63. Slow burn

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Julia

J’observe notre réfectoire de fortune, aménagé et décoré pour l’occasion, et me réjouis de voir que l’ambiance est plutôt bonne. Certains de mes hommes semblent bouder un peu, comme si se mêler aux réfugiés risquait de leur refiler le scorbut. Heureusement, ce n’est pas le sentiment qui prédomine, et je vois aussi des soldats tenter de discuter avec des Silvaniens.

Je ne sais pas ce que je préfère : Lila et sa jolie robe ou Arthur qui s’est apprêté. Peut-être que la combinaison Lila sur les genoux d’Arthur, à mes côtés, est ce qui me plaît le plus, au final. Beaucoup plus que de voir Marina faire son petit manège et se promener telle une reine de table en table. Elle en impose, la Gitane, et ça m’agace. Je suis certaine qu’elle est prête à rallier tous les réfugiés à sa cause, avec son apparence innocente et un peu folle, et ses jolis mots plein d’espoir.

Je suis tirée de mes pensées, et de mon observation, par un Snow qui tire la chaise devant nous pour que Justine puisse s’asseoir. Le mec est hyper accro, c’est fou ! Où est passé le mec qui faisait mine de m’aider à monter sur le mur du parcours du combattant avant de me rire au nez et de me laisser me démerder, coincée là-haut à la seule force de mes bras ? La galanterie n’a jamais été sa qualité première, aussi gentil soit-il.

Arthur se renfrogne en le voyant s’asseoir face à moi, et la situation est plutôt cocasse. Il boude en s’imaginant encore mille choses, je suis sûre, alors que Mathias n’a d’yeux que pour sa collègue, qui pose son gros appareil photo sur la table.

- Elle est très jolie ta robe, Lila, je suis jalouse tu sais, dis-je en me tournant vers le Bûcheron. J’ai l’air ridicule dans mon treillis, c’est pas drôle.

- Pourquoi tu n’as pas mis une robe comme moi ou Justine ? Tu n’en as pas ? Il fallait demander à Lorena, c’est elle qui a donné la mienne !

- J’aurais dû oui, mais tu sais, je travaille ce soir et à l’armée, ils ne rigolent pas, souris-je avant de baisser la voix. Arthur, tu es très élégant. Un peu moins Bûcheron, mais ça te va bien aussi.

- Merci, Julia, mais je pense que je n’ai pas encore fait assez d’effort pour ma mère, soupire-t-il en jetant un œil vers elle. Et je suis d’accord avec Lila, je suis sûr que tu aurais été encore plus belle en robe.

- Ta mère en a fait trop, on dirait un Toréador qui se pavane, moqueuse, devant le taureau nommé armée genre “je suis la Gitane mais vous ne le savez pas, bande d’imbéciles”, marmonné-je.

- Oui, je suis sûr que ça l’amuse, me dit-il alors que son regard ne me quitte plus et qu’il profite visiblement de notre proximité. Tu t’es maquillée, non ?

- Un peu oui, ris-je, flattée qu’il ait remarqué. C’est très discret, je vois que tu as l'œil.

- Toujours quand il s’agit de toi, Julia.

J’espère qu’il n’a pas suffisamment l'œil pour voir que je dois rougir, mais je m’oblige à ne pas détourner le regard. Il est vraiment très élégant et mes hormones font une danse qui n’a rien de désagréable dans tout mon corps. Ma volonté vacille toujours plus en sa présence, et je me demande comment je fais pour résister alors que tout son corps appelle le mien chaque fois que je suis en sa présence. J’ai envie de le toucher, de me lover contre lui, de redécouvrir le goût de ses lèvres, de sa peau, envie de retrouver notre complicité, notre promiscuité.

La main qui se pose sur mon épaule me fait sursauter. Perdue dans mes pensées, je me suis totalement déconnectée de la réalité, plongée dans les yeux du Bûcheron à mes côtés.

- Lieutenant, vous nous faites un petit discours ?

- Je ne pense pas que ce soit nécessaire, Marina, la soirée est lancée, je ne voudrais pas plomber l’ambiance.

- Vous devriez, c’est important de motiver les troupes, vous savez ?

- Maman, laisse donc Julia tranquille. C’est elle qui dirige ici, pas toi.

- Oh si ! Lieutenant ! C’est une bonne idée, intervient ce traître de Snow avec un sourire. Et comme ça, Justine pourra prendre une belle photo émouvante ! Allez, un discours, Julia !

- Je suis déjà de corvée demain matin au lever de drapeau, je ne vais pas enquiquiner tout le monde ce soir, bougonné-je, pas du tout disposée à m’exposer ce soir. Je vais plomber l’ambiance en plus, tu me connais, je parle toujours de ce qu’il ne faut pas.

- Et si on y allait tous les deux ? Ma mère a raison sur le fait de motiver les troupes. Et puis, me dit Arthur en posant sa main sur mon genou et en se penchant vers moi pour parler tout doucement, peut-être qu’après ça on pourra s’éclipser discrètement ?

Je recule légèrement pour observer l’humanitaire, dont la voix semble me proposer bon nombre de plans tous plus indécents les uns que les autres. Ou bien c’est ma libido qui parle ? Très mauvaise idée de s’éclipser, il est fou ou quoi ? Très tentant également, si je veux être honnête.

- Vas-y toi, si tu veux, soupiré-je. Je n’ai rien à dire de particulier.

Arthur se lève avec un sourire en coin et m’attrape la main pour m’inciter à faire de même. Merde… Lui aussi est un traître. Il m’entraîne malgré moi vers le centre de la pièce où une jeune Silvanienne vient de terminer de chanter sous les applaudissements de la salle.

- Arthur, je t’en prie, qu’est-ce que tu veux qu’on leur dise ? Laissons-les tranquilles ce soir, tenté-je encore.

- On va improviser, ne t’inquiète pas, je gère.

Son assurance est assez excitante, je dois avouer, et son bras sur mon dos qui m'entraîne et me guide me donne envie de lui offrir à nouveau tout ce qu’on a partagé ensemble pendant notre petit séjour chez les rebelles.

Nous nous retrouvons rapidement sur la scène et je vois défiler dans leurs yeux les dizaines de questions que se posent mes hommes en m’observant monter. Non les gars, hors de question de chanter devant vous, vous rêvez. Je fais signe à Arthur de prendre le micro. Puisqu’il m’a dit qu’il gérait, autant le laisser assumer.

- Bonsoir à tous ! lance le barbu à mes côtés tel le Monsieur Loyal dans l’arène.

Je suis surprise de voir que son ton enjoué et son enthousiasme suffisent à ce que tout le monde se taise et l’écoute avec attention. On dirait presque qu’une aura se dégage de lui. C’est bien le fils de la Gitane qui est à mes côtés !

- Je ne vais pas faire long, ne vous inquiétez-pas, reprend-il, mais La Lieutenant Vidal et moi-même voulions vous féliciter pour tout ce qu’il se passe dans le camp. Tout est bien tenu, tout est bien ordonné, tout se passe bien et c’est grâce à vous si nous pouvons en profiter ce soir pour célébrer Noël ! Bravo à vous !

Une fois les applaudissements terminés, il reprend et répète son discours en Silvanien, enfin je pense, et la fin de sa diatribe est marquée par le hululement des femmes présentes et les cris d’encouragement des hommes.

- Nous vous souhaitons donc à tous un Joyeux Noël ! Que ce Noël soit le dernier que vous passerez dans un camp et que cette nouvelle année qui arrive permette la résolution de tous les conflits !

Arthur me surprend alors en chantant a capella la célèbre chanson de Simon and Garfunkel, Scarborough fair. Il a une voix magnifique et elle s’élève douce et plaintive entre les tables. Cette chanson doit être populaire parmi les Silvaniens car Arthur est bientôt rejoint par les réfugiés qui se joignent à lui pour parler de thym, romarin, sauge et persil, et surtout d’amour. Même les soldats se joignent à lui dans un moment de rare communion qui m’émeut particulièrement. Quand la chanson s’arrête, un silence presque religieux se fait, avant que la Gitane ne lance les applaudissements auxquels se joint bientôt toute l’assemblée.

Après une petite révérence au public, je suis soulagée de voir qu’Arthur m’entraîne à sa suite vers notre petite table dans le coin sans que j’aie à chanter ou à me produire. Il est arrêté par quelques personnes qui le prennent dans leurs bras et je crois que le Bûcheron apprécie de se sentir chez lui auprès des Silvaniens, vu son sourire.

- Voilà, les troupes sont motivées par notre chef humanitaire, souris-je en reposant mes fesses sur ma chaise. Joli discours, Monsieur Zrinkak, et quel talent !

- Merci, je me suis un peu laissé aller, mais content que ça t’ait plu. J’ai adoré ton discours aussi, ajoute-t-il, un sourire moqueur aux lèvres.

- J’avais prévenu que je ne voulais pas parler, ris-je. Tu t’en es très bien sorti sans moi.

- Oh non, je m’en suis très bien sorti car tu étais là, à mes côtés. Comme ici, dans le camp, ta présence est rassurante et nécessaire, me dit-il en plongeant ses magnifiques yeux dans les miens.

Ne lui saute pas dessus, ne lui saute pas dessus, ne lui saute pas dessus. Respire un coup, Julia, et garde contenance. Merde, depuis quand j’ai une petite voix qui me parle, moi ?

- Eh bien, pour un mec qui ne supportait pas l’armée, je te trouve bien positif à notre égard à présent, ris-je pour masquer mon trouble.

- Qui a dit que c’est l’armée que je supportais, Julia ? Tu sais très bien ce que je veux dire et qui me rend si positif.

Il détourne le regard vers Lila qui se trémousse sur une chanson traditionnelle silvanienne jouée, sur scène, à l’accordéon, par un homme sans âge aux cheveux gris. Quand la chanson se termine, il enchaîne par une musique beaucoup plus calme. Quelqu’un va éteindre quelques lumières, créant une atmosphère encore plus tamisée et sombre et je vois plusieurs couples de Silvaniens se lancer sur la piste de danse pour le slow qui débute. Mathias s’empresse d’inviter Justine qui le suit avec un plaisir non dissimulé. Arthur a posé à nouveau ses yeux sur moi. Je vois qu’il hésite à m’inviter et se demande si c’est une bonne idée.

- Avec plaisir, Monsieur Zrinkak, dis-je en lui faisant un clin d'œil avant de me lever.

Je n’attends pas sa réponse et me dirige vers la piste de danse, priant pour avoir bien capté son intention et ne pas me retrouver seule comme une conne au milieu de tous ces couples. Je contourne la piste pour me mettre au plus loin des tables et éviter d’avoir trop de regards militaires sur moi, et un sourire se dessine sur mes lèvres quand je sens la main d’Arthur se poser au creux de mes reins pour m’accompagner.

- Pour être honnête, j’ai eu peur d’avoir mal interprété ton regard, ris-je en glissant respectueusement mes bras autour de son cou.

- Et moi, j’ai eu peur que tu te sauves parce que je n’ai pas su dissimuler l’envie que j’avais de danser avec toi.

- J’ai l’horrible impression de transgresser un interdit, là, et c’est… Grisant. C’est mal, docteur ? Il va falloir que je consulte. Ignorer les règles pour une gradée, c’est signe de folie. Pardon, je parle toute seule, tu devrais fuir.

- S’il y a bien une chose que je n’ai pas envie de faire là tout de suite, c’est fuir. Tu sens bon, Julia.

Il passe ses mains dans mon dos et me serre plus fort contre lui, me collant contre son torse alors que je sens sa barbe venir effleurer ma joue. Rester de marbre va être une torture, c’est sûr.

- On a reçu un gel douche dans notre colis de Noël, vanille et coco. Tu remercieras les bonnes oeuvres, ris-je.

- Tu n’hésites pas à me dire si tu as besoin de quelqu’un pour te frotter le dos, me chuchote-t-il à l’oreille. Tu sais que tu peux compter sur moi.

- Je prends note, dis-je en soupirant, caressant, je l’espère discrètement, sa nuque de mon pouce. C’est très tentant. Dans un autre contexte… Nous serions déjà en route pour cette douche.

- Arrête de penser au contexte, Julia, même si ce n’est que pour les quelques minutes que dure cette danse. J’ai envie de toi. J’ai envie de te retrouver, de retrouver ce qu’on a vécu chez ma mère. J’ai envie de rouvrir la parenthèse, quelles qu’en soient les conséquences.

Sa voix est rauque et son souffle est un peu court alors que je colle ma joue contre la sienne pour éviter de me perdre dans son regard enfiévré.

- Tu as toujours le don de parler de ta mère dans des moments inopportuns, Arthur. Déjà la dernière fois, me moqué-je gentiment.

- Si c’est tout ce que tu retiens de ce que j’ai dit, c’est que je vais devoir me faire une raison et essayer de passer à autre chose.

Il a l’air blessé par mes paroles et je le sens qui reprend tout de suite un peu de distance même si le slow continue et qu’il est toujours contre moi.

- Crois-moi, je retiens bien plus de choses. J’appuie juste sur celles qui me permettent de ne pas flancher, Monsieur Zrinkak…

- Foutue armée. Foutue guerre, grogne-t-il alors qu’il est à nouveau complètement détendu et serré contre moi.

Cet homme est d’une telle susceptibilité, c’est fou.

- Sans cette armée et sans cette guerre, nos chemins ne se seraient pas croisés et cette délicieuse parenthèse n’aurait pas eu lieu, attention à ce que tu dis quand même, je vais me vexer.

- C’est vrai, tu as raison. Je ne voudrais surtout pas te fâcher le soir de Noël, ajoute-t-il alors que la musique s’arrête déjà et que les lumières sont toutes rallumées.

- Merci pour la danse, le Bûcheron, un plaisir, murmuré-je à son oreille avant de l’embrasser sur la joue et de quitter son étreinte. Je vais devoir y aller, j’ai pris un tour de garde pour libérer l’un de mes hommes posté sur le balcon de la maison.

- Oh tu pars déjà ? Dommage. J’aurais aimé que cette chanson ne finisse jamais, souffle-t-il, bouillant de désir.

- Moi aussi… Encore une jolie parenthèse, Monsieur Zrinkak, souris-je avant de le dépasser pour quitter le réfectoire.

Quelque chose me dit que je ne vais pas tenir. Ça m’ennuie autant que ça me plaît, si je suis honnête avec moi-même. Je risque gros, mais le prix est très tentant. Arthur me plaît vraiment, et ça me fiche un peu la trouille aussi. Lui qui m’a clairement dit qu’après la mission il ne lui semblait pas possible de tenter quoi que ce soit au vu de nos boulots. Qu’est-ce que deux petits mois à profiter avant mon retour en France ? Du plaisir, de sexe, des orgasmes, de la tendresse ? Et un cœur brisé à la fin ? Je ne sais plus quoi penser...

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