17. Master of arms

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Julia

Le regard que me lance Snow en venant s’installer à table avec nous me laisse perplexe. Est-ce que ça le fait rire de me voir déjeuner avec Arthur ? Est-ce que ça l’agace ? La moue qu’il a tirée, en tous cas, ne me permet pas de déterminer son état d’esprit alors qu’il soupire en déposant son plateau.

- Heu… Je peux, c’est bon ?

- Oui oui, bien sûr. Comment se passe la journée ?

- Je ne vais pas te parler boulot alors que tu es de repos, Julia.

- Oh ça va, trois minutes, c’est pas la fin du monde, ris-je.

- C’est moi le Chef aujourd’hui, Lieutenant, c’est moi qui décide. Arthur, vous arrivez à la supporter, ça va ?

- Oui, elle fait une bonne bénévole. Un peu trop armée, mais bon, personne n’est parfait !

- Elle ne la lâche pas, elle se sent à poil sans son Pamas, rit-il avant que je ne lui donne un coup de pied dans le tibia. Mollo la violence ou je te colle de latrines, soldat.

- Tu vas te détendre ou Collins atterrit dans ton équipe dès demain.

- Ok, ok, j’arrête.

- Ça vaut mieux pour toi oui, ris-je. Arthur, en parlant de Pamas, le parcours de tir est libre cet après-midi, ça te tente ?

- Après ta venue dans mon monde, c’est à moi de venir dans le tien, c’est ça ?

- C’est ça. Et puis, je dois être en manque. Tu sais, les soldats, à part tirer, dis-je en lui faisant un clin d'œil.

- Les humanitaires aiment bien tirer un coup aussi, je t’assure, me répond-il, espiègle. Je suis partant en tous cas pour une séance de tirs.

- Eh bien, il se lâche, rit Mathias en me regardant, clairement amusé. Arthur, je te souhaite bon courage si tu veux la décoincer, la Julia. Va falloir chercher ailleurs si tu veux tirer un coup, jamais en mission !

- Il ne faut jamais dire jamais, Snow. Mais je vais juste tirer sur des cibles, ce sera déjà bien.

- C’est bon, vous avez fini ? bougonné-je en me levant. Les mecs ne pensent vraiment qu’à ça, c’est insupportable. Arthur, on se retrouve dans une demi-heure devant le portail ?

- Oui, mon Lieutenant, dit-il en se mettant dans un garde à vous un peu moqueur qui ne ressemble à rien.

- Fais attention, tout le réfectoire risque de se moquer de toi, et ils auraient tous raison, d’ailleurs, ris-je. Snow, je reste joignable en cas de problème, n’hésite pas. Si tu gères le camp comme tu gères tes aventures, on est mal.

- Dit-elle, c’est toi qui as le plus d’emmerdes avec tes aventures, Lieutenant !

- C’est ça. A plus tard, Mathias.

Je vais déposer mon plateau et file à l’armurerie préparer notre paquetage pour la sortie. J’ai proposé ça sans vraiment réfléchir, et je me demande si c’est vraiment une bonne idée. Moi qui suis plus ou moins en repos, je risque de rapidement reprendre mes habitudes de dirigeante quand il aura le Pamas à la main.

Après avoir glissé une tenue dans le sac et tout le nécessaire pour la sécurité et l’entraînement, je regagne mes quartiers pour enfiler mon tee-shirt et ma veste de treillis, et m’équipe. Pour une journée de repos, je finis habillée quasiment comme si je partais en mission et, le pire, c’est que ça ne me dérange pas le moins du monde.

Arthur est déjà devant le portail lorsque j’y arrive, et il grimace en me voyant lui tendre un treillis.

- On sort du camp, Arthur, entraînement militaire, souris-je.

- Ouais, c’est pas confortable tout ça. Je me change où ? Pas ici devant le portail quand même ?

- Où tu veux, écoute, va aux sanitaires, peu m’importe, ris-je.

- Ouais, j’aime pas les habitudes des militaires. Ils passent leur temps à se montrer à leurs potes.

- Quelle petite nature ! Allez, bouge-toi, on ne va pas y passer l’après-midi non plus, me moqué-je.

Arthur lève les yeux au ciel avant de me faire une grimace et file aux sanitaires. Une vraie gonzesse, le mec. Bon, j’avoue, le spectacle à son retour valait l’attente. Y a pas photo, la tenue de soldat, ça fait son petit effet. Le treillis lui va particulièrement bien et fait ressortir sa carrure plutôt musclée. Si la barbe dénote du soldat, pour le coup, j’aurais presque envie d’ordonner à mes hommes d’arrêter le rasage de près, parce que je peux clairement sentir le réveil de mes hormones en hibernation pour cause de mission. Bon, soyons honnête, Arthur a tout ce qu’il faut pour plaire sans ça et je crois que je pourrais me perdre dans ses yeux bleus comme l’océan bien avant de remarquer le treillis, si je me laissais aller à penser à autre chose qu’au boulot. J’en viens à avoir hâte de pouvoir l’observer arme à la main, je délire complètement.

Je lève les yeux au ciel et soupire en tentant de me reprendre, ce qui est tout de suite mal interprété par mon collègue de tir.

- Un problème ? Je suis boutonné comme un menteur ?

- Non non, marmonné-je en récupérant mon sac. Allons-y, on a un petit moment de marche avant d’arriver.

Je fais signe au soldat qui garde l’entrée de nous ouvrir et nous quittons le camp pour nous engouffrer dans la forêt. Le drone a fait du repérage et nous ne risquons normalement rien, pour autant, je garde mon Famas en main et suis aux aguets. Arthur ne pipe pas mot, sans doute plus conscient aujourd’hui que jamais des dangers qui rôdent.

Lorsque nous rejoignons la prairie que mes hommes ont partiellement aménagée en stand de tir, les quelques hommes présents se mettent au garde à vous en constatant ma présence. Je ne m’attarde pas sur les protocoles et leur fais signe de poursuivre leurs exercices, entraînant avec moi Arthur.

- Donc, tu as déjà tiré ? lui demandé-je en déposant mon sac pour en sortir un Pamas, cette petite arme de poing que tout militaire a à la hanche en mission.

- Oui, j’ai déjà tiré. J’avais besoin d’apprendre pour… me rassurer, on va dire.

- Bien, alors ça va être du gâteau, ris-je en chargeant l’arme avant de la lui tendre.

- On va voir si j’ai oublié ou pas, répond-il en se mettant en position.

Je l’admire alors qu’il se penche un peu vers l’avant, les bras en avant pour viser la cible. C’est clair qu’il a la bonne position. Je me demande si le résultat va être à la hauteur de son discours, s’il va réussir à toucher la cible.

- S’il y a un ennemi en face de toi, tu n’auras pas dix secondes pour ajuster ton tir, quand même, dis-je juste avant qu’il n’appuie sur la gâchette.

- Mais ! crie-t-il alors que son bras se lève et que son coup de feu part à des mètres au-dessus de la cible. Tu fais exprès de me déconcentrer ?

- Pardon, si on est pris dans une embuscade, je demanderai à tout le monde de se taire pour que tu puisses viser tranquillement, me moqué-je gentiment.

- Fallait dire que ce n’était pas qu’un test de tir, mais une mise en situation, grommelle-t-il avant de se repositionner plus rapidement.

Il arme son tir et, sans se poser plus de questions, décoche quatre coups d’affilée.. Qui atteignent tous des points vitaux sur la cible. Il aurait été en situation réelle de combat, on aurait potentiellement eu quatre ennemis hors d’état de nuire. Impressionnant ! Il se retourne vers moi, fier de son tir, et je ne peux m’empêcher de chercher quelque chose à critiquer pour le remettre à sa place. Mauvaise habitude d’une insatisfaite perpétuelle. Ou juste pour masquer que je suis impressionnée ?

- Pas mal, mais tes bras sont un peu mous, ça pourrait te jouer des tours avec des cibles en mouvement.

- Vous avez un moyen de faire bouger les cibles ? me demande-t-il en perdant son joli sourire. Que je te montre si je suis mou !

- Non, on n’a pas d’électricité ici. C’étaient de beaux tirs, bravo. Tu veux essayer sur un parcours ?

- Ça veut dire quoi, un parcours ?

- Regarde, là-bas, dis-je en lui montrant les hommes en mouvement. Des cibles sur une plus longue distance, des obstacles, tu ne restes pas statique et dois aller le plus vite possible.

- Ça s'essaie. Mais il faut que tu le fasses aussi et qu’on voie qui réussit le mieux !!

- Tu oses défier Lucky Luke ? ris-je. Je te préviens, au moins la moitié des hommes va arrêter de s’entraîner pour nous regarder si je m’engage là-dedans. Y a déjà des regards curieux.

- Tu as peur de perdre devant tes hommes ! dit-il en éclatant de rire. Alors, Julia, un défi, ça s’accepte, non ?

- Très bien, si tu veux. Allons-y alors.

J’attrape le sac et rejoins mes hommes en plein entraînement, suivie de près par Arthur qui semble bien sûr de lui.

- Vous nous libérez le parcours quelques minutes, Messieurs ?

- Oui Lieutenant, me répondent-ils en chœur avant de ramasser leurs affaires.

- Attendez, Simon. Vous voulez bien montrer à Monsieur Zrinkak le parcours en le faisant une fois ?

Il acquiesce et se met en position, s’engageant rapidement au top départ. Le parcours a été fait avec les moyens du bord : des sacs de sable à sauter, un mur en bois à escalader, un endroit où ramper sous un filet, et des positions à prendre pour tirer les cibles après une course de trois cents mètres. Rien à voir avec le parcours d’obstacles classique en formation, rien non plus à voir avec le stand de tir dans lequel nous faisons nos armes, mais il est important de continuer à s’exercer et de vouloir être toujours plus performant. C’est en cela que l’ego du soldat est bien utile !

- Alors, Arthur, toujours envie de jouer ? lui demandé-je alors que Simon tire sur les dernières cibles.

- Disons que je suis moins sûr de l’emporter, mais toujours prêt à tenter, oui, dit-il en souriant.

- Très bien, après vous alors. Et pensez à recharger votre arme avant de partir.

- On compte le temps et c’est un malus pour toute cible ratée, c’est ça ?

- C’est ça, je vois que vous êtes bien renseigné !

- Disons que ce ne sera pas le premier parcours que je fais.

Je le regarde étudier le parcours avant de se lancer. Il n’est pas bête et sait qu’il n’aura qu’une seule chance, et il fait tout pour que cette chance se passe bien. De le voir là, concentré, l’arme à la main, m’excite un peu, j’avoue. Le dos est d’ailleurs aussi agréable à regarder que le côté face. Et puis, l’excitation vient sans doute aussi de l’envie de relever son défi et de le battre. Entre une pro et un amateur, ça devrait aller, non ?

Quand le top départ est lancé, mon adversaire s’élance sans hésitation, à bonne allure, et je me demande s’il ne va pas finir trop essoufflé pour viser juste. Il enchaîne les obstacles sans trop de difficultés, même si le mur est haut et qu’il peine davantage. A distance, je le vois ensuite se positionner pour tirer sur les premières cibles, qu’il touche sans problème. Il reprend le parcours et je vois qu’il commence à fatiguer parce qu’il se donne à fond, mais il tient quand même le coup. Sur les secondes cibles, il en rate une, déconcentré a priori par un oiseau qui est entré dans son champ de vision. Il ne lui reste plus qu’une dernière partie du chemin, qu’il réalise rapidement pour quelqu’un qui n’est pas entraîné. Il prend le temps de viser juste afin de toucher toutes les dernières cibles. Il est long, mais il vise juste. Quand il arrive, il n’a pas à rougir de son temps, il pourrait facilement être dans le top cinq de mes hommes. Vraiment impressionnant. Et flippant. Tous mes hommes regardent désormais la scène. Je dois le battre, je sais que je peux le faire, mais ça n’est pas gagné d’avance.

- Alors, c’était comment ? demande-t-il, un peu essoufflé.

- C’était bien joué, Arthur, bravo. Dommage pour la cible manquée.

- C’était pour vous laisser une chance, rit-il. A vous de jouer maintenant.

Lorsque je m’élance, je sens le regard de tout le monde sur moi. C’est le genre de défis qu’aucun militaire n’aurait osé faire contre moi. Et dont le résultat sera commenté pendant les prochains jours, à n’en pas douter. J’ai un avantage sur Arthur, c’est que je l’ai déjà fait et que je connais mon niveau de résistance. Mon objectif est de ne pas perdre de temps sur les cibles ni sur le chemin et de viser juste, comme d’habitude. J’enchaine tout le parcours de manière fluide, mais j’ai dû un peu trop forcer sur l’endurance car j’ai le souffle coupé quand j’arrive devant les dernières cibles. Je me concentre, mais je vois du coin de l'œil Arthur qui me scrute avec attention. Cela suffit à me faire rater la cible. De peu, mais quand même. Je n’ai désormais plus aucune assurance de l’emporter. Je réussis à toucher les dernières cibles avant de conclure le parcours presque aussi essoufflée qu’il l’était. Je regarde Simon qui a enregistré les temps, interrogative. Celui-ci se fait mystérieux.

- Alors, le temps de notre responsable humanitaire : sept minutes et quarante trois secondes. Ce qui n’est vraiment pas mal pour un novice !

Le silence qu’il marque alors est insupportable. J’ai envie de le coller de service de latrines juste pour ce temps qu’il laisse s’écouler pour faire monter la pression.

- Alors, pour le Lieutenant, le temps est de... , dit-il en ménageant une nouvelle pause pour garder le suspense entier, de sept minutes et quinze secondes ! Bravo Lieutenant ! Vous avez gagné !

- Merci, Simon. Bravo Arthur, pour un non-militaire, c’est un très joli score, souris-je, soulagée malgré tout.

- Bravo, vous tenez la grande forme ! J’ai donné tout ce que j’avais pourtant !

- Il faut bien oui, même si je me retrouve à faire pas mal de bureau. Allez les gars, la pause est terminée, au boulot, dis-je en récupérant des bouteilles d’eau dans le sac et en en tendant une à Arthur.

- Pas trop déçue de ma performance ?

- Pourquoi est-ce que je serais déçue ? Tu as fait un meilleur score que certains de mes hommes, ris-je.

- Rassurée alors, la prochaine fois que je sors, j’aurai le droit à mon jouet ?

- Sans doute oui, même si cela fera bizarre sur un humanitaire, si tu veux mon avis.

Et ça risque de faire bizarre à ma libido, qui apprécie un peu trop de le voir armé, le responsable de l’ONG. Ça promet pour ma concentration, ça !

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