l'Ultime présent

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Encore un matin, un matin qui me rapproche de cette satané fête : Noël. Alors que tout le monde se presse dans les rues pour acheter les derniers présents, faire les courses de Noël ou encore se procurer la dernière boîte de chocolats pour l'invité imprévu, moi je reste assise ici. Je contemple ces passants, j'entends les froufroutements des tissus des dames fin prêtes pour une soirée qu'elles espèrent parfaite et les froissements des pantalons de ces messieurs qui parcourent les ruelles à pas précipités. Pour moi, Noël ne sera jamais plus le même. Trop de gens ont disparu, trop de larmes ont été versées et trop de souffrances vécues. C'est pour cette raison que jai décidé de ne rien faire à Noël. Je reste cloîtrée dans ma solitude, mon silence. J'ai perdu le goût de la fête depuis que tu es parti mon ami et cette année encore, cette célébration si symbolique aura une saveur amère pour moi. Nonchalamment, mon manteau remonté jusqu'au cou et mon bonnet enfoncé sur mes oreilles, je longe les rues. Les musiques entêtantes de la nuit de la nativité ne me font plus aucun effet et même les lumières les plus chaleureuses n'arrivent pas à réchauffer mon coeur, gelé par tant d'années de solitude.

Et pourtant, j'étais bien loin de m'imaginer combien je me trompais. Je ne pensais pas qu'en tournant à l'angle de cette petite rue qui menait au marché de Noël, je ferais une rencontre hors du commun. Une rencontre qui changerait ma vie pour toujours.

Comme je le fais d'habitude, je parcours le marché de Noël et regarde les petites échoppes vendre des classiques de la période. Chapeaux, gants, bonnets, boules de Noël, santons, bijoux et autres cadeaux traditonnels se bousculent au portail de la course aux cadeaux. Je souris à l'absurdité de la situation.Tout le monde pense que le monde entier est heureux à Noël, mais s'ils étaient conscient de la réalité qui les entoure, ils verraient que ce n'est pas la plus belle nuit de l'année pour tout le monde. Je continue d'observer cette horde de badauds affolés et une fois mon tour terminé, je commande un jus de pomme chaud au dernier chalet et vais m'assoir au bord de la fontaine glacée par l'arrivée de l'hiver dans nos contrées. Je le sirote silencieusement, tentant d'apaiser cette vague mordante qui déferle en moi. Comme chaque année, les larmes montent et la souffrance vient me tirailler. Elles finissent par s'écouler en un petit sillon sur mon visage. Je renifle et tente de chasser le chagrin qui m'anime depuis tant de temps.

Au moment où je repousse une énième perle d'eau, un mouchoir immaculé apparait devant moi. puis une voix cristalline vient se joindre au geste :

  • Pourquoi pleures-tu jeune demoiselle ? Personne ne devrait pleurer le jour de Noël. N'est-ce pas la nuit la plus magique de l'année ? questionne la voix mystérieuse.

Intriguée, je relève la tête et détaille mon interlocuteur d'un instant. Un jeune homme aux boucles blondes et aux yeux azur, assit à côté de moi me sourit. Je papillonne des cils, séchant ainsi l'humidité qui alourdit mes paupières. Dans un geste amical, il agite le mouchoir et me somme ainsi de le prendre. Je l'accepte avec réserve et lui demande :

  • Est-ce vous qui m'avez posé cette question ?

Il soulève les sourcils et répond par une autre interrogation :

  • Vois-tu quelqu'un d'autre que moi ici ?

Je scrute les alentours et aperçois que le monde autour de moi s'est évaporé. Intriguée, j'écarquille les yeux et me tourne complètement vers mon étrange accompagnant :

  • Où suis-je ? Dans un rêve ? Un monde parallèle ?

Ma voix résonne et ricoche sur les murs immatériels de l'endroit dans lequel je me trouve. Je sursaute et regarde la personne à côté de moi en secouant la tête. Il m'offre un sourire radieux et décide de me répondre :

  • Non, tu n'es pas dans un rêve ni dans un monde parallèle. Tu es dans l'entre-deux.
  • L'entre-deux ? C'est quoi l'entre-deux ?
  • C'est la frontière entre le monde du réel et celui des esprits. Je m'appelle Gabriel et je suis l'ange de Noël.

Je reste coite face aux révélations du jeune homme. Incrédule, je bégaye et essaie de continuer le dialogue :

  • Un ann...un ange. Mais pourquoi un ange tel que vous est-il venu me voir ? Pourquoi m'avez-vous emmenée ici dans cet ... ce monde étrange ?
  • Parce que je suis venu t'accorder un voeu, jeune demoiselle. J'ai le pouvoir d'exaucer un de tes souhaits les plus chers, pour que l'espoir renaisse en toi et que tu aimes à nouveau Noël.
  • Et pourquoi moi plutôt qu'un autre ? ajoutai-je dubitative.
  • Parce que tu partages ta vie avec la souffrance depuis trop longtemps et il faut que cela cesse. Tu es jeune, ta vie n'est pas finie.
  • hahaha, elle est finie depuis longtemps. Depuis qu'il est parti, qu'il ne m'a laissé que des souvenirs et une place vide dans mon lit.
  • Justement, il est parti mais si tu pouvais le revoir, une seule fois rien qu'une seule, que lui dirais-tu ?
  • Je lui dirai combien je l'aime et combien il me manque depuis sa mort.
  • Je vois. Tu sais que je ne peux pas le faire revenir mais je peux t'accorder une soirée. Tu as une soirée pour lui dire tout ce que tu as à lui dire. Et il se trouve qu'il a aussi des choses à te dire. Alors va ! Rentre chez toi, allume une bougie en prononçant son prénom et puis va te coucher, le reste je m'en occupe.

Je hoche et dévisage encore l'être à côté de moi. A travers le voile de ma tristesse, j'observe les yeux de Gabriel. Ils sont remplis de bienveillance et de douceur, ce qui pour la première fois depuis une éternité, me boulverse. Une petite flamme vient de se ranimer. Au fond de moi, la chaleur commence à faire fondre la glace. J'ai hâte de le revoir, même si c'est pour lui dire au revoir. J'esquisse un geste vers l'ange mais celui-ci disparait. Le décor alentour devient flou. Je ferme les yeux et les rouvre vite, mais il n'est déjà plus là. L'entre-deux aussi à disparu. Je me retrouve assise sur le rebord de la fontaine. Retour au point de départ et pourtant dans ma tête, la promesse de l'angelot tourne en boucle. Je me remémore les indications et reprend la route qui mène à ma maison.

J'entre dans le petit vestibule, me déshabille et me dirige à petits pas vers la salle à manger. Je suis les directives de l'ange à la lettre et allume une bougie en prononcant son prénom. Puis je la laisse sur la table de salle à manger et monte me préparer pour la nuit.

La journée qui suit, passe lentement et je commence à me demander si cet homme étrange ne m'a pas servi des boniments. Il ne se passe rien et pourtant ce soir, c'est la veille de Noël. Le soir venu, je me prépare un petit repas de Noël, revêts mon plus beau pull en laine rouge et m'enfonce dans mon canapé. J'allume la télé à la recherche d'un programme mais ne trouve rien.

Soudain, la cloche de ma porte tinte. Etonnée, je me lève et me dirige vers celle-ci. Je la déverrouille et l'ouvre. Sur le perron, se tient mon regretté amour. J'étouffe un cri et m'écroule sur le sol. Les larmes ruissellent sur ma figure, je me courbe et me cache. C'est impossible pour moi de me montrer sous ce jour à l'homme que j'ai toujours aimé. Pourtant, lui ne semble pas dérangé. Il se baisse et me soulève le menton. Il me jauge et m'offre un regard rempli de tendresse et de compassion. Incapable d'avoir une pensée cohérente tant les sentiments se mélangent dans ma tête, je réussis néanmoins à trouver la force de me reveler et l'invite à entrer. Comme un automate, je lui propose de se mettre à l'aise mais il refuse poliment. Je lui présente mes excuses parce que je ne suis pas présentable et que je n'ai rien à lui offrir. Il s'approche de moi, intetrrompt mon flots de paroles bancales en posant un doigt sur ma bouche et dit :

  • S'il te plait arrête, mon coeur. Je n'ai pas beaucoup de temps et j'ai des choses à te dire. Je ne peux ni manger, ni boire car je ne suis pas vraiment humain. Mais je suis là pour toi. Ce moment est à toi.
  • Lucas ? Lucas c'est toi ? C'est vraiment toi ? Alors il ne m'a pas menti ?

Je souris timidement et détaille le visage de mon ami. Il n'avait pas changé, il était toujours aussi beau. Ses yeux verts étaient toujours aussi perçants et ses cheveux toujours aussi désordonnés. Oui c'était bien lui, c'était bien mon Lucas. Incapable de résister plus longtemps, je me jette dans ses bras et pleure encore plus.

  • Si tu savais comme tu me manques. Je ne sais pas vivre sans toi. Ton absence est trop difficile à supporter. Je veux, je veux...

Lucas m'interrompt de nouveau.

  • Non, tu ne peux pas partir avec moi. Je ne veux pas que tu sois retenue par tes sentiments et que tu gâches ta vie en aimant un mort. Ecoute-moi, je t'aime et je ne cesserai jamais de t'aimer même si je ne partage plus ton quotidien. Tu as été la plus belle de mes rencontres et je ne pouvais pas rêver à meilleure compagne, mais j'ai été emporté et ma vie s'est achevée. Or ; toi, tu as toute la vie devant toi et c'est pour ça que j'ai accepté le marché de l'ange.
  • Le marché ?
  • Oui, il m'a dit qu'il t'avais accordé un voeu et que je pouvais me rendre à ton chevet une dernière fois. Je ne peux rester que jusqu'à minuit, ensuite je retournerai dans le monde des esprits pour toujours.
  • Il t'a dit ça ?
  • Oui, mais ça n'est pas le plus important. Je ne veux pas te voir comme ça, je ne supporte pas de te voir souffrir. Je n'ai jamais voulu te rendre malheureuse et ça vaut encore aujourd'hui même si je ne suis plus là.
  • Mais, je ne peux pas vivre sans toi. Tu n'es plus là, tu le dis toi-même !
  • Tu te trompes, je serais toujours avec toi car je dors dans ton coeur. Alors fais-moi plaisir et accorde moi cette dernière requête : vis ta vie et sois heureuse. Promets-le moi.
  • Mais... couiné-je.
  • Promets-le moi ! insiste Lucas.

Vaincu par la ténacité de mon ami, j'accepte le contrat et dis :

  • D'accord, je te le promet. Je ne gâcherai pas ma vie. Mais j'aimerais que tu m'accordes une dernière faveur ?
  • Laquelle ? Demande-t-il.
  • Reste avec moi, pour ce soir, l'heure est déjà bien avancée et je ne veux pas rester toute seule dans mon lit. Laisse-moi m'endormir une dernière fois au creux de tes bras et je te jure qu'à partir de demain j'essayerai de prendre soin de moi.
  • Très bien.

Je l'invite dans le salon et pendant toute la soirée, il me rassure et me cajole. Il me donne tout ce qu'il peut me donner et me propose même de me servir un dessert et un café. Il m'oblige à rester dans le salon, sous le plaid rouge qu'il m'avait offert lors de notre de dernier réveillon ensemble et vient me rapporter mon assiette. Il répond à mes moindres demandes et assouvit mes moindres désirs. Puis quand vient l'heure de dormir, il me porte jusqu'à mon lit. Là, il me borde et s'allonge à côté de moi. Avec douceur, il me caresse les cheveux et le visage. Je sombre dans un sommeil calme et réparateur, chose que je n'avais plus connu depuis sa mort. Mon corps se réchauffe et je sens en moi, une nouvelle flamme naître, signe d'un renouveau.

Le lendemain matin, je me réveille et constate qu'il a disparu. Il ne m'avait donc pas trompé, il est parti à minuit. Je m'assieds dans mon lit et essuie les quelques larmes qui coulent encore sur mes joues. Dans mon for intérieur, je remercie Gabriel de m'avoir accordé cet ultime présent. Je me lève et ouvre les volets. Dehors tout est blanc, la ville vient de revêtir son manteau hivernal. La tristesse réside encore en moi mais je sens autre chose poindre. J'inspire un grand coup et descends les escaliers. Au pied de mon petit sapin, je trouve un paquet. ll est signé de la main de Lucas. Je le déballe précautionneusement et découvre un petit écrin argenté dans lequel repose une chaîne en argent avec un pendentif en forme d'ange. Derrière, mon nom et celui de Lucas sont gravés. Emue, je l'attache à ma nuque et dépose un baiser sur le bijoux.

La journée s'annonce belle aujourd'hui, la neige est là et les rues sont vides. J'entends au loin le tintement des cloches de l'église qui sonnent la naissance du Christ. Cette nuit le Christ est né, mais moi aussi je viens de naître. Ou plutôt de renaître. Sur le chemin qui mène à la demeure de mes parents, alors que je m'extasie devant la beauté du paysage, je glisse sur une plaque de verglas. Je sens la chute arriver et je n'arrive pas à me rattraper. Je ferme alors les yeux comme pour ne pas voir l'ampleur des dégâts. Je pense que je vais me faire mal, mais quand je les ouvre, je constate que je suis debout. Je lève les yeux vers mon sauveur. Un jeune homme brun aux yeux noisettes vient de me tirer de ce mauvais pas. Les yeux ébahis, je le regarde et constate qu'il ressemble un peu à Lucas tout en étant différent. Il me sourit et me redresse, puis avec une voix rauque et pleine d'assurance, il me demande :

  • Est-ce que tout va bien mademoiselle ?

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