Lettre à mon futur.

4 minutes de lecture

Cher toi,

Si, dans cinq ans, tu reçois cette lettre, c’est que tu es toujours vivant et donc, debout. Félicitations pour ce petit bout de chemin parcouru, en supplément. J’espère que d’ici là, tu auras attaqué ton suivi psychologique pour tenter de vaincre ta phobie sociale et mettre des pansements sur d’effrayantes blessures. Une crainte qui est la conséquence de toutes les maltraitances que tu as pu subir dans notre jeunesse. Je te souhaite aussi d’avoir trouvé quelqu’un de sincère, dans ses intentions amoureuses. Cela te ferait du bien d’être aimé en retour alors que jusqu’à présent, tu ne cesses de te brûler les ailes pour des hommes qui ne méritent même pas un dixième de ce si beau sentiment. Toutefois, pour y accéder, tu sais que tu vas devoir faire un sacré pas, une épreuve que j’ai déjà pris soin de rédiger quelques lignes auparavant. Cela te dit qu’on en parle ?

Tu sais qu’à l’heure actuelle, j’ai beaucoup de mal à me livrer et c’est aussi pour cette raison que nous avons opté pour l’écriture. Par cet intermédiaire, nous parvenons un peu plus facilement à mettre des mots sur nos douleurs, nos espérances, nos regrets, nos espoirs et bien d’autres choses encore. J’espère que pour la troisième fois de ma vie, je serais capable d’exprimer face à cette femme vers qui je compte bien me tourner pour demander de l’aide, l’inceste dont nous avons été victime lorsque nous étions petit enfant. Dire que ces souvenirs sont revenus à la surface à cause d’une lecture traitant de ce sujet, effectuée il y a de cela quelques mois. Nous qui aimons les romans qui n’épargnent rien, il est clair que sur ce coup, nous n’avons pas été épargné. Ensuite, il me faudra évoquer la maltraitance qui a été notre quotidien de la part de cette crevure de beau-père, et de cette mère qui a su, si souvent, se montrer soumise pour trouver grâce à ses yeux. Si vous saviez comme je vous hais désormais. Un bourreau et sa complice… Jusqu’à mes dix-huit ans… Et je m’étonne que j’aie peur des gens, que je n’ai pas confiance en moi, que je me traîne plus bas que terre, et où je me dis que parfois, la mort serait la plus belle délivrance…

Mais non, je suis un battant, un survivant, je te fais la promesse de ne rien lâcher mon grand, quitte à m’en prendre encore plein la gueule.

La troisième épreuve lors de cette thérapie, concernera notre vie dehors, lorsque beau-papa nous a foutu à la porte du domicile conjugal et où personne n’a été là pour te tendre la main. Ni la famille, ni les amis… Vraiment personne. En mettant de la distance entre ce nid et toi, tu as cru avoir opté pour la meilleure des décisions… Tu te souviens de ce qui s’est passé pour qu’on puisse survivre un minimum ? La manche, la prostitution et le drame qui a suivi derrière ? Être gay, jeune et sans domicile fixe forme un ensemble que nous avons appris à nos dépens : une proie. Surtout dans ces squats… bâtiments à l’abandon mais favorisés par des groupes d’hommes qui n’attendent plus rien de la vie, comme toi, à part se vider les couilles avec le premier désœuvré à portée de mains…

Si cette lettre te parvient dans cinq ans, tu auras quarante-deux ans. Elle commence à bien puer notre affaire, tu ne trouves pas ? Peut-être que d’ici là, j’aurais su trouver les clefs pour nous rendre heureux, comme à peu près tout le monde. En attendant, tu sais que je vais faire de mon mieux pour nous dénicher quelques douceurs pour tenter de supporter tout ça. Doué comme je suis, notre playlist se sera allongée de quelques titres qui sauront nous mettre du baume au cœur et qui nous accompagneront selon certaines étapes de notre vie. Et puis notre sœur et notre nièce auront besoin de moi. Dire que je m’étais promis de me faire passer en priorité pour m’offrir la vie dont nous méritons… Mais bon, elles y sont pour rien dans notre malheur, tu le sais aussi bien que moi.

Tu vois, cette missive que je suis en train de rédiger est loin de me faire du bien. Elle me sensibilise et dans ces moments, je voudrais opter pour la solution de facilité : la fuite. Mais j’arrive à une étape de ma vie où je n’ai plus envie de prendre la poudre d’escampette. Je veux tout affronter, quitte à morfler à fond pour mieux cicatriser par la suite. Je rêve de notre revanche et je saurais l’acquérir. Cela va prendre du temps, tu en as conscience mais pour renaître plus fort, tu sais que nous allons devoir y passer. J’ai tellement peur de partir une vrille encore une fois… de céder à mes démons… À mes vices… Mais si je ne me tourne pas vers eux, la chute sera haute et cette fois, j’ai la crainte de ne pas trouver la force ni le courage pour nous remettre debout. Cinq ans… Déjà que je n’arrive pas à me projeter à demain…

Là, j’ai un peu plus de mal pour écrire mais c’est normal. Cela touche à notre histoire personnelle et je commence à me dire que je fais une belle erreur. De rédiger tout ça et surtout, d’exposer cette lettre. Sans le vouloir, notre mal-être vient de refaire surface. Et tout doucement, certaines phrases sont effacées.

Je pense qu’il va être temps de conclure car je n’ai pas envie de me flinguer la journée. Il nous reste quelques heures qui méritent d’être occupées de différentes façons mais surtout, des plus agréables. Dire qu’à la base, j’étais parti pour écrire un joli pavé… Désormais, je n’en possède plus la force et j’étais très loin d’obtenir un tel résultat. Je me pensais plus courageux… Peut-être dans quelques mois, les choses seront différentes et je croise les doigts pour que des récompenses se posent sur notre route. J’en ai besoin, elles sont méritées.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Kah Rane ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0