INCERTITUDES

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LUCAS

- L'aimes-tu, Lucas ?

Cette question résonne en moi comme une blessure, ou plutôt comme une plaie béante sur laquelle on a déversé du sel. Rien que cette notion m'effraie. Je ne connais pas ce type de sentiment et préfère m'en tenir à une relation sans attachement. L’amour qu’Ely ressentait pour moi l’a conduite au suicide. Je refuse d'être si fragile.

- Qu'est-ce que vous avez tous à me poser cette question ?

L'interrogatoire d'Andres me dérange.

- Parce que quelqu'un te l'a posée ?

Sans réfléchir, je réponds.

- Ely ....

Andres me regarde comme si j’avais perdu la tête. Cette histoire n'est facile pour aucun d'entre nous. Il sait que le prénom d'Ely n'est jamais prononcé de manière anodine. D'ailleurs, il m'arrache la bouche aussi sûrement qu'un pansement que l'on décolle d'un coup sec.

- Pardon ?

Comment expliquer à mon meilleur ami que je suis tellement ébranlé dans mes capacités de raisonnement que j'en viens à parler à un fantôme ?

- Bordel, Lucas, Ely est morte. Et rien de ce que tu pourras dire ou faire ne pourra changer ça.

- Bon Dieu, Andres, tu crois que je ne le sais pas.

Je crie pratiquement ses mots. Une boule d'angoisse me serre si fort, que j'ai l'impression de manquer d'air.

- Alors, comment a-t-elle pu te poser cette question ?

Je souffle d'exaspération, car je sais que je passe pour un détraqué. Sauf que je n'arrive pas à faire abstraction de ce qui s'est passé cette nuit.

- Je comprends que ça à l'air fou, mais je l'ai vue hier soir.

Dans ses mimiques, je comprends qu'il me prend pour un véritable taré.

- C'est complètement dingue. Tu t'en rends compte, j'espère ?

Il n'a pas besoin de demander, je doute moi-même de mon équilibre psychologique.

- Je ne sais pas si c'est la culpabilité qui me ronge, mais elle avait l'air tellement réelle. J'ai pété un plomb.

- Ça va sans dire, tu dérailles, Lucas et cela ne date pas d'aujourd'hui.

Je sursaute en entendant ses mots.

- Que veux-tu dire ?

- Tu es constamment en colère, me dit-il avec un mouvement de bras impatienté.

- Merci, docteur Freud, je n'avais pas du tout remarqué.

Je ricane de cynisme consommé.

- Je ne plaisante pas.

- Parce que j'ai l'air de vachement m'amuser peut-être.

- L'ironie ne te va pas. dit-il le visage fermé.

Je me redresse difficilement du sofa et observe attentivement mon ami malgré les effets de ma gueule de bois. Comme toujours, il est impeccable. Ses cheveux bruns bénéficient d'une coupe moderne, sa barbe de trois jours est taillée avec finesse et l'élégance de son costume hors de prix rehausse la grâce de son port tête. Quant à ses yeux noisette, ils brillent d'intelligence. Ce type à tout d'un charmeur de serpent des plus distingué.

- Écoute, Lucas, je ne crois pas aux ectoplasmes. C'est carrément dément ! Sois sérieux, enfin.

- Je suis tangible.

- Oui, et c'est bien ce qui m'inquiète.

- En attendant, le fantôme d'Ely m'a posé des questions du genre : "- Tu as l'air désespéré, tu n'étais pas aussi affligé avec moi, alors c'est parce que tu l'aimes ?" " - Cette femme, Ley, tu l'aimes ?"

- Très bien. Verdict, tu dois reprendre ta thérapie avec le Docteur Libessard pour virer cette culpabilité.

- Ne recommence pas avec ça, Andres. Je n'ai pas besoin d'un putain de médecin pour savoir ce que je ressens. Ely s'est foutue en l'air. Jusqu'à maintenant, je ne sais pas exactement pourquoi elle en est arrivée là. Et toi, tu crois que c'est un foutu lavage de cerveau qu'il me faut. Sans compter que certaines choses étaient vraiment troubles chez Ely.

- Je t'ai toujours dit que cette meuf traînait des casseroles plus grosses que le mont Everest.

Je le savais, mais elle m'attirait comme un aimant donc j'ai fait abstraction de tout ça.

- Ses disparitions répétées, les appels mystère qu'elle recevait, sa sœur qu'elle n'a jamais voulu te présenter ... Je me suis toujours demandé si tu la connaissais vraiment. Il y a certaines choses qu'elle faisait qui étaient très étranges.

Savoir ce qu'il pense réellement d'elle ne m'étonne pas. Il n'était pas fan.

- Je ne l'ai jamais appréciée et je ne te l'ai jamais caché. Cette fille était un nid à problèmes. Je t'ai prévenu et cette soirée à l'opéra où je t'ai juré l'avoir vue discuter avec ce type étrange. Cette mijaurée t'a mis la tête en vrac. Je ne veux pas que tu passes par les mêmes épreuves avec Ley Carré. C’est une très belle femme, sensuelle et mystérieuse, mais elle aussi semble être un piège à emmerdes. Sérieusement, tu ne peux pas te permettre de replonger.

J'observe Andres, un brin exaspéré par tout ce qu'il vient de dire.

- Je sais très bien que le fait que je sois imbibé d'une superbe gueule de bois ne joue pas en ma faveur. Mais je n'ai pas l'intention de replonger aussi bas.

Il affiche son air suspicieux et ça m'emmerde prodigieusement. Même si la situation qu'il a décrite n'est pas totalement fausse, je ne veux pas m'avouer qu'elle puisse être vraie.

Même si je n'entretiens aucune envie de le reconnaître, je suis scotché par cette capacité qu'a Andres de me ramener à la réalité. Son scepticisme est plus que légitime. Jusqu'à présent, je cache le fait que le suicide d'Ely est une blessure ouverte dans mon âme pourtant desséchée.

Cette déchirure intérieure n'est pas celui d'un amour perdu. Loin de là. Elle est le fruit d'une culpabilité immense. Agacé, je souffle de dépit, mais Andres ne se laisse pas distraire.

- Je suis désolé d'être aussi direct, Lucas.

- Arrête, tu n'es pas le moins du monde contrit.

Il affiche un sourire narquois.

- C'est vrai, car contrairement à toi, je me rappelle l'effet que ça fait de récupérer une épave comme meilleur ami. Cette histoire avec Ely a bien failli te coûter cher. Or, j'ai le sentiment qu'il se passe exactement la même chose avec Ley.

J'esquisse un mouvement exaspéré.

- Tu veux bien changer de disque, dis-je énervé.

- Non.

- Non ? C'est une blague, putain ?

Je rétorque, de plus en plus contrarié par la direction que prend cette discussion.

- En tout cas, pas tant que tu ne te seras pas éloigné de cette femme, affirme t-il sûr de lui.

- Mais je n'ai aucunement l'intention de m'éloigner d'elle. Il secoue la tête, comme si je faisais la plus grosse erreur du siècle.

- On dirait que le merdier d'y il y a cinq ans ne t'a pas servi de leçon. Au moins, la dernière fois, tu n'as pas négligé ton entreprise, contrairement à ce que nous pensions tous. Tu as triplé ta fortune personnelle et surtout, tu as fait d'AchITL & Co la meilleure entreprise dans son domaine. Mais qu'en sera-t-il cette fois-ci ?

Je hausse les épaules, car je ne sais pas qu'elle sera le dérivatif si je n'arrive pas à obtenir le consentement de Ley.

- Tu t'en fous et tu veux que je te laisse faire ?

Je passe mes mains dans mes boucles brunes, prêt à étriper Andres.

- Tu ne peux pas m'en vouloir, Lucas, tu a réussi en moins de cinq ans. Tu t'es fait des couilles en or, après l'illustre famille Arnault. D'ailleurs, tu n'as rien fait d'autre que bosser comme un dingue ces dernières années. Or, tu rencontres cette femme et d'un coup, tu plaques Nathalia et tu lui cours après comme si c'était de ton habitude. Alors, je ne peux pas m'empêcher de m'interroger. Est-ce que tu aimes cette bonne femme, Lucas?

Il me fixe de son regard noisette comme si tout ça était sordide. Je soupire.

- Je ne crois pas. Je ne sais pas. Pour être honnête, je ne connais rien à l'amour, Andres. Je ne suis pas comme toi.

- Et qu'est-ce que cela est censé vouloir dire ?

- Tu le sais bien.

- Non, pas vraiment. J'essaye de ne pas perdre mon sang-froid, et lui réponds comme si c'était plus qu'évident.

- Écoute, les femmes, j'aime les ligoter, les fesser, les baiser. En clair, je veux être leur maître et pas leur amoureux. J'apprécie qu'elles me désirent, j'adore les assujettir à mon bon plaisir. Il y a longtemps que je n'ai plus été avec personne comme je l’était avec Ely.

- Ça, je le sais mieux que personne. Mais ce n'est pas une raison pour jeter ton dévolu sur cette coordinatrice. Cette relation est la parfaite illustration du fait de se jeter d'une falaise sans parachute. Je reste muet quelques minutes, puis largue la bombe.

- Je suis retourné à l'appartement ... Andres se lève du sofa, abasourdi.

- Tu as fait quoi ?

- Tu m'as très bien compris. J'ai besoin de tout ça ! Il commence à tourner en rond, complètement déboussolé.

- Merde, tu sais très bien ce que j'avais avec Nathalia …

- Qu'est-ce que je sais ?

- ... enfin, que notre relation n'avait rien à voir avec celui que je suis réellement. Il crie maintenant.

- Tu veux replonger. Andres me regarde terrifié et souffle.

- Tu n'avais pas de limite ... Je n'arrive pas à croire que tu sois allé là-bas.

- En quoi est-ce si étonnant ?

- Cela faisait cinq ans, que tu n'y avais pas mis les pieds. Tu le fais entretenir, ça, je le sais, mais je me suis toujours demandé à quoi ça te servait puisses que tu n'y allais plus ! Je ne sais pas ce que cette femme t'a fait, Lucas, mais je suis assez choqué.

- Je n'ai aucune idée de ce qu'elle m'a fait, mais comme je te le répète, je ne crois pas être amoureux. Tu sais très bien que je n'ai jamais connu de relation normale. Enfin, une relation selon la société bien-pensante. Toi, tu as connu Amélia, et même si je sais très bien que tu vas nier en bloc, selon votre définition de l'amour, je sais que toi, tu l'aimes encore.

- On peut arrêter de parler d'Amélia ! On parle de toi, Lucas, et s'il te plaît laisse Amélia Arnaud où elle est. Elle m'a trahi et je ne l'aime pas, c'est clair.

- C'est possible à la seule condition que tu me foutes la paix avec Ley Carré.

- Vendu., me dit-il.

- On va prendre le brunch chez les parents de Casey, va essayer de faire de toi quelqu'un de présentable

- Désolé, Andres, mais je ne peux assurément pas. J'ai laissé des dossiers en plan et là, il faut vraiment que je travaille. Je dois certainement contacter Moira.

- La castratrice, bonne chance car moi, je détale. Je n'ai jamais compris comment tu pouvais te payer une collaboratrice et une meilleure amie semblable. Elle est super bonne mais lesbienne et excessive. Sérieux, cherche l'erreur avec cette gonzesse.

- Elle n'est pas folle, juste exigeante. Du reste, je suis persuadé qu'elle aurait réellement apprécié de t'entendre parler d'elle en ces termes, Andres. Moira représente le côté féminin de l'amitié que tu ne possèdes pas. N'importe qui penserait que notre relation est étrange, mais elle et moi, nous nous comprenons très bien.

- Je vous laisse à votre compréhension mutuelle. Moi, ne m'en parle pas, car je tiens à mes couilles. La psychologie féminine, ce n'est effectivement pas mon truc.

Nous éclatons de rire quand Andres passe de nouveau le pas de ma porte.

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