Le Flux de la vie

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  Les doigts délicatement enroulés autour de son crayon, la poétesse avance ses mots comme on pose patte de velours, un mot à mot feutré, un corps à corps secret. Comme elle ajuste, gracieuse, un pli de sa jupe longue fendue sur ses jambes élégamment croisées, la moue concentrée, elle ajuste ses mots sur le papier. L’écriture délie son âme sur la feuille comme la main ses cheveux, avec délice. Ses yeux s’égarent dans l’immensité de neige obstinément vierge. Nuit de fatigue, les mots vacillent, les lettres s’évanouissent les unes après les autres ; seule la lettrine défie l’anéantissement et se transcende…

La ballerine est entrée en scène : avec prouesse, elle donne corps à de divines arabesques et autres fresques opalines, éphémères figures où se dévoilent les pleins et les déliés de son cœur. Ses pas de danse comme des mots tout juste susurrés s’alanguissent, puis expirent…

De sa belle voix grave et posée, la conteuse les ressuscite… Dans sa bouche, toute la saveur et la rondeur des mots, gourmandises poétiques ou voluptés féeriques qu’elle déploie, avec éloquence et prodigalité, en un plaisir de dire intarissable. Le velouté de sa voix s’accompagne de l’écho de quelques cordes pincées. Dans cet écrin sonore, l’écriture se coule, fluide et mélodieuse, poetry in motion…

  Notes et mots s’emmêlent en une cadence enjôleuse, rythmant les pas de la patineuse. Le visage en extase, les yeux clos, elle virevolte, de courbes sensuelles en douces esquives, d’arrondis sublimés en pirouettes exquises, trace le gracieux contour d’une promesse, sylphide sur la glace vive. Sa gestuelle enlace mots et notes qu’elle emmène dans son sillage.

Au fil de l’eau, métamorphose accomplie, c’est Ondine : elle sillonne la rivière, ondule, maîtresse des flots et des mots sous la surface plissée de son monde aquatique. Entre ses doigts de fée, douce eau qui file, et dans le cœur, sa quête, son leitmotiv, ce désir de fluidité dans la vie…

Au visage de l’ondine se substitue, en un battement de cil, celui d’Aura, la déesse ; elle émerge des flots et gagne les airs, entre grâce et silence. Habillée de sa brise soyeuse, ses ailes fastueuses déployées, elle s’élève, grâce à l’ascendance. Puis s’en libère pour atteindre, de haut vol, les célestes sphères où rayonnent musiques et mots inspirés…

Avec la majesté d’un Pégase féminin, la divinité redescend des cieux, et s’en revient poser ses sabots sur terre. Chevelure et crinière flottent gracieusement dans le vent. Une main glisse lentement sur la robe moirée de l’équidé, effleure et flatte l’encolure, apaise et refrène le galop éperdu…

  La cavalcade se meurt doucement ; il se murmure quelques mots et une ritournelle enfantine monte et descend, s’élève encore, menant les chevaux désormais dociles d’un antique carrousel qui tourne, et tourne, et charme infiniment, beauté grisante. Ivresse de la rotation des chevaux et cheveux dans ce mouvement perpétuel de l’orbe…

Des courbes et des rondes, des boucles et des rosaces, des pleines lunes, et la plus belle des rotondités, notre Terre, tourne et danse sur elle-même, porte ses enfants, emporte le flot des saisons, se meut éternellement, sans que jamais la nuit ne se mêle au jour… E pur si muove !

  S’étirant comme un fil précieux, cette farandole de figures artistes et divines, cette ronde universelle mariant la ferveur à la douceur, encense et enchante l’éternel féminin porteur des promesses.

Poétesse, ballerine, conteuse, patineuse, fée ou déesse, joueuse des mots, des notes, de la voix, des corps – le sien et celui de l’aimé – œuvre en osmose avec le vivant et les éléments, l’eau, l’air, la terre ou même le feu de l’encre et le papier… Quelle que soit son audace, fluide et fugace, l’émotion, toujours, résonne dans le flot de ses veines, et le vibrato au cœur de son âme.

Ce fil des mots, alchimie de la création, ce n’est que le merveilleux flux de la vie, ce désir de fluidité existentiel, infime espoir d’immortalité, cette continuité inaltérable, ce flow puissant et incessant de la vie qui cascade, comme cascadent les images en un fondu enchaîné, sans jamais, au grand jamais, vouloir écrire le mot

FIN.

21-29/06/18.

En fond sonore, pour la sensualité des mots et des notes, Hum the Bassline/Poem for Love d’IYEOKA, et pour le carrousel de la Terre (une image qui m’habite depuis l’adolescence), Caribbean Blue d’ENYA.

Un clin d’œil à @Aspho d’Hell@, qui évoque elle aussi l’image du carrousel dans ses Poèmes.

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