CLXXXV. Je serai là

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CLXXXV. Je serai là*


Le lendemain, dès l’ouverture des visites, on frappa doucement à ma porte. C’était mon père, ému comme tout, avec des larmes plein le sourire et des cernes plein les yeux. Il était encombré d’un adorable mais gigantesque ours en peluche, d’une boîte en carton rose bonbon pleine de muffins et de cupcakes et d’un gros bouquet de fleurs blanches. Tout à sa joie de nous voir, Lisandru et moi, il trébucha et aurait certainement tout renversé sans les excellents réflexes de Louka, qui sauva d’une main l’intégrité des pâtisseries et de l’autre celle du nounours géant, avant de s’éclipser pour nous laisser seuls, mon cher Daddy et moi.

J’étais si heureuse de le voir ! Et lui n’en finissait pas de sourire à son petit-fils endormi comme un loir. Il avait pris une chaise pour s’installer près de moi, il me tenait la main, me demandait de mes nouvelles, me disait sa fierté, sa joie, son émotion avec des mots tous mieux choisis les uns que les autres et évidemment, nous finîmes en larmes dans les bras l’un de l’autre… Avant de partager un thé et de faire un sort aux calories typically american qu’il avait apportées.

Puis il baissa la voix et sortit de sa poche une petite boîte noire, élégante, avec un joli ruban savamment noué. A l’intérieur, je découvris de magnifiques boucles d’oreilles en or blanc, très délicates, en forme de plumes avec à leur base, deux petits diamants.


« - Thank you, Dad ! Elles sont très belles. Mais… Elles n’étaient pas à Maman ?

- Si, en effet. Elle les portait souvent… Je les lui avais offertes pour sa toute première fête des mères, ma chérie ; je les avais choisies en hommage à ses racines amérindiennes… Quand elle est morte, je les ai gardées en me disant qu’un jour, je te les donnerais. Alors voilà. Je crois que c’est le bon moment.

- Oh… Merci, vraiment. I am deeply touched. J’ai tellement pensé à elle... Elle me manque.

- I know. Moi aussi, j’ai beaucoup pensé à elle ces derniers mois. Anyway. Toi, comment te sens-tu ? Pas trop fatiguée ?

- Oh, si ! J’ai à peine dormi… Mais ce n’est pas grave. Mon bébé est en bonne santé, tu es là, Louka est là, mon accouchement s’est bien passé… Alors le reste, je m’en fiche !

- Tu as raison, sweetheart. Mais il va falloir te reposer quand même. Essaie de dormir dès que le petit dort… Du moins, quand ton vieux père n’est pas là pour te tenir éveillée.

- I am glad that you’re here, Daddy. Tiens, il se réveille… Tu veux le prendre un peu ? »

Mon père récupéra Lisandru dans son berceau et revint vers moi comme s’il portait toute la beauté du monde. Il était tout ému, infiniment précautionneux, avec son sourire tout doux et son anglais joyeux comme un poème… Un peu plus tard, il donna le biberon à Lisandru d’un air extatique qui attendrit fortement l’infirmière qui était passée vérifier que tout allait bien.


Deux heures s’écoulèrent ainsi, dans le calme et la complicité… Puis le rythme s’accéléra avec les entrées en scène de Chiara Battisti, exubérante comme à son habitude, quoique plus douce, pour ne pas effrayer le bébé… Et de Malika Kerguelen, toute en simplicité tranquille.

A peine furent-elles entrées que mon Daddy en oublia (presque…) son petit-fils : car il était en admiration devant Chiara comme un enfant devant le père Noël, un musicien devant John Lennon ou un cuisinier devant Paul Bocuse… Il semblait subjugué, intimidé, presque en-dehors du réel. Il tenait le bébé comme un drôle de miracle, Chiara et Malika s’assirent de part et d'autre… C’est ainsi que Louka les trouva, comme trois fées sur un berceau, lorsqu’il nous rejoignit en milieu d’après-midi. Il était douché, changé, il portait son pull marin qui lui allait si bien et lorsqu’il s’assit près de moi sur le lit, face à cette troupe de grands-parents, je l’embrassai et me collai à lui avec un plaisir non dissimulé.

« - Regarde-les, Louka : on dirait une vraie nuée de sauterelles.

- Indeed. Au moins, Lisandru sera bien entouré… Mais c’est vrai que là, chacun s’extasiant dans une langue différente, ça fait une sacrée cacophonie !

- Et encore, toi, tu comprends tout.

- Tu veux que je te traduise ?

- Non, ce n’est pas la peine. Tu sais, je n’ai pas connu mes grands-parents, ils étaient âgés et sont morts quand j’étais toute petite… Alors je suis contente que ce soit différent pour mon fils.

- Moi non plus, je n’ai pas trop connu ça. Sauf ma grand-mère russe, Babouchka ; elle était gentille avec moi… Mais je ne la voyais qu’une fois par an, et ensuite elle est morte, elle aussi.

- Et Chiara ? Elle a encore ses parents ?

- Elle ne s’entend pas trop avec eux… Ils habitent dans un tout petit village, au fin fond de la Sardaigne. On y est allés quelques fois, mais pas souvent. Ils ont au moins mille ans, ils sont catastrophés par les choix de vie de leur fille : elle a un métier de saltimbanque, elle voyage tout le temps dans des pays plus ou moins civilisés à leurs yeux, elle a élevé un enfant toute seule... Et puis elle ne s’est jamais mariée et ne cesse jamais de dire haut et fort tout ce qu’elle pense : ce n’est visiblement pas le modèle que souhaitaient ses parents. Chiara ne colle pas avec l’image qu’ils ont de la Sardaigne éternelle et pieuse.

- Pourtant, elle est sûrement la Sarde la plus connue au monde… Et donc la meilleure ambassadrice de son île !

- Oui. Mais…

- Vous parlez de moi, les enfants ? coupa l’intéressée. Que dis-tu comme bêtise, cuore mio ?

- Rien… On papote. Mais puisque tu es là, il faut que je demande quelque chose.

- Sì ?

- Chiara, comment veux-tu que Lisandru t’appelle ?

- Ma ! En voilà une question bête ! Lucia et Nils m’appellent Nonna. Alors ton fils m’appellera Nonna aussi, Louka mio. »


Louka se leva pour l’embrasser sans ajouter un mot. Puis il se tourna vers moi, jugea d’après mon teint pâle et mes cernes creuses que j’avais grand besoin de repos, et mit tout le monde dehors, gentiment mais fermement, sans même se laisser amadouer par les supplications d’une réalisatrice doublement oscarisée.



*Je serai là, de Teri Moïse ; in Teri Moïse, 1996.

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