CCXXVII. Le soleil donne

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CCXXVII. Le soleil donne*

L’été s’alanguissait sur Paris comme une serviette de plage sur un transat. Il faisait très chaud, les tenues étaient aussi courtes que les journées étaient longues. Les touristes déferlaient sur la capitale comme des gentils envahisseurs des temps modernes, armés de guides de poche et d’appareils-photos. C’était la haute saison des contrats courts à l’Ambassade des Etats-Unis, mais lorsqu’ils m’avaient appelée pour me proposer d’y travailler jusqu’à fin septembre, je m’étais offert le luxe de refuser. D’abord parce que je n’en avais nulle envie, ensuite parce que cette fois-ci, j’avais bien l’intention de prendre de vraies vacances.

Direction la Corse, évidemment. Trois semaines à boire du soleil ou de la Pietra, à lire sur la terrasse et à faire l’amour devant l’extraordinaire vue sur la mer qu’on avait depuis la chambre. Trois semaines parfaitement familiales puisque non seulement Pietro venait avec nous avec femme et enfants, mais en plus, la plus célèbre réalisatrice du monde avait décidé de s’octroyer un repos bien mérité après une année particulièrement éprouvante à plus d’un titre.

Car elle était guérie, mais aussi épuisée… Et l’ascenseur émotionnel dans lequel elle avait embarqué son public à l’occasion de son film “Luís” l’avait littéralement essorée. Elle avait donc supprimé de son agenda tout ce qui n’était pas glaces à la fraise, barbecues devant la mer ou parties de Playmobils avec les enfants. Les garçons gardaient un œil sur elle, plus ou moins discrètement ! Et elle râlait un peu, juste pour la forme, tout en se laissant dorloter. Pietro était préposé aux courses et au bricolage, Louka et Ingrid à la cuisine et moi à la vaisselle. Nous devions ressembler à une publicité pour de la lessive, avec nos sourires ensoleillés et nos joyeuses glandouilles ! Mais cela nous faisait du bien à tous.

Un jour, Chiara décida de garder les trois petits monstres et envoya les quatre plus grands à la plage. Louka et Pietro en profitèrent pour emprunter un catamaran à l’école de voile et se mirent à tirer des bords aux pieds de la tour génoise d’Omigna. Ils allaient trop vite, nous les entendions ricaner bêtement et parfois, ils dessalaient, ce qui les faisait glousser encore plus fort… Puis ils redressaient leur petite voile fluo et repartaient de plus belle en nous faisant des grands signes aussi radieux que ridicules.

Ingrid et moi avions des occupations beaucoup plus calmes, avachies sur des transats comme deux larves bienheureuses : crème solaire, chapeaux de paille, lunettes XXL et magazines féminins ne nécessitant aucune activité cérébrale. Notre extase était complète et nous papotions tranquillement, les yeux suivant distraitement les exploits nautiques de nos amoureux.

« - Regarde ça, Ingrid ; ils ont l’air tellement heureux ! De vrais mômes…

- C’est vrai… Et ça fait plaisir à voir. Pietro avait besoin de se changer les idées, il bosse trop.

- Louka aussi.

- …

- Parfois, je me demande si un jour, ils se lasseront l’un de l’autre ?

- Pourquoi ? Tu en as marre de nous ?

- Mais non, Ingrid ! Pas du tout. Mais leur relation m’impressionne toujours un peu. Comme un agrume qui aurait toujours du jus. Là, regarde, on dirait qu’ils ne se sont pas vus depuis des mois. Alors qu’ils vivent collés depuis toujours.

- C’est vrai ! Mais à Paris, ils n’ont pas la mer. Ici ils respirent, ça leur fait du bien.

- Oui.

- Bon, Romy, et ce deuxième bébé ?

- On y travaille… J’ai arrêté la pilule depuis un moment mais pour l’instant, rien. Ça m’étonne un peu car les deux premières fois, c’était arrivé tellement vite ! Mais mon médecin dit que tout va bien. Donc en attendant…

- Vous avez une bonne excuse pour faire des galipettes !

- Exactement.

- Dis moi… Si vous agrandissez la famille, vous allez déménager ?

- Well… Je pense que oui. Déjà à trois, l’appartement de Louka est petit, alors à quatre, no way.

- Aïe… J’en connais un qui va être tout triste si vous quittez l’immeuble. S’il ne peut plus débarquer chez vous en chaussettes pour dire à Louka je-ne-sais-quel truc sans importance ou regarder s’il ne reste pas des lasagnes dans votre frigo… Sans parler de Lucia, qui va me faire un caprice tous les soirs pour voir son Zio chéri !

- En fait, des fois, je me dis qu’on devrait quitter Paris.

- Ah bon ?

- Oui. C’est gris, la mer est loin, Louka n’y est pas spécialement heureux, son boulot l’ennuie… Et moi je tourne en rond ! Si au moins je pouvais profiter d’un petit bout de nature ! Mais le Jardin du Luxembourg ne fait pas le poids pour une fille des grands espaces comme moi.

- Et tu voudrais aller où ?

- Je ne sais pas.

- …

- A ton avis, Pietro se plaît à Paris ?

- Je pense que oui. Il ne se plaint pas, en tout cas. Pourquoi tu me demandes ça ?

- Parce que je crois que Louka n’ira nulle part sans Pietro…

- Ah ?

- Oui.

- Et donc ?

- Donc si on part, il faut que ce soit tous ensemble.

- Tu déconnes ! »

Je souris en silence, et Ingrid enchaîna sur un autre sujet éminemment stratégique : la lecture à haute voix de notre horoscope. Son magazine nous prédisait monts et merveilles et nous gloussâmes sans retenue. Mais il avait tout faux : car il ne nous annonça ni les coups de soleil que nous attrapâmes ce jour-là, ni le caprice à trois voix qui nous attendait à la maison, deux heures plus tard, grâce à nos gentils petits diables aux grands yeux bleus.

*Le soleil donne, de Laurent Voulzy ; single, 1988.

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