maîtrisait déjà le crayon et avec mes dessins tout moches j’avais réussi à lui tirer un sourire, un clin d’œil, un éclat de rire. Puis il s’était confié, avec difficulté, jour après jour, je le laissais venir près de moi sans le forcer ou le bousculer. Puis William avait fini par me le dire. À sa manière. Il avait dessiné toute une histoire qu’il avait glissée dans mon cartable. Et je l’avais vite comprise : son père était violent envers lui, sa petite sœur et sa mère. Sauf que… comment réussir à en parler quand on a que huit ans ? Que les adultes pensent que, parfois, les enfants imaginent ? Quand la police le prend pas toujours au sérieux les plaintes ? Cette fois, j’avais posé des questions, je lui avais arraché la vérité avec des forceps. Et après en avoir parlé avec mes parents, qui devant les détails et les dessins avaient décidé d’aider discrètement la famille comme ils le pouvaient. Début de l’année suivante, William, Élisa et sa mère avaient réussi à trouver un logement seuls, sans leur père. Et ce ne fut que trois ans plus tard qu’il fut enfin jugé. Coupable de violences conjugales répétées, physiques et morales ainsi que sur les enfants en plus de viols conjugaux. Vingt ans de réclusion. Je me souviendrai toujours de la sortie du tribunal avec William pleurant à chaudes larmes dans mes bras en murmurant que le prochain homme qui toucherait sa mère de cette façon, il le tuerait de ses mains. Il avait tout juste onze ans… Il avait vite forgé cette carapace pour se protéger et peut-être protéger les autres de lui-même. Même si jamais il ne ferait de mal à quiconque.

Au lieu de remettre ça sur le tapis, je préférais discuter un peu de ses dernières peintures. Pendant longtemps, je l’avais encouragé à en vendre quelques-unes pour se faire un peu d’argent, en plus de sa bourse, il avait refusé, prétextant qu’elles n’étaient pas assez bien. Chose qui avait finit par agacer prodigieusement Anna qui l’avait inscrit sans son avis à un concours de dessin et avait envoyé quelques toiles. Si bien qu’il avait gagné un prix et que nous avions réussi à lui faire comprendre qu’il avait un certain talent et qu’il pouvait se permettre d’en vendre. Et parfois, lors de certaines périodes il le faisait. Après une quinzaine de minutes de marche, nous arrivions à la bibliothèque universitaire, toujours aussi belle et impressionnante dans son écrin d’histoire et de pierre. On s’installa au fond et en passant je saisis délicatement quelques ouvrages d’histoire pour les poser sur une table au fond. Nous sortîmes nos affaires avant que je ne tende un carnet relié à William et ne me plonge dans mon travail, attendant patiemment son verdict. Je savais qu’il aimait relire toutes les chansons avant de donner son avis sur les nouvelles. Pour ma part, je préférais à nouveau compléter mes cours en consultant des ouvrages pour me préparer à quelques dossiers ou exposés dont les professeurs avaient le secret. Plongée dans le passé, je sursautai quand une main se posa sur mon poignet. William me sourit avec douceur.

  « J’te fais peur princesse ?

- Cela fait bien longtemps que tu ne me fais plus peur Winnie. »

Pour toute réponse, il me pinça le nez et je me penchai avec lui sur mon carnet puisqu’il avait quelques remarques à faire. Repoussant délicatement mon ordinateur, je me blottis un peu contre lui et corrigeai avec lui. Au bout d’un moment, il m’observa du coin de l’œil, goguenard.

« J’suis confortable ?

- Tu as les os pointus, Azelie est plus confortable. »

Il me donna une petite pichenette sur le nez et tira de son sac son carnet à dessin, mettant ainsi fin à notre travail sur les chansons. Je refermai soigneusement mon carnet pour me remettre à mon histoire. De temps à autres, je levais les yeux pour observer William dessiner. C’était toujours fascinant pour moi de le regarder dessiner ou peindre : ses gestes devenaient très doux, précis, élégants, gracieux. J’avais l’impression qu’il était un danseur étoile avec les yeux d’un enfant qui ouvre ses cadeaux à noël. Je retournai à mon travail en silence. Jusqu’à ce qu’une voix bien connue nous fasse tous les deux sursauter :

« Hey ! Ça vous arrive de regarder vos portables ? »

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