L'homme de la galerie

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Il m'avait donné rendez-vous à l'hôtel. Un simple SMS avait suffi, "Rejoins-moi" et l'indication de l'adresse, pour que mon cœur s'emballe. Comment résister à ses yeux bleus si pénétrants, à ses muscles saillants, à son sourire ravageur ? J'étais incapable de réfléchir lorsque je le voyais. Tous mes sens étaient en ébullition. Je me sentais fondre sous son regard, mon cœur battait la chamade, je ne maîtrisais plus mes sentiments. Ma vie avait pris une autre tournure depuis que je le connaissais.

Rencontré par hasard dans une galerie d'art, moi qui m'intéressais très peu aux tableaux, je feignis d'être attirée par une de ces reproductions lumineuses, abstraites, dont le prix exorbitant frôlait l'indécence.

Ce jour-là, je portais une robe, événement rare pour être signalé, et j'avais pris soin de me maquiller. Pourquoi ce moment de liberté que je m'accordais était-il si différent des autres ?

Engluée dans une vie de couple morose, je passais ma vie à regretter de ne pas avoir osé plus tôt m'en détacher, m'éloigner de ce quotidien sans éclats.

Je m'étais arrêtée devant ce tableau sans intérêt et restais un peu trop longtemps à l'observer car, tout près, j'avais senti une odeur masculine enivrante et je m'en délectais.

J'étais très sensible aux effluves de parfum mais celles que je respirai cette fois-là m'avaient littéralement envoûtée. J'avais tout de suite eu envie de lui en demander la marque.

Au lieu de cela, mon regard fut attiré par ses fesses moulées dans un pantalon à pinces gris, et je remontais avec délice vers le haut du buste, jusqu'à découvrir un visage coupé à la serpe, que recouvrait une barbe bien entretenue, à la mode, le genre de hipster qu'on trouve dans les magazines. Il portait une très grosse montre sans doute luxueuse au poignet.

Je n'arrivais plus à bouger. Je le regardais. Cela me sembla durer une éternité jusqu'à ce qu'il pivote vers moi et affiche un sourire aux dents parfaites. C'est à cet instant que je compris que je craquais. J'étais littéralement happée par cet élégant homme trentenaire. Comme une sotte, je commençais à rêver qu'il me parlait de façon énamourée car il avait été conquis par...

Qu'est-ce qui aurait pu le séduire en moi ? Mes jambes mal rasées ? Ma coiffure négligée ? Mes sandales achetées en soldes ? Non, décidément, j'étais bien persuadée qu'il fallait laisser aux autres les rencontres faciles, et à moi mes rêves irréalisables, forcément impossibles à concrétiser. J'allais continuer ma petite vie étriquée aux côtés de cet homme bourru et bedonnant que j'avais choisi pour mari.

Une voix masculine et chaude me fit sortir de ma torpeur.

  • C'est un tableau original, il a beaucoup de succès. Bien-sûr, vous pouvez payer en quatre fois, mais dépêchez-vous, car je sens qu'il ne va pas rester très longtemps dans la galerie.

La sonnerie stridente de son téléphone retentit à ce moment-là. Il s'excusa et s’éloigna pour répondre à son interlocuteur. Voilà que j'étais tombée sur un directeur de galerie. La classe, quoi. Le genre intéressé par ton argent, point barre. Je me faisais des illusions, comme toujours. À force de lire de la littérature romantique, des romances érotiques et autres chick-lits, mon cerveau s'était ramolli, on aurait dit que tout le monde voyait à mon attitude mon envie de m'épanouir, de jeter par-dessus bord les conventions, de me libérer de ce carcan marital qui m'étouffait. Je regardai autour de moi. Personne ne me regardait. Ouf. C'était comme d'habitude, j'étais transparente.

Je pouvais passer la journée seule, en ville, m’asseoir à un café, fréquenter les lieux branchés sans qu'aucune âme ne daigne glisser un regard vers moi. J'étais seule avec mes rêves de vie meilleure et rien ne changerait le cours des choses.

Mais alors pourquoi je ne fuyais pas devant cet homme absolument pas assorti à mon corps engoncé dans cette robe à fleurs qui décidément n'était pas flatteuse ? Malgré mes doutes, une petite lumière intérieure m'engageait à essayer de donner un coup de pied dans cette vie trop bien réglée. Au fond de moi, une petite voix me disait :

  • Tente ta chance, n'as-tu pas des qualités ?

Oui, certainement, mais elles ne se voient pas au prime abord. Premier réflexe un peu idiot : vérifier s'il a une alliance. Un coup d’œil discret sur son annulaire m'assura qu'il n'en portait pas. Non, aucun anneau visible, ce qui ne veut absolument rien dire. Tout le monde le sait.

Deuxième étape, trouver un sujet de discussion, essayer d'attirer son attention. Là, encore, je ne me sentais pas à la hauteur, je n'étais qu'une banale bibliothécaire, j'avais à peine trente ans et déjà ma vue baissait. Je devais mettre des lunettes de repos. Pour l'instant elles étaient bien rangées dans leur étui. Je ne tenais pas à les porter. Hors de question, j'aurais l'air d'une chouette. Du coup, sur le tableau, je ne voyais pas vraiment ce que l'artiste avait voulu peindre, des angelots ? Des papillons ? Des elfes ? En tout cas c'étaient de petits sujets ailés, j'en suis certaine.

La conversation du jeune éphèbe prit fin, je tremblais un peu. Il s'approcha.

  • Alors, intéressée ? Je viens d'avoir une proposition à 5500 euros, vous vous alignez ?
  • Heu... Non, je vais réfléchir, babutiai-je, je n'ai pas l'habitude de dépenser une telle somme.
  • C'est un coup de cœur qui le mérite vraiment. La presse l'encense. En tout cas, vous savez où me joindre.
  • Tout à fait. Je n'y manquerai pas si je me décide.

D'un geste sûr, presque théâtral, il glissa sa carte dans ma main, me fit un clin d’œil et s'éloigna pour discuter avec d'autres éventuels clients. Yes ! J'avais obtenu le saint Graal : ses coordonnées. J'allais en plus mettre un patronyme sur ce joli visage. Je n'étais pas peu fière. Sur le papier glacé son nom s'affichait en jolies lettres brillantes : Sébastien Le Drian. Me voilà bien avancée. Un échange de cinq minutes, un numéro de téléphone. Où cela allait-il me mener ?

Je regardai l'heure sur mon portable. Déjà quinze heures. Il fallait que je file prendre le bus si je voulais que mon escapade passe inaperçue auprès de mon cher époux, qui bien-sûr, était aussi extrêmement jaloux. J'avais déjà l'impression d'avoir fauté. Je dissimulai la carte de la galerie dans la liasse de tickets de caisses que je gardais toujours pour au cas où et m'échappai à grandes enjambées, non sans penser à ce que je ferai le lendemain.

Revenir, appeler ? Me faire passer pour une mécène dans le vent ? Très bonne idée ! Je mis dans un coin de ma tête toutes ces réflexions qui bousculaient un peu mes habitudes. Il fallait que je m'occupe du dîner et ça c'était une affaire urgente à laquelle je devais me consacrer sans tarder.

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