59. Confidences sans oreiller

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Julia

Je n’arrive pas à croire que Marina ait fait ça ! Non, mais sérieusement, qu’est-ce qui lui est passé par la tête ? A quel moment est-ce qu’elle s’est dit que se retrouver dans un camp de réfugiés était une bonne idée ? Est-ce qu’elle se rend compte que si mes hommes apprennent qui elle est, il ne faudra pas deux heures au Colonel pour débarquer avec la cavalerie et la faire arrêter ?

Elle me met dans une position vraiment merdique. Une part de moi comprend qu’elle ait pu vouloir passer Noël avec son fils, évidemment, mais à quel prix ? Les rebelles sont dans le camp et je me demande s’il n’y a pas autre chose derrière cette venue. Il n’y a pas grandes informations à récupérer pourtant, car les réfugiés n’entrent pas dans la grange, où se trouve la salle des opérations. Il leur serait difficile de passer inaperçus ici, puisque mes hommes dorment tous là et qu’il y a du monde tout le temps.

Je soupire et referme mon ordinateur. Le Colonel est maintenant informé que de nouveaux réfugiés sont arrivés, et que les sapins sont en cours d’installation. Marina a intérêt à faire attention, Justine a déjà pris une tonne de photos et il ne manquerait plus qu’elle se retrouve sur le site de l’ONG et qu’un membre du Gouvernement silvanien la reconnaisse… Bon sang, il faut que j’arrête de baliser avec ces conneries. Elle va passer deux ou trois jours ici et repartir, j’imagine, il n’y a pas de raison que cela se passe mal.

Il est déjà tard et je ne suis toujours pas allée retrouver Arthur. J’en ai envie, mais je sais que ce n’est pas une bonne idée. Pour autant, j’aimerais également pouvoir observer un peu la Gitane, essayer de comprendre si son idée était vraiment simplement de passer Noël avec son fils. Et j’ai envie de voir Lila. Noël loin de ses proches, ce n’est pas la chose la plus facile à vivre et la présence de la petite est un baume au cœur non négligeable. Trop de points positifs qui exterminent le seul point négatif qui pourrait m’empêcher de les rejoindre. Ne pas craquer est devenu ma principale mission ici.

Je me déshabille et fais une toilette de chat quand on frappe de manière assez brutale à la porte de mes quartiers. C’est toujours au mauvais moment, ça…

- C’est qui ?

- C’est moi, Ju.

Ok, est-ce qu’une nouvelle dispute est au programme ? On n’arrête pas en ce moment, c’est épuisant. J’essaie de me mettre en conditions en enfilant mon débardeur et une culotte, avant de lui ouvrir. Plus vite on entre dans le vif du sujet et plus vite je suis tranquille. Snow entre alors que je reste derrière la porte pour ne pas être vue d’autres potentiels yeux dans le coin. Tout de suite, je vois à son regard courroucé qu’il est en colère et je pense que je sais pourquoi. A peine la porte refermée derrière lui, il attaque directement dans le vif du sujet.

- Tu vas vraiment la laisser s’installer parmi nous ? Il va en dire quoi, le Colonel ?

- Elle ne fait que passer, Snow, elle ne restera pas longtemps… On va les surveiller pour être sûrs qu’ils ne posent pas de problème, mais je ne pense pas qu’ils soient là pour de mauvaises raisons. Elle est dingue, la Gitane, elle a dû faire ça sans rien anticiper.

- Tu parles, la Gitane, ça fait plus de vingt ans qu’elle est dans la rébellion, elle anticipe tout. Tu imagines si elle vient ici pour recruter ? Ou si elle est ici pour commencer une révolte et s’emparer de tout notre matériel ? Ju, on peut pas la laisser parmi nous ! Il faut faire quelque chose !

- Elle est là, tu veux faire quoi, la sortir de force devant tous les réfugiés ? Digne d’une campagne de recrutement pour les rebelles, l’armée qui vire une vieille femme d’un camp où on est censé l’accueillir à bras ouverts.

Je capte alors le regard de Snow qui vient de se rendre compte de la tenue dans laquelle je suis. Ses yeux se posent sur mes jambes nues puis remontent vers ma poitrine qui se dessine clairement sous mon tee-shirt. Il a l’air complètement décontenancé par cette vision et semble perdre tous ses moyens et toute l’agressivité avec laquelle il était arrivé.

- Oui, enfin... Peut-être... Mais… On est censé accueillir, se reprend-il, mais tu ne crois quand même pas qu’elle est seulement venue pour voir son fils ? C’est pas possible, un truc comme ça, si ?

- J’espère que ça l’est, soupiré-je en enfilant mon pantalon, assez mal à l’aise. Elle ne l’a pas vu depuis plus de vingt ans, j’imagine qu’elle veut profiter qu’il soit dans le coin pour se rapprocher de lui. Je suis sûre que si ma mère le pouvait, elle débarquerait pour Noël, elle aussi.

- Ju, il faut que tu ailles parler à Arthur, que tu lui expliques le danger que représente la présence de sa mère parmi nous. Je suis sûr qu’il n’en a pas conscience. Et il faut qu’il agisse vite. Tous les réfugiés sont déjà au courant, c’est certain. Ce n’est qu’une question de temps avant que les soldats le soient aussi. On est dans la merde… Désolé d’avoir débarqué ainsi dans ta chambre, mais bordel, elle nous met tous en danger là !

- Je sais, j’allais justement y aller, Monsieur le Bougon. Respire un coup, j’espère bien que les réfugiés seront discrets.

- Tu allais y aller en petite tenue comme ça ? C’est vrai que ça peut marcher, je connais pas de meilleurs arguments, se moque-t-il gentiment.

- Arrête tes conneries, bougonné-je en lui lançant une bourrade dans l’épaule. Le corps humain n’est pas un argument, foutu macho.

- Je suis pas sûr que tu aies beaucoup d’autres arguments là. Entre le rêveur et la fanatique, nous ne sommes pas sauvés. Tu penses qu’on peut tenir combien de temps avant de devoir prévenir le Colonel ?

- Je viens de lui envoyer un message pour le prévenir que de nouveaux Silvaniens sont arrivés. On verra où ça nous mène… J’espère qu’elle ne restera pas très longtemps et que les rumeurs ne seront pas trop nombreuses. Tu veux bien te retourner, s’il te plaît ? J’aimerais finir de m’habiller, ris-je en récupérant ma brassière absolument pas sexy.

- Tu ne veux pas que je donne mon avis sur la marchandise pour voir si tes arguments seront convaincants ? rit-il avant de se retourner respectueusement et de reprendre. Ça pue, tout ça, Ju. J’ai jamais été dans une mission qui dérape autant. Et le pire, c’est que tu n’y es pour rien. Sans toi, ce serait encore plus la catastrophe.

- On remerciera la famille Zrinkak à la fin de la mission ? ris-je en enlevant mon débardeur pour enfiler ma brassière. Pour la marchandise, tu as vu tellement de roploplos que je vais complexer, donc hors de question que tu donnes ton avis.

- Je t’assure que tu n’as pas à complexer mais bon, tu ne veux pas mon avis, alors je m’arrête là. Tu sais, plus j’y pense et plus je me dis que les troupes ne vont rien savoir de sa présence. Tu te souviens quand les réfugiés sont partis rejoindre la rébellion ? Personne n’était au courant parmi les soldats. Si tu arrives à tirer les vers du nez du Bûcheron et confirmer que sa mère est juste là pour des vacances, on peut s’en sortir sans catastrophe. Bon, tu es décente ou pas ?

- Pourquoi, parler au mur ne te plaît pas ? Je t’ai pourtant déjà vu tout près d’un mur avec Justine et ça ne semblait pas te gêner, mais tu avais le treillis aux chevilles, me moqué-je. Tu peux te retourner, j’ai perdu deux tailles de bonnet avec ce soutif de merde et enfilé un tee-shirt.

- Oh ça va, ça va. Je ne sais pas ce qu’il se passe avec Justine, mais je sais que je suis accro. J’arrive pas à résister, c’est dingue. Mais promis, on fait gaffe. Et je dois te dire que je t’admire pour ta capacité à résister à la tentation avec le Bûcheron. Moi, j’y arrive clairement pas !

- Snow amoureux, qui l’eut cru ! ris-je. Je n’ai pas le choix, et puis il m’a clairement dit que pour lui c’était s’amuser pendant la mission et arrêter à la fin, puisque chacun a sa vie une fois rentrés. J’ai pas envie de m’attacher davantage et de me retrouver seule une fois à la maison, mon petit cœur n’aimera pas ça.

- Et tu le crois ? Tu as vu comme il te bouffe des yeux ? Pour moi, ça va au-delà du simple amusement, clairement !

Je bougonne en enfilant mon manteau et ne réponds pas immédiatement. Bouffer des yeux, ça ne veut rien dire. On fait ça quand une personne nous plaît, pas forcément quand il y a plus que l’attirance physique. La preuve, Snow m'a “bouffé des yeux” il y a quelques minutes seulement. Bref, je n’ai pas vraiment envie d’épiloguer sur ma non-relation avec Arthur, de toute façon.

- On verra bien. De toute façon, ici, je ne peux pas. Et on n’est pas là pour ça, à la base, Monsieur le baiseur compulsif.

- Vu que la mission risque de se terminer rapidement en fiasco total, je préfère joindre l'utile à l'agréable tant que je peux, si tu vois ce que je veux dire !

- Je te remercie pour ton optimisme, ça fait bien plaisir ! Et ça va, Justine n’est pas trop jalouse du temps que tu passes avec moi ?

- Si elle savait dans quelle tenue tu m'accueilles, elle le serait sûrement, Jolies Jambes !

- Si elle savait ce que Myriam fait avec toi sous la douche, elle le serait encore plus, ris-je avant de l’embrasser sur la joue. Je suis contente pour toi, Mathias.

- Et moi, j'espère que le Bûcheron ne va pas te briser le cœur, sinon je lui rase sa barbe et je le donne en pâture aux vaches qu'il nous a fait amener ici !

- Ah non, pas la barbe, m’esclaffé-je. T’es fou, on a trop l’habitude de le voir barbu, il aurait sans doute l’air d’un bébé sans. Et je peux t’assurer que la barbe, ça fait son petit effet supplémentaire, notamment pendant un cunni, ce n’est pas négligeable !

- Je peux prendre ça comme une invitation à me laisser pousser la mienne pour voir l'effet sur ces dames ?

- Pas en mission, Beau blond, sinon, ce sont les latrines qui t’attendent ! Une fois rentré chez toi, tu fais ce que tu veux, et c’est une très forte invitation, oui !

- Pas étonnant que tu craques pour le seul barbu du camp alors. Je note pour la fin de la mission, en tous cas. Peut-être que tu viendras voir ce que ça donne ?

- Ne me tente pas trop, tu risquerais d’y perdre des plumes, ris-je en promenant mes doigts sur son torse. Il en faut dans le pantalon pour satisfaire une Lieutenant, Sergent.

- On verra. Si ton Bûcheron et sa collègue nous abandonnent, on se consolera mutuellement !

Il est fou. Joueur et fou. Est-ce que lui aussi fait le genre de rêves que j’ai fait ? Mon Dieu, je ne peux pas m’imaginer coucher avec Mathias, quand bien même c’est un beau garçon, un homme adorable et un ami et collègue sur qui je sais pouvoir compter. Évidemment qu’il est attirant, et il le sait, le bougre, mais jouer à ça serait bien trop risqué pour tout ce qui fait notre vie. J’aime trop sa présence à mes côtés pour aller tout gâcher avec un coup d’un soir et le malaise qui en découlerait.

- Même pas en rêve, Snow, je suis sûre qu’il n’y a que moi qui te résiste et j’ai envie de rester cette exception, me moqué-je.

- Peut-être que me voir barbu te fera craquer, Lieutenant. Mais c'est pas une bonne idée. J'aime beaucoup nos petits échanges, mais ce serait malsain d'aller plus loin. Allez, tu es toute belle, c'est parti pour la mission confessions intimes sur l'oreiller ! Janette Bond, au boulot !

- On est au moins d’accord sur une chose, et je préfère ça plutôt que de me piocher le nez avec toi. A plus tard, Sergent de mon cœur d'artichaut !

Je l’embrasse sur la joue et sors de mes quartiers avec le cœur plus léger. C’est vrai que ces derniers temps, nous avons souvent des avis divergents et j’ai peur que, sur le long terme, notre amitié en pâtisse. Mathias est un militaire adepte de l’ordre et qui déteste prendre des chemins de traverse, ce qui est plutôt incompatible avec mon besoin de tout risquer pour ce en quoi je crois. Pourtant, jamais il ne m’a lâchée et est toujours de bon conseil.

J’ai bien peur que le moment à venir soit un peu moins agréable. Si Mathias a bien raison sur un point, c’est qu’Arthur n’a sans aucun doute aucune idée des risques que nous prenons à accueillir Marina ici. Je n’ai rien contre la Gitane, même si elle m’a clairement agacée à son arrivée. Tant qu’elle ne fout pas la merde sur mon camp, tout devrait bien se passer. Il faut qu’elle soit discrète et ne déroge à aucune règle, et surtout qu’elle ne tente rien qui pourrait nous mettre dans la panade. Et puis, il va falloir qu’elle ait bien en tête que je ne suis pas la petite-amie de son fils, et qu’elle la boucle à ce sujet. Bref, autant dire que mon Bûcheron risque de ne pas trop apprécier la conversation que nous allons avoir.

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