Douce déraison

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Cette relation «one shot» inattendue avait été un délice, même si elle avait été furtive. Je m’étais encore une fois laisser aller à une attirance physique. Pourtant quand on me regardait, personne ne pouvait s’imaginer ce que je parvenais à faire, moi, Claire, avec mes kilos en trop, mes varices et mon air hagard. J’avais séduit des hommes de façon improbable. J’en étais assez fière. J’avais acquis un amour-propre démesuré, et cela ne m’avait pas empêchée de continuer à aimer mon mari.

Mes incartades auraient donc pu passer inaperçues si, par malheur, mon conjoint n’avait pas reçu ces fameuses photos. J’avais pris pourtant les précautions d’usage, je pensais que ces petites passades passeraient inaperçues, que cela ne ferait pas de vagues. Enfin, c’est ce que je croyais.

Un matin, je me levai, comme à mon habitude, à 7h30. Mon homme était habituellement déjà au travail, à cette heure-là. Je restai sans voix en le voyant. Il était assis sur une chaise, le dos voûté, la mine défaite. Le cendrier posé sur la table de la cuisine était rempli de mégots. Cela empestait le tabac froid. Je fis une grimace à la vue de ce tas peu ragoûtant. J’allais rouspéter lorsqu’il m’enjoignit de m’asseoir.

— Regarde ce que je viens de recevoir. Un gars de l’atelier m’a donné une enveloppe. C’est un gamin qui l’a déposée pour moi.

Je tremblai tout à coup. Cela ne pouvait être qu’une mauvaise nouvelle. Je pris l’enveloppe et sortis les photos qui s’y trouvaient. Ce que je vis me stupéfia. Moi, en train de boire, au vernissage de Bernard Blondiau. Moi encore, embrassant Sébastien devant le restaurant. Une autre me montrait le nez dans le cou de Sergio, derrière le château de Carcassonne. Sur la dernière, j’étais à genoux face au jeune mannequin, à la bibliothèque.

Qui avait pu me suivre et prendre des clichés dans l’intention évidente de me nuire ?

— Explique-moi, Claire. Tu prends du bon temps avec des hommes pendant que moi je me tue à la tâche, c’est ça ? Je ne te conviens pas ? Tu vas chercher ailleurs l’excitation, tu te fais belle pour d’autres ?, cria-t-il.

Il était rouge de colère. Je ne l’avais jamais vu dans cet état.

— Chut, tu vas réveiller Sandro, calme-toi, tentai-je pour qu’il baisse d’un ton.

— Me calmer ? Après ce que je viens d’apprendre ?

La première gifle me surprit, la deuxième s’abattit sur l'autre joue sans que je ne puisse réagir. Je me retins de pleurer. Mon fils dormait dans la chambre à côté. Notre appartement ne comprenait que deux pièces, il allait entendre, c’est certain. Je reçus encore un soufflet magistral, qui me fit monter les larmes aux yeux.

Les mains de mon mari étaient particulièrement larges et épaisses, un seul coup suffisait pour me meurtrir. Je ne pouvais pas me défendre, mon cas était indéfendable. J’étais coupable. J’avais fait du mal à mon conjoint. Il découvrait mon adultère. Je comprenais qu'il réagisse comme cela.

La morve coulait de mon nez, mes cheveux retombaient mollement sur la table. Mes joues me brûlaient.

— Je ne pensais pas te faire du mal, j’avais besoin de rompre le quotidien. Tu ne le voyais pas, mais je n’étais pas heureuse. Je t’en prie, pardonne-moi, c’était juste quelques aventures sans lendemain, dis-je en reniflant.

— Juste quelques aventures, hein? Et tu crois que je vais oublier aussi facilement ! Tu devrais avoir honte, me faire ça à moi. Tu as pensé à ton fils, aux conséquences que cela allait engendrer sur notre couple si ça se savait ? Nous habitons une petite ville Claire, comment as-tu pu croire que personne ne verrait ton manège ? D’ailleurs as-tu une idée de la personne qui t’a suivie ? Celle-là m’a rendu un fier service, elle m’a ouvert les yeux, moi qui étais aveuglé par ton attitude, tu as bien caché ton jeu ! Tu me dégoûtes, c’est fini entre nous. Je t’aimais mais là ce n’est plus possible, tu m’as trahi. Pars où tu veux, va au diable. Par contre tu n’auras pas la garde de Sandro, je vais demander le divorce pour faute grave. Eh oui, je me suis renseigné, qu'est-ce que tu crois ? L’école m’a appelé pour me dire que tu laissais Sandro à la garderie alors qu’il n’est pas inscrit ! Ma mère se fera une joie de s’en occuper, elle qui a toujours été écartée de notre couple. Tu sais qu’elle n’a vu notre fils que deux fois depuis qu’il est né ? Tu es égoïste, tu ne penses qu’à ton petit bonheur, tu es capable de me cacher que tu vois d’autres hommes derrière mon dos. Je te faisais confiance !

J’écoutai chaque mot avec horreur, comme une sentence annoncée à claire et intelligible voix. Il avait scellé mon avenir, nous ne serions plus un couple désormais. Ce qui me faisait le plus mal, c’était d’être séparé de mon enfant. Malheureusement, l’enquête sociale qui eut lieu peu après révéla des manquements me concernant, et la preuve irréfutable de mon adultère avait fait pencher la balance. Mon mari obtint la garde exclusive de Sandro. L'appartement était à son nom, il me vira dès qu'il put, ma mère me tourna le dos. Personne ne me tendit la main, j'étais devenue une paria, une mère indigne.

Je me suis retrouvée seule dans un foyer pour femmes isolées, entourée d’autres paumées comme moi, à me morfondre dans ma solitude, à regretter mes actes. J’avais tout perdu. Je n’avais même pas eu le soutien de ma mère. J’appris que Danièle avait remarqué que je partais souvent plus tôt, que je prenais des après-midis sans raison valable et que j’avais commis des oublis au cours de mon travail. Je fus licenciée. Je restais persuadée que c’était elle qui avait envoyé un complice pour me suivre et me prendre en photo. La jalousie la rendait mauvaise, elle détenait mon secret, elle voulait que j’en bave. Elle avait réussi son coup.

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