Le grand conseil

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L’Empereur tapotait des doigts sur l’immense table en marbre d’un air sévère en dévisageant sa cohorte de conseillers défiler devant lui, s’incliner puis s’asseoir, pleins d’angoisse et de crainte. Les minces filets de lumière qui s’invitaient par les petites fenêtres dépourvues de toute vitre révélaient des faciès broyés par la terreur. Lorsque tous eurent fini de s’installer, il asséna à son grand Vizir :

— Lisez !

Ce dernier, tremblant de peur, se saisit de la feuille placée en évidence sous son regard. Se retenant au mieux de bafouiller, le jeune homme, à la main aussi sûre que celle d’un vieillard, entama son récital :

— « Sire, J’ai le malheur de vous informer que votre neveu, le prince Shilan, ainsi que son épouse, ont été lâchement assassinés lors de leur visite officielle. Les responsables ne sont autres que les adeptes des trois pierres et leurs démoniaques sorciers, tout entiers dévoués aux forces du mal. Les coupables ont été arrêtés et seront châtiés de la plus sévère des façons, à moins que votre Grâce ne s’y oppose. Le reste du mouvement ne trouvera jamais le repos et chacun de ses membres se verra traqué et exterminé. Soyez sûr que ma famille et moi pleurons cette perte et endossons votre deuil. Votre dévoué serviteur, Irshan, satrape de Moufakdi. »

Le ministre reposa la lettre et essuya du revers de sa manche la sueur qui perlait sur son front dégarni.

— J’attends des explications.

Devant le silence de la pièce, seulement interrompu par quelques toussotements gênés, le souverain éleva la voix.

— Je n’ai pas conquis l’entièreté du monde connu pour que ma dynastie se fasse annihiler par de sales hérétiques ! Qu’avez accompli pour empêcher cela à part me bercer de belles paroles ? Ishmaïl ? Puis-je connaître vos actions en ce sens ?

Celui qui se remettait à peine de sa lecture n’osait pas affronter le regard de son seigneur. Comme si la chevelure grisonnante du Roi des rois pouvait l’éblouir, il détourna le regard et bafouilla quelques sons inintelligibles.

— Parlez plus fort !

— Toutes mes excuses, sire. Je disais seulement que j’avais envoyé des directives à tous vos vassaux leur expliquant…

— Vous expliquez au lieu d’ordonner ? Au nom de qui croyez-vous parler ? D’un serviteur ? D’un mendiant ? D’un esclave ?

Même la chaleur conjuguée du soleil de midi et des beaux jours d’été ne parvenaient pas à réchauffer l’endroit. Tout le monde frissonnait de peur devant la colère du maître des lieux.

— Toutes mes excuses, sire, je pensais que…

— Vous pensez beaucoup mais agissez peu. Qu’avez-vous entrepris à part envoyer des lettres ?

— Je… J’ai renvoyé des pigeons et ai régulièrement rappelé aux…

— Vous n’avez rien vérifié ? Vous ne vous êtes jamais déplacé ? Ne vous êtes-vous jamais imaginé que, peut-être, vos directives ne recevaient pas toute l’application qu’elles méritaient ? À quoi me servez-vous ? Je rentre enfin de campagne et voilà ce que je découvre ? Que mon autorité s’impose mieux hors de mes frontières qu’à l’intérieur. Que mes ministres se contentent d’écrire de jolis mots entre deux orgies. Qu’ils se vautrent dans le luxe et se complaisent dans la luxure au lieu d’accomplir les tâches qui leur ont été assignées.

— Je…

— Il suffit ! J’en ai assez de votre incompétence ! Mon Empire s’étend des mers du Brascogne au détroit d’Anshaï et du désert de Satoko aux glaciers de Sökolheim. Pourtant, mon emprise ne dépasse pas les murs de ma capitale. Maintenant que le monde m’appartient, je m’en vais le diriger ! Je m’en vais rappeler à tous ces maudits seigneurs la définition du mot vassal. Qu’aucun, pas même le plus éloigné, ne se pense à l’abri de mon courroux. Je veux que l’application de mes décrets soit systématiquement vérifiée et leurs résultats rapportés ! Conseillers, des idées pour ce faire ?

Le parterre de nobles demeurait vouté, les yeux fixés au sol, chacun priant pour que son voisin prenne une quelconque initiative et attire sur lui la fureur du Monarque. Soudain, un bégaiement s’éleva du fond de la salle.

— Nous pou… pou…

— Levez-vous et exprimez-vous d’une traite ou je vous fais décapiter sur le champ.

Le courageux personnage à la robe sertie déglutit puis se dressa sur ses jambes en regardant droit devant lui. Sans même qu’il ne s’en rende compte, il hurla :

— Nous pourrions exiger qu’ils rendent compte de leur action à travers des rapports, sire !

— Et comment pourrions-nous croire leurs dires. Chacun ne m’a-t-il pas juré fidélité et de combattre l’hérésie ? Regardez le résultat ! Un bout de papier ne changera rien.

Le pauvre garçon se rassit piteusement, et caressa son cou de ses doigts comme pour s’assurer que se tête y était encore bien attachée.

— Si… Si je puis me permettre.

— Archimage, levez-vous !

La jeune dame sauta sur ses pieds d’un seul coup, manqua de trébucher et renversa sa chaise. Sous les regards terrifiés de ses pairs, elle la ramassa maladroitement. Chaque crissement fendait le mutisme ambiant et exaspérait toujours un peu plus l’Empereur.

— Je vous demande pardon, sire. En ce qui concerne d’autres questions, je ne sais pas mais pour ce qui relève de la chasse aux infidèles, je dispose peut-être d’une solution.

— Parlez !

— Oui… Mon ordre peut, assez aisément, fabriquer un papyrus aux propriétés peu communes.

— Passez-moi les détails ou vous payerez d’un doigt chaque seconde que vous me volerez.

— Gloups. Bien. Nous pourrions envoyer ces parchemins à vos gouverneurs. Vos ennemis n’auront qu’à signer de leur sang ledit papier. Le rouge virera au noir lorsque la vie quittera leur corps. Ainsi, nous pourrons, sans discussion possible, évaluer l’étendue des mesures prises par les autorités locales.

— Hmm… Bien ! Nous procéderons ainsi. Je proclame l’exécution sans délai d’Ishmaïl ici présent et du satrape de Moufakdi pour incompétence. Archimage, vous remplacerez le grand vizir et veillerez à éradiquer la sédition de mon empire ! Ne me décevez pas. Je veux les premiers rapports d’ici trois mois. Gare à vous si les résultats n’atteignent pas mes attentes.

À ces mots, chacun s’inclina tandis que les gardes du palais se saisissaient du malheureux disgracié, trop assommé par la réunion pour se débattre ou même protester contre son arrestation et sa mise à mort prochaine. La magicienne elle-même, bien que promue, affichait le teint blafard des condamnés et ne perdit pas un instant pour se mettre au travail. Son salut plus que celui du pays en dépendait. Elle commença aussitôt à rédiger le message que chaque satrape recevrait. Elle devait leur transmettre la même peur qu’elle ressentait.

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