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La personne approchait sans bruit, avec une démarche de danseur caractéristique. Il mesurait environ un mètre quatre-vingt-dix, possédait de courts cheveux bruns, des vêtements de cuir et quelques fourrures brunes... des yeux jaunes et des écailles.

Lily lui fit face, garda la tête droite et lui fixa le front. Elle préférait indiquer à Nivom Brénor qu'elle ne le craignait pas, et ne constituait aucune menace. Lui ne dissimulait rien de sa cironspection. Lily ne pouvait rien conclure. Nivom servait d'espion, d'assassin et de messager selon les besoins de sa compagne. D'âge adulte, il ne pouvait que servir Eyaëlle Rogaa, une cheffe de clan dragonien... Mais, encore lui fallait-il la confirmation de son identité. Elle pouvait se tromper... Lily ignorait ce qui valait mieux.

Nivom ne tuait pas gratuitement, tant qu'il ne se sentait pas menacé, il préférait épargner des vies... mais, avec son désintérêt pour beaucoup de choses, il pouvait tout aussi bien passer son chemin et la laisser là.

Circonspect, il la flaira en silence, et entreprit de lui tourner autour. Lily lui présenta ses paumes ouvertes avec lenteur. Il dessina deux cercles autour d'elle avant de se décider à approcher. Une lueur vert d'eau dans son regard indiquait qu'il scrutait l'immatériel. Il s'assurait qu'elle était bien humaine, et non une démone ou une ange déguisée.

Lily ferma tout aussi lentement le poing droit sur le coeur et se présenta, mal à l'aise.

-Lily.

-Nivom Brénor Rogaa, répondit le dragonien avec le même geste.

La gestuelle correspondait aussi à ce qu'avait imaginé la jeune femme. Toutefois, il parlait d'une voix plus grave que ce à quoi elle s'attendait. Il l'interrogea, mais elle ne comprit rien à sa langue. Comprenant la situation, il hésita.

D'un côté, il pouvait lancer un sort de traduction, et tout régler seul. Cependant, cela le dénoncerait comme invocateur, or il voulait garder cet état des faits secret. Ou il pouvait faire appel à un autre invocateur, et amener un étranger de plus sur son territoire. Lily espéra qu'il opterait pour la seconde option.

Poursuivant sa réflexion, Nivom entreprit de froisser consciencieusement les vêtements de Lily, à la recherche d'armes dissimulées. Il ne trouva rien.

Le dragonien arrêta sa décision, et son regard se fit lointain quelques secondes. Sans crier gare, un dragonien de deux mètres apparut près d'eux, et prononça sans attendre :

-Sonori.

-Qu'est-ce tu fous là, toi ? répéta Nivom.

-Eh bien je ne sais pas, avoua Lily.

Les écailles du Brénor se hérissèrent, ce qui le rendait encore plus impressionnant. Il ouvrit la bouche, mais l'autre dragonien ne lui laissa pas l'occasion d'en placer une :

-Elle dit vrai.

-Ecoutez, je me suis cognée la tête chez moi, et en me réveillant j'étais ici... vous pensez que vous pourriez... m'amener à la frontière ? suggéra la femme en croisant mentalement les doigts.

Nivom voulut accepter. L'autre invocateur, que Lily soupçonna appartenir au clan Djixi avec ses écailles pâles, ses yeux verts et ses cheveux noirs, adorateurs de l'esprit des Ténèbres, lui coupa l'herbe sous le pied en estimant qu'ils y gagneraient bien plus en la vendant aux Sel. Eux étaient les meilleurs mercenaires et traficants, non seulement des dragoniens mais du monde... Lily trouvait que beaucoup de choses correspondaient à son monde imaginaire. Son coup à la tête la ferait-il délirer ?

Ses pensées se tournèrent vers son chiot et son travail. Elle se sentait étrangement détachée de ces considérations, et n'éprouvait guère qu'une vague inquiétude quant à la possibilité de se faire vendre aux Sel. Soit elle était totalement coupée de ses émotions à cause du coup à la tête, soit ce qu'elle vivait était assez énorme pour l'anesthésier... elle ne voyait pas d'autres explications.

En pensant à son chiot, elle fronça les sourcils. Elle l'adorait, et se souvenait avoir eu mal au coeur en l'entendant pleurer huit nuits d'affilée parce qu'elle le faisait dormir seul. Habituellement, en y repensant, son coeur se serrait tout autant. Pas cette fois-ci. Elle vivait avec un détachement étrange. Peut-être s'agissait-il d'un moyen de défense de l'esprit, pour ne pas sombrer dans la folie... ce qu'elle vivait, elle en mesurait tout juste l'énormité. Elle évoluait dans son propre imaginaire...

Pendant ce temps, les deux dragoniens discutaient de la marche à suivre sans se soucier d'elle. L'invocateur Djixi n'eut pas d'effort à fournir pour convaincre Nivom de le laisser repartir avec cette marchandise. L'humaine ne portait rien de valeur pouvant la désigner comme une noble, sa disparition n'engendrerait aucune retombée diplomatique.

Nivom fit signe qu'il s'en lavait les mains, et les somma de foutre le camp. Le Djixi excécuta une révérence moqueuse, et saisit Lily par la manche. L'espace d'un instant, elle se sentit tomber dans le vide. Elle avait peur du vide. La sensation la poussa à s'aggriper de toutes ses forces à son ravisseur, tandis qu'ils apparaissaient en un clin d'oeil dans une clairière déserte.

Le Djixi jura.

-Mais ils sont où ? pesta-t-il.

-S'il-te-plaît, pas les Sel... lui glissa la jeune femme.

-Ta gueule.

Elle grinça des dents et obéit. Son ravisseur fit les cent pas, les mains dans le dos, en se demandant où les Sel avaient installé leur campement. Il se résigna à demander, via le lien ténébreux, où trouver les mercenaires. La réponse obtenue, il saisit à nouveau sa captive par le bras, et de nouveau elle eut l'impression de tomber dans un puit noir et sans fond.

Le coeur au bord des lèvres, Lily manqua de hurler de peur en voyant soudainement un campement de plusieurs centaines de dragoniens de plus de deux mètres. Le souffle court, elle fixa silencieusement le dragonien auquel elle faisait face avec le Djixi. Ce dernier fit apparaître une bourse, et y chercha la somme qu'il devait à son informateur. Une fois payé, le Sel, avachi devant une table pliante, toisa Lily.

-'Donc ça que tu nous proposes ?

-Oui.

Dans un soupir las, le Sel s'arracha à sa position confortable, et tourna autour de l'humaine, la détaillant comme une marchandise. Au moins son regard restait relativement neutre. Il lui ébouriffa distraitement les cheveux, appréciant la façon dont ils brillaient. Il imposa à Lily d'ouvrir la bouche et de subir ses tâtonnements, tandis qu'il vérifiait ses dents. Il passa aux ongles, avant de lui enserrer les hanches pour estimer sa carnation. Pour finir, il souleva sans mot dire sa veste, toujours pour se faire une idée de son état de santé.

-Jamais vu quelqu'un de son âge en si bon état, commenta enfin le Sel.

Il se souvint d'un détail, et posa la main sur le ventre à nouveau couvert de Lily. Cette dernière sentit un éclair glacial lui traverser les tripes. Elle se plia en deux sous le coup. Déjà à bout de souffle à cause de la peur, elle vit des taches sombres danser devant ses yeux.

-Et plus pucelle, parfait ; conclut le mercenaire.

-Combien, alors ? demanda le Djixi.

Ils discutèrent très longtemps et âprement du prix. Une fois d'accord, ils signèrent un contrat et le Djixi disparut, laissant la jeune femme aux mains du Sel. Le dragonien la dévisagea une dernière fois, et lui fit signe de rester sur place. Il se tourna vers le campement, et rugit.

Le son impressionnait. Il résonna dans la forêt environante. En réponse immédiate, un autre dragonien acourut, et lança de nouveau le sort de traduction.

-Suis-moi, ordonna sèchement le nouveau venu.

Lily obtempéra, la gorge serrée. Qu'allaient-ils lui faire ? A quoi servirait-elle ? Pour ce clan, elle s'était inspirée en bonne partie des bas-fonds de l'humanité. Et des bureaucrates. Il l'amena jusque devant l'une des tentes les plus rapiécées, perdue dans un labyrinthe d'autres tentes, de feux de camps où cuisaient diverses viandes et bouillons, le tout agrémenté d'un chaos de tables de jeux de cartes et de dés, ainsi que d'osselets et de bien d'autres activités pour tuer le temps. Les Sel ne se déplaçaient pas sans armes dès le sortir de l'adolescence, leurs enfants de tout âges se coursaient et se chamaillaient toutes griffes dehors.

Bien qu'habitués à voir déambuler des personnes issues de toutes les races au sein de leur lieu de vie, les dragoniens ne cachèrent pas leurs divers intérêts à la vue de Lily. Elle devait exhaler une forte odeur de peur, désormais. Elle se recroquevilla dans sa veste, frigorifiée.

Son guide ouvrit le pan de la tente plutôt vaste, et lança :

-Voilà ton nouveau chez-toi, jusqu'à ce que tu trouves acquéreur. Et si tu tentes de fuir, non seulement on va te rattraper, mais en plus tu serviras de mannequin d'entraînement. Comme cible d'armes à distance ou pour initier nos jeunes à la torture, selon les besoins... En attendant, on te nourris, on te loge et on te chauffe.

Lily ne put rien répondre, et entra sans faire d'histoire. Ce qui lui restait de raison la poussait à faire profil bas, et à prendre son mal en patience.

La tente s'éclairait par un côté découvert, la laissant profiter de la lumière du soleil, et une torche de l'autre. Huit femmes s'étaient regroupées près de la torche, pressées les unes contre les autres. Elles jaugèrent Lily avec un air désespéré. La nouvelle venue les salua d'une voix blanche.

-Bonjour...

Aussitôt, les autres se montrèrent hostiles. Lily sut qu'elle venait de comettre une erreur.

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