La Belle, la brute et le smartphone.

de Image de profil de HemlocKHemlocK

Apprécié par 1 lecteur

L’incident avait éclaté à la sortie du Lycée, juste après la fin des cours, Teresa était en train de consulter les messages de son téléphone quand le trio lui était tombé dessus :

La fille blonde lui avait fait sauter son portable d’un coup sec du revers de la main et sa copine la rousse l’avait rattrapé au vol. Un vol net et sans bavure, mais fort inattendu : Teresa connaissait les coupables, la blonde était dans sa classe et toujours suivie de près par l’autre ; pourtant aucune d’entre elles ne lui avait encore fait de mauvais coups.

En fait, les élèves avaient tous tendance à la laisser plutôt tranquille : avec sa frange rectiligne et ses immenses yeux bleus en amande anormalement mobiles Teresa était le sosie quasi parfait de Gogo Yubary la lycéenne psychotique du film Kill Bill, bien connue pour sa manie d’étriper à tout va pour un peu qu’elle ait trouvé son Coca tiède ou qu’il n’y ait pas assez de pépites de chocolats sur ses cookies. Et bien qu’elle n’ait jamais trucidé qui que ce soit à ce jour (à l’exception peut-être des morceaux choisis de Tennyson ou de T.S. Eliot) la ressemblance était suffisante pour que l’on se garde bien d’aller vérifier.

Non, le détonateur, c’était ce troisième larron : un type brun, de taille moyenne, mais plutôt costaud, la mâchoire carrée et le sourire en coin ; très exactement le cliché du bad-boy-joueur-vedette-de-football-à-l’université dont les scénaristes en bout de course peuplent les mauvaises séries pour adolescents. Et, visiblement, ce spécimen avait un jour laissé son cerveau au vestiaire en comprenant que rouler des mécaniques était plus à sa portée, exercice ne nécessitant tout au plus qu’une moelle épinière.

Ses deux groupies lui remirent le téléphone en gloussant bêtement tandis qu’il exhibait fièrement le téléphone volé à Teresa comme un trophée.

Elle protesta, tempêta, ce qui ne fit qu’attiser les rires du trio.

– T’as pas besoin d’un téléphone aussi classe, vu que t’as même pas de quoi te payer une paire de godasses !

– Maintenant fiche le camp sale petite hippie crasseuse, glapit la fille blonde, avant que je te casse la figure !

– On voit que tu sais vraiment pas à qui tu as affaire, renchérit la rousse.

Les remarques sur son physique ou ses vêtements n’atteignaient guère Teresa, en revanche se faire piquer son portable par trois guignols dont la somme des quotients intellectuels égalait à peine celui d’une part de lasagne, ça c’était rageant !

– Et maintenant, voyons un peu mon nouveau smartphone les filles, ajouta crânement le garçon à la plus grande joie des deux autres.

Tandis qu’ils continuaient leur cirque Marcy, qui venait d’arriver, pressa subitement le pas en comprenant la situation.

Alors qu’elle arrivait à leur hauteur, le garçon se tourna vers elle et, reconnaissant la sœur ainée de Teresa, lâcha d’une voix la plus menaçante possible :

– C’est pas tes oignons, grande asperge, fout le camp !

Vouloir en mettre plein la vue à ses copines, c’est une chose. Mais menacer une frêle jeune fille comme Marcy, qui mesure tout de même un bon mètre quatre-vingt-dix pour près de quatre-vingts kilos, c’est ignorer dangereusement ce qu’on appelle le principe de réalité.

– Ne pense même pas à récupérer le téléphone de ta frangine si tu veux pas que je t’arrache les yeux ! Fit haineusement la blonde, tout en reculant un peu pour ce mettre derrière le garçon.

– Ce téléphone n’appartient pas à Teresa, fit posément Marcy en s’approchant, c’est le mien, je le lui avais prêté !

C’est à ce moment du récit qu’il faut commencer à se poser quelques questions sur le bon sens des trois antagonistes : le maniaque du téléphone étant comme on l’a compris d’un genre quelque peu massif, trapu et obtus et bénéficiant de l’appui de ses deux groupies, on pouvait estimer qu’il avait l’avantage du nombre et peut être de la force brute :

D’un autre côté, tout costaud qu’il fut, Marcy le dépassait de deux bonnes têtes et devait peser plus lourd que lui, sans compter qu’elle possédait une musculature, aussi puissante qu’harmonieuse, en parfait état de marche et, avantage décisif, elle était également munie d’un cerveau. L’issue d’un éventuel affrontement n’avait donc rien d’évident et le voleur de portable entama un mouvement de repli léger, mais prudent, tout en grognant une ou deux insultes.

Marcy, qui ne se départissait pas de son flegme habituel, avança vers l’individu d’un pas assuré, sans une insulte, ni un quelconque propos discourtois, ni même un mot plus haut que l’autre, choses auxquelles on aurait logiquement pu s’attendre dans cette situation.

Ce calme inquiéta largement plus le bad-boy-de-service qu’une quelconque esclandre ou fanfaronnade, il devinait plus ou moins consciemment que la jeune fille faisait partie de ces gens qui connaissent parfaitement l’ampleur de leur force et de leurs capacité d’action pour ne pas avoir à en faire des tonnes en matière d’intimidation.

Elle était maintenant devant lui et ses grands yeux bleus, d’ordinaire doux et bienveillants, prirent à l’instant où elle les braqua sur ceux du garçon un éclat métallique glacial et sibérien, emplis de cette puissance implacable, mordante et létale propre aux vents polaires qui sifflent sur les icebergs du détroit d’Hudson et balaient les monts Torngat !

La rousse qui était en retrait farfouilla dans son sac et en sortit un objet qu’elle lança à Marcy

– Tu veux un téléphone ? Alors, contente-toi de ce vieux truc, c’est encore assez bon pour toi !

Marcy attrapa l’objet au vol : c’était un vieux modèle de téléphone Nokia, massif, lourd et robuste, avec un écran minuscule.

Elle le regarda attentivement :

– Si j’ai bien compris, tu me prêtes ce téléphone ?

– C’est ça !

– Je peux donc l’utiliser à ma guise ?

– Tu peux même te le mettre là où…

Visiblement le type n’appréciait à présent que très moyennement le soutien de ses admiratrices qui, à force d’en rajouter, venaient de le placer dans l’inconfortable situation du gamin qui, ayant agacé plus que de raison un Doberman au travers d’un grillage, s’aperçoit d’un seul coup que le portail de la maison est resté grand ouvert. Marcy avait un don inimitable pour se composer en un instant une expression largement aussi impitoyable que celle de La China, sicaire Mexicaine bien connue pour son palmarès meurtrier juste un cran en dessous de la dernière éruption du Krakatoa.

De toute façon les deux filles ne finirent pas leurs phrases, le regard polaire de Marcy les avait transpercés jusqu’à leur sceller définitivement les lèvres. Elle amena lentement sa main gauche qui tenait le vieux Nokia, à hauteur de ses yeux et tandis qu’elle serrait fortement le poing son visage prit une redoutable dureté métallique.

Il y eut alors un bruit bizarre, sec et creux, très désagréable, évoquant quelque peu celui des haches vikings sur les crânes des autochtones à l’époque des grandes invasions ou bien encore un chaton coincé dans un mixer avec un paquet de cacahuètes.

Lorsqu’elle rouvrit sa main, une pluie de débris de ce qui avait été un téléphone tomba par terre en un tout petit tas de composant électronique brisé, de touches tordues et de plastique torturé. Tout le monde sait combien ces vieux Nokia sont robustes, endurants et coriaces : de ce fait l’instinct de survie des trois compères, qui avait pris le relais de leurs intellects désormais en rideau, leur fit comprendre que pour arriver à un tel résultat il fallait déployer une énergie proche d’une petite presse hydraulique.

Le garçon et ses deux copines restèrent un moment bouche bée, le regard vissé sur les débris du Nokia qui semblait avoir fait une rencontre aussi inopinée que malheureuse avec un bulldozer.

– Je crois malheureusement que ce téléphone ne fonctionne pas, fit Marcy avec ce ton monocorde si sympathique propre au héros de Terminator 2, pourriez-vous avoir l’amabilité de me rendre le mien ?

Le garçon la toisa à nouveau, mais c’était une tout autre expression qu’il affichait à présent, comprenant ce qui était susceptible de se produire s’il prenait envie à Marcy d’attraper sa main, sa nuque ou, pire encore, les parties de son anatomie située aux antipodes de sa tête, mais qu’il utilisait nettement plus souvent. Il bredouilla un truc inaudible et, détalant avec ses deux complices terrifiées, jeta le téléphone de Teresa en direction de Marcy qui l’attrapa au vol.

– Vois-tu Teresa, fit calmement son ainée en lui rendant le précieux téléphone, il suffit souvent d’un soupçon de psychologie et de dialogue constructif pour arranger les petits conflits du quotidien ! Bon sur ce, rentrons, nous allons être en retard pour le dîner.

ContemporainHumourChroniquebagarreDéfisoeursbadboyLycée
Tous droits réservés
1 chapitre de 6 minutes
Commencer la lecture

Table des matières

Commentaires & Discussions

MarcyChapitre2 messages | 5 ans

Des milliers d'œuvres vous attendent.

Sur l'Atelier des auteurs, dénichez des pépites littéraires et aidez leurs auteurs à les améliorer grâce à vos commentaires.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0