Retour sous la tente

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L'homme attendit qu'ils soient à une centaine de mètres de la caravane pour la faire trébucher. Alors qu'elle reprenait son équilibre, il la bouscula d'une bourrade et pesa de tout son poids sur son dos, lui vidant encore plus les poumons.

Sonnée par la chute, la peur et le manque d'air, Lily ne comprit pas bien la suite immédiate. Quelques secondes plus tard, elle était sur le dos, la veste déchirée et venait de se prendre un coup sur la tête. L'homme lui broya un sein, elle émit un cri étouffé. Un spasme accompagné de sueurs froides la secoua dans tout le corps, et elle trouva le moyen de répondre à l'agression par un coup de poing dans la gorge.

Le garde encaissa le coup de façon surnaturelle. Comme si de rien n'était, il posa un pied sur la poitrine de sa victime et déchira son pantalon. Ne pouvant y croire, Lily sut encore moins comment réagir. Confuse, elle répondit à une injonction que lui scandait régulièrement celui qui lui apprenait à manier la masse, et chercha encore à frapper la gorge. Cette cible se trouvait hors de portée.

L'homme sur elle écarta les pans déchirés, découvrant encore plus son corps. Puis, par jeu il lui saisit les poignets et l'immobilisa. Enfin, il la regarda droit dans les yeux et lui sourit, goguenard. Un rire caverneux, bien trop profond pour être humain s'échappa peu à peu de sa gorge. Un rire sans joie. Pour finir, l'image de l'homme ondula, et Ayor se montra à Lily, très fier de lui et déçu de son manque de combativité.

-Trop facile, commenta-t-il enfin.

Il garda les poignets de Lily dans une main, les lui broyant presque, et se tourna vers quelqu'un face à lui.

-Tu sauras refaire tout ça ?

-Oui, répondit Sandre.

Haletante, la jeune femme chercha la dragonienne des yeux et la trouva à deux pas. Ayor profita de son sursaut pour lui broyer franchement les mains, et attendit qu'elle se reprenne pour lui rendre sa liberté. Aussitôt, Lily se couvrit, réflexe que le dragonien trouva risible. Il scruta un instant sa compagne, pour déterminer avec quel talent elle accomplirait sa mission, avant de s'intéresser de nouveau à Lily. Surtout ses mains.

-Je suis sûr qu'avec une simple entaile de là à là... marmonna Ayor.

Il indiqua le sommet du majeur et l'extrémité de la paume avant de poursuivre.

-Je pourrais faire de toi un pantin sans même utiliser la magie.

Lily trembla comme une feuille quand il sortit les griffes pour lui égratigner la main. Ayor s'intéressa une dernière fois à Sandre, et lui demanda de lui annoncer quand il pourrait partir. Trente secondes plus tard, elle le fit partir d'un mouvement de tête.

Le regard éteint, le visage fermé, Sandre s'assit près de Lily et rouvrit les pans de ses vêtements déchirés pour s'assurer que le double de glace qu'elle générait correspondait parfaitement à l'humaine. Ses vérifications terminées, elle permit Lily de se couvrir à nouveau. Cette dernière peinait à retrouver son souffle. L'agression par Ayor l'avait terrifiée.

La présence de Sandre ne la rassurait guère. Des cris de douleurs interrompus résonnèrent, tandis que la caravanne s'ébranlait de nouveau. Perdue, Lily osa demander, une fois son souffle retrouvé, ce qui se passait. La dragonienne lui montra son poing, et la pierre orange incrustée.

-J'obéis à mon Nér-hi.

Lily ne sut que répondre. Elle insista quand la caravanne disparut de leur champ de vision. A contre-coeur, la Der-hi répondit.

-Personne n'a vu Ayor te faire un croche-pied. Pour tout le monde, tu as été amenée à Unnvi. Et il se divertit. Ne me pose pas plus de questions. Je dois me concentrer pour lui donner le change... A aucun moment il ne doit se sentir floué. Des elfes le surveillent. S'ils apprennent que nous faisons ça, l'image des Sel... en prendra un coup.

Plusieurs minutes venaient de s'écouler, avant qu'elle ne finisse sa dernière phrase. Lily en profitait pour accuser le coup, puis savourer cette journée de calme. Se trouver loin de l'agitation du campement et des tensions la soulagea, le silence de Sandre l'arrangeait, à la réflexion.

Lily termina sa journée allongée, à savourer le calme et la tranquilité de l'instant. De temps à autres Sandre la dévêtait brièvement, le plus souvent remarqua la femme pour mieux situer ses grains de beauté, étrangers aux dragoniens.

Quand la nuit tomba, l'humaine s'interdit de penser à Lada et Henne. Cette résolution ne l'empêcha pas de sentir l'inquiétude lui nouer les tripes. Sa peur attira l'attention de la dragonienne, qui se cantonna à quelques coups d'oeil curieux.

A l'aube, Sandre réveilla la femme, et lui annonça qu'elle la ramenait au campement, et qu'elle resterait désormais seule. Les deux autres n'avaient pas survécu à la victoire des Sel. Trop peu de prisonniers survivaient aux charges menées par Ayor.

Une fois près de sa couche, Lily éclata en sanglots. Le deuil la prenait à la gorge, lui embrumait l'esprit. Elle ne remarqua même pas les geôliers qui lui apportaient ses repas et repartaient sans qu'elle ne mange rien.

Les deux jours qui suivirent passèrent avec une lenteur atroce. Lily ne sentait plus aucune présence sous sa tente. Lada lui manquait. Les litanies de Henne aussi. Elle décida de se permettre de rester faible quelques jours supplémentaires, et céda quand un garde Sel lui laissa le choix entre se nourrir ou se faire gaver de force.

Au bout d'une semaine, elle se rendit compte que ses geôliers avaient respecté son deuil. Depuis la disparition de Lada, ni son maître d'armes ni Assfi ne lui avaient demandé de venir. Séchant enfin ses larmes, elle se décida à tout reprendre comme avant.

Peu de temps plus tard, les Sel partaient pour leur campement printanier. Lily fut rattachée à un groupe de prisonniers de guerre humains, ayant passés tout comme elle l'hiver parmi les dragoniens. La plupart préféraient ruminer seuls, et les écailleux surent la garder à l'écart des individus les moins recommandables. Elle ne sympathisa avec personne, et ne dissimulait plus sa bonne entente avec les prédateurs. Quelle importance, au fond, que cette alliance se sache ? Entre la taille du continent et les chances de survie de chacun, elle estimait que jamais elle ne recroiserait aucun de ceux qui la foudroyaient du regard quand ils la surprenaient à échanger de bons mots avec les non-humains.

Le deuil l'anesthésia plus longtemps qu'elle ne l'aurait voulu. Tout lui parvenait de façon brumeuse. Elle en oubliait même de prier Freiyx, certains soirs. Lily ne pouvait même pas se plaindre de solitude. En plus des deux dragoniens liés à elle par contrat, elle sympathisa avec Sdrèv.

Les Sel savaient qu'elle avait défendu l'un des leurs, et se montraient reconnaissants. Sdrèv lui obtint même une alimentation plus adaptée, moins carnée et plus riche en champignons à défaut de fruits et légumes. Arrivés au campement printanier, tout reprit comme avant, au détail près que Lily ne partageait plus la tente avec personne.

Elle eut vent de quelques ventes auxquelles elle ne fut pas amenée, et le printemps se révéla très long. Les Sel retrouvaient leur dose de viande, et poursuivaient leurs activités de mercenaires. Ils n'arrêtaient jamais.

Quand les premiers fruits de griê'k apparurent, signifiant que la première moitié du printemps venait de passer, Lily fut très surprise de voir Sandre s'inviter sous sa tente.

-Ca faisait longtemps que les Sel ne gardaient pas de prisonnière collaborant aussi volontiers, annonça la Der-hi sans préambule.

-Ah... Bonjour... répondit prudemment Lily.

-Je tiens à récompenser ce genre de chose, poursuivit Sandre. Tu dois recouvrer ta liberté à la troisième lunaison automnale, c'est bien cela ?

-Oui.

-Par conséquent, tu vas arriver en hiver parmi les tiens. Sais-tu où aller, comment les tiens t'accueilleront ?

Lily dut reconnaître qu'elle n'en savait rien.

-Je doute que l'on t'accueille à bras ouverts si tu arrives quelque part à la veille d'un long moment de disette, surtout si tu n'as pas apporté ta contribution à la constitution des réserves.

La femme ne sut que répondre. Cela tombait pourtant sous le sens. Elle s'en voulut de ne pas y avoir pensé. Sandre poursuivit d'un ton neutre.

-Je peux m'arranger pour que ton contrat s'achève d'ici deux lunaisons, si ça te va.

-Tu penses qu'Ayor accepterais ? s'étonna Lily.

La dragonienne esquissa un pauvre sourire.

-Vu tout ce que tu lui as rapporté... Je pourrais même t'obtenir quelques xaros. Trouve donc quelques arrangements avec Sdrèv et les deux autres pour gagner des affaires de voyage. Ils t'apprécient, profites-en.

-Der-hi, je veux bien que tu raccourcisses la durée du contrat... et je te remercie du fond du coeur pour tes conseils. Si je peux...

-Contente-toi de respecter ta part du contrat comme tu l'as fait jusqu'à présent. Et dédiabolise-nous. Je vois bien que tu ne nous confonds pas avec les démons. Je ne sais pas d'où te viens cette intelligence qui te permet d'agir raisonnablement ici, mais transmets-la. Diffuse ton savoir-vivre et ta raison. Raconte ton séjour ici dans les tavernes, sur les places publiques, à tes amants ou seulement tes enfants, peu importe, mais raconte ton histoire.

-Je m'y engage, assura Lily le poing gauche sur le coeur et en baissant la tête.

-Viokà... soupira Sandre.

Elle tourna les talons et partit. Lily ne put s'empêcher d'attendre les nouvelles de cette entreprise avec anxiété.

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